Eros+massacre. Trop de plus entraine le moins pour la nouvelle vague japonaise.
Eros+massacre (Erosu Purasu Gyakusatsu), Yoshishige Yoshida, Japon, 1969.
1969, année érotique avait dit Gainsbourg, Yoshida y rajoute le massacre. C'est aussi l'année ou sort L'armée de sombres de Melville, ou encore le Z de Costa Gavras. En France c'est déjà la fin de la nouvelle vague, en tous cas cela fait longtemps qu'elle a commencée. Au Japon, c'est la même chose. Les réalisateurs ont entamés grosso modo le même processus au même moment, sauf qu'au japon la Shochiku remplaçait les Cahiers. Pour le reste je n'en sais rien, je ne suis pas spécialiste de cette période ni de ses réalisateurs, et je ne saurais vous décrire dans le détail avec des anecdotes marrantes l'épopée des Oshima, Suzuki, Imamura ou Masumura. Il s'agissait avant tout de changer de registre de film et de s'affranchir des contraintes, des conventions posées par leurs aînés. Bien qu'ils soient leurs élèves (et non pas des critiques comme les français, raison pour laquelle (entre autres) je préfère la N.V. Japonaise). Ainsi, les réalisateurs de ce courant ne réalisent ils plus de Yakuzas-eiga ou de Chambara, mais s'attaquent à la satire sociale, au film critique, sociétal. Comme leurs collègues français, ils tentent d'élaborer une nouvelle forme de cinéma, plus encore, de déstructurer le cinéma mis en place par les "anciens". Ils mettent en scène le cinéma lui même et la mise en scène, certains de leurs films sont des essais sur le cinéma plus que des films.
Venons en maintenant à Eros. Le film, dans sa version présentée par Carlotta pour la rétrospective qui a eu lieu en Mai 2008 à Paris, dure 3h26. Et on les sent s'écouler ces longues 206 minutes. Le film est extrêmement dense, complexe, possède une foule de niveau de lecture, perd un peu son spectateur, on est noyé sous ce poids, cette chape qu'installe Yoshida. J'ai peut être ressenti lors de la projection la même chose Qu'Anna devant Un conte de noël, de Desplechin. Sans doute pas pour les même raisons, car les deux films sont (très) différents, mais ce à quoi j'ai pensé durant l'entracte que je me suis accordé au bout de la deuxième pour boire un coup et faire un peu retomber la pression. J'ai aussi tout de suite pensé à la dernière phrase de l'article d'Epikt sur le sujet (il a eu le DVD de Carlotta avant moi, j'ai donc lu en diagonale son article avant de voir le film): "...moi non plus, j'ai rien compris." Car en effet, moi non plus je n'ai pas saisi grand chose à ce film. Il pourrait être une des réponses possibles à la question qui se pose sur les blogs participants au blog depuis quelques jours : "Connaître l'histoire est il primordial pour bien comprendre un film ?". Le film raconte en effet l'enquête de deux jeunes étudiants en manque de repère sur la vie de Sakae Osugi, un anarchiste japonais du début du siècle, assassiné en 1923 par l'armée, qui vécut une histoire passionnée avec trois femmes à la fois. Les deux jeunes entendent explorer les relations des personnages et l'influence qu'elles eurent sur leurs opinions politiques.
Ce film n'est en fait que le début d'une réflexion qui durera trois films (+ purgamen eroctica et coup d'état), mais qui atteint dès le début son paroxysme, Yoshida considérant Eros comme son meilleur film, son plus "audacieux" en tous cas. Et je n'en doute pas. Comme je l'ai déjà dit, Eros est très dense. Il est probablement impossible à comprendre en un seul visionnage, encore plus impossible à analyser dans les mêmes conditions. Et pourtant je vais essayer de le faire, car je risque de ne pas le revoir avec un long moment. Autant dire que ce que je vais déblatérer n'aura pas grand poids ni profondeur, et aucune rigueur, m'enfin...
Non content de n'avoir rien compris et de tout de même m'autoriser à le commenter (quelle impudence !), je m'en vais le critiquer. Car je n'aime pas les films que je ne comprends pas. De plus, idéologiquement, ce film était déjà périmé à sa sortie selon moi. Il m'a d'ailleurs fait penser, par ses dialogues abstrait sur la révolution et l'émancipation des hommes, la liberté absolue (!), la nécessité d'intégrer le mouvement ouvrier à la lutte au film d'Oshima "Nuit et brouillard au Japon". Je n'ai lu jusqu'ici que des critiques assez voire très positives, et je me sens d'un coup très seul. Ce n'est pas par plaisir d'aller à contre sens que je vais en dire du mal, ni parce que ce film appartient à la nouvelle vague et que mon penchant à critiquer sans fondement son homologue française est bien connu, ni pour me démarquer et faire grimper en flèche le nombres de visiteurs c'est juste que j'ai eu du mal avec la forme du récit et le récit lui même.
Pourtant, et autant commencer par la, j'adore certains cinéastes de ce mouvement, comme Imamura, je suis plutôt emballé par les cinéastes qui dépasses les conventions et sont audacieux. Aujourd'hui Miike et Tsukamoto par exemple. Et j'ai trouvé ce film très beau. Mais le fond idéologique, politique, intellectuel de ce film m'a un peu agacé pendant plus de 3h. Jean Douchet a beau dire que c'est un film "qu'il faut absolument avoir vu" (et il a raison !), il faut aussi absolument le recadrer dans son époque, dans son contexte et ne pas oublier de le critiquer et de viser ses points faibles. Il y a en effet dans ce film une manière de faire du cinéma qu'on peut ne pas aimer, même si la vision que semble avoir Yoshida de cet art est elle, hautement défendable. Un peu comme avec Funny Games et les propos tenus au moment de sa sortie dans Telérama par son réalisateur (M. Haneke), il faut savoir pour moi faire la différence entre une oeuvre unique, qui doit se suffire à elle même, et le commentaire qu'en fait son réalisateur et la critique ainsi la figure du réalisateur lui même et de ses engagements. Clint Eastwood a beau être républicain, il peut faire des films sociaux très humains ; tout comme Robin Williams peut jouer dans des films engagés alors qu'il soutient Bush et sa croisade en Irak. Le vision qu'a le spectateur du film peut varier, un réalisateur et encore moins un critique n'ont a imposer une façon de voir le film et de le comprendre.
Donc, malgré la sympathie que je peux éprouver pour Yoshida à la vue de ses interview et de son combat, je n'ai pas accroché à ce film, que je pourrais presque (le presque a son importance) qualifier de pédant.
En fait tout ce qui entend parler de l'Homme, de la révolution, du renversement des valeurs, de liberté, d'absolu tend vite à me sembler pédant et faussement intellectuel, surtout lorsque cela dure plus de 3h avec une forme incohérente.
On sent Eros+Massacre très ancré dans une culture de gauche, donc très inspiré de l'occident et des idées européennes et russes. J'ai ainsi noté quelques références (un nombre incalculables ont du m'échapper, tant la moitié des phrases ont l'air d'être des citations adressées en clin d'oeil au spectateur avertit) faites à des auteurs occidentaux : Stirner, dont la pensée semble être un guide pour Noé (une des 3 femmes) et Dante. Ce premier surtout est intéressant, puisqu'il est dans l'histoire des idées l'un des premiers à avoir "tuer" dieu officiellement et surtout à en avoir tiré des conséquences, avant Nietzsche, le plus célèbre des déicides.
Comme Stirner, à qui j'ai penser tout au long du film, Sakae Osugi (et à travers lui Yoshida) veut s'attaquer à l'Etat ("si lÉtat avait simplement voulu réprimer les actes politiques de lanarchiste Ôsugi et de ses camarades, il lui aurait suffi de les arrêter et de les emprisonner. Mais, en réalité, lÉtat a voulu les massacrer, les anéantir totalement. Pourquoi ? Parce quil avait peur de la liberté dimagination quils exprimaient ? Une imagination destructive qui niait tous les éléments fondamentaux de lÉtat, mariage, famille, biens privés, etc., et finalement lÉtat lui-même"( Kijû Yoshida)), reliquat de Dieu. Il veut abolir la morale et le droit, tout ce qui aliène le Moi. Le Moi est l'un des thèmes de discussion favoris de ces anarchistes, qui sont plus en fait des individualistes radicaux que des communistes syndicalistes. En ce sens ils sont parfaitement des descendants du philosophe de la "Société des Affranchis" (cercle qui comprenait aussi Hegel et Marx, deux autres destructeurs de Dieu), avec peut être un peu de Fichte dans leurs veines. Stirner instaure un Moi Unique, un Moi qui est Dieu, donc égoïste et qui fonde sa vie sur la puissance et la domination, sur la négation de tout ce qui peut entraver l'individu, sur l'exacerbation de tout ce qui peut le renforcer. Tout est permis, dans la mesure de la confrontation des Moi et de leurs égoïsmes. La vie en couple et en groupe n'est possible que tant que les égoïsmes vont dans le même sens. La véritable situation de l'homme est la solitude et l'insurrection, qui a pour but d'assouvir sans fin la faim d'être de l'homme. L'idée que ce faisait Stirner de la révolution est assez semblable à celle qu'évoque Sakae furtivement lors d'une de ses discussions avec un collègue anarchiste, elle n'est en fait "qu'une réaction", que la réalité dément. La véritable révolte se passe chez l'individu. Cette conception crée une rupture entre les deux hommes, et Sakae se retrouve seul avec ses trois femmes. Mais cette révolte individuelle est nihiliste, et elle va dans un mur, se stoppant uniquement par la mort et le crime. "Vous n'êtes pas aussi grand qu'un criminel vous qui ne profanez rien" dit Stirner. La mort est donc une fin inéluctable pour cette philosophie nihiliste de la révolte. La mort de Sakae, mise en scène trois fois d'affiler symboliquement par les deux femmes se battant pour lui montre bien que cette idée est aussi présente dans le film. Tuer pour posséder, tuer pour pousser son égoïsme dans le même sens que la victime. C'est ainsi qu'Itsuko, qui n'a pas réussis à porter le coup de couteau à celui qu'elle aime se dénoncera auprès de la police à la place de la véritable coupable, pour "gagner" la manche. Tuer c'est en effet transgressé l'Etat et sa Loi, devenir un Unique. Logique étrange. Mais pas tellement pour ces femmes qui se voulaient émancipés en 1916.
L'absurde de la vie et de tout acte est par ailleurs évoqué dès le début, par un exemple qui ressemble fort à celui de Sisyphe : agir, atteindre le sommet de la liberté absolu, quitte à retomber et à recommencer la seconde d'après. Cela semble être l'éternel châtiment des révolutionnaires, qui se battent des années pour leur cause, et qui voie finalement triompher à leur place et au dernier moment les valeurs opposées. C'est la leçon de l'histoire que tire Sakae.
(Entre parenthèse une autre petite référence tirée par les cheveux, que j'avais envie de faire: Lors d'une scène que lui fait une de ses maîtresses, Sakae se voit reprocher d'avoir dévoiler ses liaisons multiple set assumés à ses amis. "Pour vivre heureux vivons cachés" lui dit presque Itsuko, comme l'avait dit avant elle le petit neveu de Voltaire, Claris De Florian.)
Bien. je suis conscient qu'affronter Yoshida par Stirner n'était peut être pas le plus judicieux, mais au mois ais-je fais preuve d'autant d'audace que lui ! Passons à présent à une critique plus habituelle, même si pour être prècis avec ce film il faudrais l'analyser scène par scène, ce qui prendrais pages dactylographiés, et je n'ai pas l'âme ni le talent pour écrire un essai sur Eros. Le réalisateur rend unique son film et son récit par le médium employé: deux jeunes étudiants qui questionnent le passé et l'usage à en faire. Il y cherche des réponses sans doute, la jeune femme s'offre à des hommes plus vieux mais ne ressent rien, elle veut être enflammé par l'un d'eux, mais sans succès. Le second a pour obsession convulsive le feu et la jeune fille y psychanalyse des troubles et des barrières invisibles duent à des troubles dans la petit enfance. Bref ces deux jeunes sont un peu les représentants de leur temps, des hommes et des femmes qui ont participé ou vu se dérouler les évènements mondiaux de 1968, ceux qui se sont révoltés, à la recherche de libertés et d'assouvissement de désirs. Ils se mettent en scène dans des situations que Sakae et ses femmes (Yasuka, Itsuko et Noé, dans l'ordre d'ajout à la triplette) ont pu vivre, selon eux, il hurlent, jouent, explore le passé en même temps que le présent. Voila une des questions du film, pour laquelle Yoshida convoque la forme de son art : « L'homme peut-il vivre en dépassant les temporalités ? Comment saisir cela en images ? Comment les acteurs peuvent-ils l'exprimer corporellement ? Tous ces enjeux n'ont pas été le résultat de mes réflexions, mais c'est le cinéma comme procédé qui les a rendus possibles. Le cinéma comme mode d'expression me l'a permis ». D'ailleurs la scène ou ils réfléchissent sous forme de saynète sur la forme du cinéma sous une grue, inventant un accident factice, pourrait être perçu rétrospectivement comme hommage au film de Truffaut "La nuit américaine", où une grue à un rôle... Bref...
Je l'ai déjà dit, mais ce film est très beau, on sent toute la maîtrise du réalisateur, sa longue expérience et ses réflexions sur l'art du cadrage, des plans. Ce coté la, il faut le reconnaître et le crier haut et fort, est parfait. J'ai rarement vu un noir et blanc aussi classieux, aussi bien utilisé, avec une photographie tout bonnement hallucinante, parfois saturée de blanc, puis de noir selon les idées à exprimer, selon les choses à montrer.
Mais peut être cette maîtrise est elle par la suite mal employé, dans une mauvaise direction, car bien que très intéressant et esthétiquement réussie, la mise en scène fait un peu décrocher le spectateur, qui flotte ensuite dans un espèce de brouillard, un état second qui empêche de comprendre bien un film déjà compliqué. Le récit est en effet explosé, atomisé, répartit entre différentes mains, certaines scènes sont rejouées avec des variations, la temporalité n'est pas claire, les rêves succèdent sans préavis aux délires des jeunes étudiants et à la vie de Sakae et de ses maîtresses, vie qui est elle même racontée dans le désordre. Il y a pléthores de symboles forts, les métaphores pleuvent, les références sont légions, ce film est un dédale pour le spectateur, et c'est ce qui me gène. On à l'impression que Yoshida veut cacher la vacuité par l'excès de style, l'excès de beauté et de symboles. Quand tout n'est que symbole et que tout peut être lu dans un sens comme dans l'autre, rien n'a plus de sens. Comme les personnages, en quête de la liberté absolue, Yoshida se perd en quête de symbole absolu. La liberté absolue n'existe pas, l'association de ces deux termes est même fausse, la liberté n'existe que par ses limites, ce film aurait été un chef d'oeuvre s'il était borné. Limité. Et non pas énorme, insaisissable comme le dit encore une fois très bien Epikt. 3h30, c'est trop, quand c'est superbement maîtrisé par Kurosawa dans les 7 samouyraïs je ne dis rien, c'est un bonheur; déjà chez Kobayashi (la condition de l'homme), ça pêche un peu, mais la, c'est trop. Le film à beau être magnifique esthétiquement, ça ne fait pas passer si vite le temps. 2h, oui, 3, non !
Pourtant Yoshida avait de l'idée, les thèmes brassés sont très intéressant, sur l'émancipation (on rejoins Mizoguchi, mais sur un ton plus internationaliste, plus général, on parle de l'émancipation de La Femme, pas des femme ni d'une femme) des femmes, sur le rapport au mari, sur la jalousie, sur la tentative d'amour libre avortée, sur la jalousie, sur la possessivité en amour, sur tant de thèmes qui peuvent donner des chefs d'oeuvres comme des films qu'on pourrait qualifier de branlette intellectuelle. Yoshida emploie d'ailleurs le terme de masturbation intellectuelle dans la bouche d'un des anarchistes emprisonnés discutant avec Sakae. On a parfois envie de l'accoler à son film, tant celui ci, en voulant tout brasser, finis par brasser de l'air et sombrer dans l'abstraction la plus totale. La quête de l'absolu, le besoin de croire et de se rattacher à quelque chose peut lui aussi donner des récits fabuleux comme des oeuvres plates. On est ici un peu entre les deux, le film dégage un potentiel énorme, une frustration plus importante encore de voir tant de question abordées et gâchées par une mise en scène trop intimiste et hermétique. Peut être au bout de 3 ou 4 vision, serais je plus à même d'apprécier ce film, mais cela me "coûterait" 12h de difficile compréhension, et le plaisir de la découverte de nouveau film passe avant cela. Après, c'est une conception qu'on se fait du cinéma, et je sais que la mienne est loin d'être partagée par tous les cinéphiles. Je ne suis pas de ceux qui veulent à tout prix aimer les classiques de la N.V. ou à tous prix les rabaisser, j'aime les films qui sont un minimum accessible, passionnants dès la première fois et qu'on revoit et redécouvre avec plaisir. Ici ce serait avec appréhension.
Je ne saurais donc que recommander ce film à tous ceux qui auront l'occasion de le voir pour rien, sinon je demanderais à ceux qui sont réticent au Godardisme (et à la nouvelle vague en général), au formalisme novateur et outrancier de s'abstenir. Ceux qui ont du mal à comprendre les récits déstructurés aussi, ainsi qu'au passage ceux qui ont du mal à rester assis 3h30 devant un écran. Cela reste c'est une expérience à vivre. Pas sur qu'on puisse en suite en parler correctement, mais le film suscite de nombreuses émotions.
La fiche Imdb d'Eros+Massacre.
L'avis éclairé et contradictoire d'Epikt.
Le point de vue de Critikat.
Carcharoth.