Les soeurs de Gion portrait de geishas sans concession par Mizoguchi.

Publié le par Nostalgic-du-cool

cycle 
 
 cinema japonais

 

Sisters of Gion (Gion no shimai), Kenji Mizoguchi, Japon, 1936.



  Les sœurs de Gion est un film inspirée d'une nouvelle de l'écrivain russe Alexander Kuprin. Noble tatar aux idées proches de celle de Gorki, il critique les bolchéviques et leurs dérives, ce qui l'oblige à fuir l'URSS et à gagner Paris. Il meurt après les grandes purges, en 1938, à Leningrad d'un cancer de l'œsophage. Mizoguchi est entré en 1934 à la Daiichi Eiga pour fuir les censures du régime militaire et ultra conservateur. Il y réalise 5 films entre cette date et 1936, année de sortie des Sœurs de Gion. On peut diviser son passage à la "Daiichi" en deux périodes : Une première, qui irait jusqu'à l'Elégie d'Osaka, et une seconde qui comprendrait ce film et les Sœurs de Gion. Les trois premiers sont marqués par le naturalisme (une adaptation de Boule de Suif par exemple), un certain socialisme et surtout leur déroulement dans l'ère Meiji (1868-1912). Pour les deux suivants,  Mizoguchi déplace ses intrigues à l'époque contemporaine, sans doute à cause du contexte dramatique (alliance du Japon avec les pays fasciste, coups d'état manqué, censure plus forte, création d'une "police de l'opinion") qui le pousse encore plus à marquer ses films dans leur temps.


  On retrouve dans ce film, un des premiers conservés de la filmographie de Mizoguchi (presque tous ses films de l'époque muette ont disparus, et un bon nombre de ses premières années "parlantes", soit une quarantaine de films), les thèmes dqu'on lui connaitra pour ses plus grands succès : L'oppression des femmes, la lacheté, l'exploitation, le cynisme. Mizoguchi se montre peut être encore plus sombre à cette époque quant au genre humain, comme le montre bien cette citation extraite du livre Souvenirs de Mizoguchi, de Yoshikata Yoda : "Il faut décrire l'homme, mettre en image le corps humain. décris moi des types implacables, égoïstes, radins, sensuels et cruels... Il n'y a que des hommes dégueulasses ici bas." Mizoguchi ne reste plus à la surface des choses, parlant de l'abstrait de la condition des femmes, il organise une plongée dans les corps et les esprits, dans les sentiments de ses personnages.

  Le film tourne beaucoup autour du jeu avec les sentiments, autour du mensonge permanent, de la trahison, du cynisme, des calculs machiavéliques, du malheur qui entraine la souffrance.

  Umekichi et sa sœur Omocha sont geishas de seconde zone dans le quartier des plaisirs de Gion. Elles n'ont pas de protecteur et vivent donc au jour le jour, sans pouvoir faire de dépenses importante pour bien se vêtir et augmenter leur standing. Elles accueillent Furusawa, un ancien riche marchand qui a fait faillite et a quitté sa femme. Ayant aidé Umekichi dans le passé, cette dernière l'a invité pour lui rendre la pareille. Mais sa soeur cadette voit mal la chose car cet homme sans le sous gêne ses plans, et elle critique l'aide apportée auparavant par Furusawa car elle les a laissée dans leur condition de geisha, qu'Omocha déteste. Elle s'arrange donc pour faire partir le gêneur, ment à sa soeur et essaie de lui faire rencontrer un homme riche qui pourrait la prendre sous son aile. De son coté, elle profite des sentiments d'un employé d'un magasin de vêtement pour se faire offrir un luxueux kimono. Lorsque le patron de l'homme se présente à la demeure des geishas, Omocha le séduit et le flatte, lui demandant de devenir son protecteur. l'homme, pourtant marié, mort à l'hameçon. Mais Kimura, le pauvre employé éconduit s'aperçoit de la ruse de la geisha et décide de les dénoncer à la femme de son patron. Il enlève ensuite la jeune femme et la bat, alors que sa soeur vient de la quitter violemment après avoir appris sa supercherie à propos de Furusawa, qu'elle aime. Mais ce dernier la quitte alors qu'elle est au chevet de sa sœur blessée, car sa femme a réussis a réouvrir un magasin et demande son aide. Les deux sœurs se retrouvent à nouveau seule, maudissant leur condition et la lâcheté des hommes.


  Mizoguchi avait vu sa sœur vendu par son père comme geisha pendant la crise économique qui frappa le Japon. Voila peut être pourquoi ces personnages de prostituées sont devenus en quelques sorte sa marque de fabrique, et son plus grand combat la défense des femmes dans une société encore très machiste. Pourtant "Les Soeurs de Gion" est loin d'être tendre envers elles. Omocha et Umekichi ont beau être deux sœurs, elles sont de caractères bien différent. Si l'ainée (Umekichi) est respectueuse de sa condition, plutôt sympathique et attentionnée et laisse une bonne place à ses sentiments, sa cadette a pour seul but de sortir de la misère et de son état de geisha. Alors qu'Umekichi voudrait bien remplacer la femme de Furusawa qu'elle aime, Omocha souhaite trouver un homme riche, en faire son protecteur et vivre dans la facilité et le luxe. Elle n'aime pas les hommes et entend se servir d'eux comme ils se servent d'elle. Elle outrepasse le code des geishas, a plusieurs client à la fois, ment et trafique dans le dos de sa sœur. A première vu on pourrait croire que Mizoguchi se fait lui aussi le chantre du machisme, voulant montrer la vénalité des femmes. mais non. Il ne porte aucun jugement de valeur sur cette femme, et explique plutôt son comportement par celui des hommes, odieux la plupart du temps avec elle. Ce qui fait que lorsqu'elle en rencontre un de sincère (Kimura), elle use de lui et le jette pour séduire son patron (Kudo), plus riche. de lus le contrepoint des actes d'Omocha est toujours apportés par Umekichi, ce qui rend la démarche de Mizoguchi très habile. Loin de ne montrer qu'une seule vérité, il multiplie les points de vue en dédoublant son personnage. Il attaque ainsi les hommes à travers la sœur ainé, qui, soumise en respectueuse n'avance pas et vis pauvrement. La déception finale vient pour elle de Furusawa, qui semblait attentionné, bon et sincère envers elle, mais qui la quitte sans prévenir dès que sa femme siffle et qu'un emploi se présente au loin. Lui aussi semble avoir abusé d'elle, ou en tous cas n'avoir pas été à la hauteur des sentiments que lui portaient Umekichi.

  Dans le monde que décrit Mizoguchi la seule valeur qui compte semble être l'argent, la réussite. Omocha en veut pour vivre facilement, elle joue pour cela avec sentiments des autres de façon calculé, délibéré et cruelle. ceux qui sont floués pour avoir été naïf ou trop généreux ne tardent pas à se venger, montrant par la une nature mesquine et rancunière. personne n'est vraiment bon sauf peut être Umekichi, elle aussi perdante. Auncune voie ne semble mener à la réussite par les deux soeurs, ni le réalisme machiavélien ni la générosité et l'attachement. Par les sentiments ou la raison, les femmes sont aliénées et perdantes. Kudo, le patron qui prend un temps sous son aile Omocha est piégé par sa femme mais s'en sort, Kimura se venge terriblement, Furusawa s'en va rejoindre sa femme, même s'il était sincère et attentionné envers Umekichi. Une geisha reste une geisha, un objet, une distraction passagère pour les hommes, pas un attachement, encore moins un chose qui créerait des obligations. Malgré sa gentillesse Furusawa a lui aussi intégré cette vision des choses, qui ne semble pas prête de changer.

  Mizoguchi se montre néanmoins tendre avec les geishas dans sa mise en scène très esthétique, bien que dure car réaliste et intimiste. Il utilise les ellipses et ne fait que sous entendre les épisodes sexuels ou violent du film. Peut être est ce aussi pour ne pas choquer le public de l'époque, mais cette mise en scène crée une ambiance étrange, belle qui accroit encore le malaise face au désespoir de la situation des femmes. Le regard du cinéaste est lucide, cruel presque, réaliste en tous cas (même si lors de la sortie du film dans deux salles, les geishas se plaignirent de la mauvaise image que cela donnait d'elle !) et il semble sans grand optimisme sur l'évolution des choses. En 1936, on le comprend sans peine. Ses films d'après guerre montreront un regard bien plus ouvert et moins noir, même s'il continuera à montrer les femmes et leur aliènation sans la moindre idéalisation.


  Les soeurs de Gion est donc un bon film de Mizoguchi, qui a bien sur subit les outrages du temps notamment sur la qualité de la réalisation, très sobre, pas encore vraiment développé et recherché mais qui, comparée à la production japonaise de l'avant guerre, impressione déjà et laisse présager les futurs chefs d'oeuvres du réalisateur. Du point de vue de l'histoire, Mizoguchi ne tombe jamais dans la facilité ou la simplification, il reste juste et réaliste quitte à être froid. Sa plongée au coeur des sentiments dans le quartier des Plaisirs de Kyoto est passionante, en tant que témoignage d'un autre temps mais aussi en tant que bon film d'un très grand réalisateur.


 La fiche Imdb de Sisters of Gion.


Carcharoth.


Publié dans Japon

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C
Salut, je viens de laisser un lien sur mon blog vers cette excellente critique. Pour ma part je me suis ennuyé à regarder ce film, plein d'imperfections techniques, mais je reste dans un éblouissement sans égal pour Conte de la lune vague, et je m'attends à la même chose à chaque Mizoguchi.
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