Arirang, chienne de vie de Kim Ki-Duk !

Publié le par asiaphilie

Arirang, Kim Ki Duk, 2011

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A 52 ans, Kim Ki-Duk est un cinéaste mondialement reconnu, il a reçu de nombreux prix internationaux, ses films sont distribués sur tous les continents et la critique est plutôt de son coté, aussi bien à l'étranger qu'en Corée où pourtant il a eu du mal à se lancer.

 

Pourtant un incident sur son dernier tournage lui fait stopper sa carrière. Pendant trois ans il se retire du monde, s'isole et arrête de tourner. Lui qui depuis 1996 a tourné en moyenne un film par an. Crise existentielle, perte de sens, remise en question profonde de sa vie et de ses films, voilà sans doute ce que l'on peut dire de cette période. Il vit alors dans une maison, sans eau courante, sans chauffage autre qu'un poêle. Il dort de ce fait dans une tente tellement la température descend dans sa « hutte ». Spartiate. Ou plutôt ascétique. Comme l'acide.

 

arirang-kim-ki-duk-arirang1Mais alors d’où vient ce film ? Et c'est quoi ce titre ? Arirang ? Un nom de singe ? Un plat coréen pas cher ? Une chanteuse à la mode ? Vous chauffez, mais c'est en fait trois choses à la fois. Une chanson, un col et un film perdu de l'un des premiers cinéastes coréen (1926). Ces trois éléments proposent déjà une lecture plus poétique de la situation.

Parce que Kim Ki Duk se livre, intimement, presque sans filtre, se lance dans une auto critique farouche, une analyse sans concession qu'il livre à son public telle quelle, qu'importe le résultat. Il a juste envie de faire un film, n'a que lui sous la main avec un appareil photo et un ordinateur, alors il se lance et nous offre Arirang.

 

arirang kkd1Avant d'aller plus loin, expliquons un peu les trois significations possibles de ce titre : Arirang est la plus vieille chanson populaire connue de Corée. Les premiers textes remontent à plus de 600 ans. Il en existe plusieurs versions, dont voici la plus synthétique et répandue : « Arirang, Arirang, Arariyo
Je traverse le col Arirang.
Celui (celle) qui m'a abandonné (ici)
Ne pourra pas marcher pendant dix li avant que ses pieds ne soient blessés. »

 

Ce qui permet la transition vers le fameux col d'Arirang, lieu géographique qui a inspiré la chanson (à moins que ce ne soit l'inverse, rien n'est sur!) et qui sert à Kim Ki-Duk pour lier la chanson à sa vie : monter, descendre, souffrir.

Et enfin, et ce n'est sans doute pas un hasard, Arirang est aussi le titre d'un film perdu de Na Un-gyu (1926), réalisateur mythique du premier cinéma coréen.

 

Réalisateur au passé disparate, d'origine populaire, il quitte l'école tôt, travaille dans une usine, puis sert dans la marine avant de se diriger vers une carrière de prêtre, qu'il abandonne pour se rendre à Paris et étudier les beaux arts. Il y découvre le cinéma, et retourne en Corée avec l'idée de se lancer. Remarqué par la critique pour ses scénarios, il peut rapidement réaliser ses propres films, avec très peu de moyen mais à un rythme effréné : Tournage, post-prod, écriture en même temps d'un nouveau scénario, et le cycle continue. Primé en europe, il devient vite la coqueluche de certains festivals ce qu'on lui reproche pas mal dans son pays... Mais le succès et la, la machine tourne bien, son style évolue assez vite mas continue de plaire. Son idée du cinéma est résumé dans cette phrase « J’ai une idée obsessionnelle, obstinée du cinéma en tant que mélange de tension, de crise, de paix, d’ironie et de destruction. Pour moi le cinéma, c’est tout ça à la fois. »

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Pour lui, et ses films le prouve assez, le cinéma est en effet ce mélange de violence, de poèsie, de tension vers la vie et d'envie de souffrance le tout devant s'auto-entretenir pour fonctionner. Quelque chose s'est sans doute brisé (le vase où meurt cette verveine, n'y touchez pas il est félé, d'un coup d'éventail il fut brisé ! ») lors de son dernier tournage. Kim Ki-Duk évoque un accident, la responsabilité qu'il a vis à vis de ses acteurs ; mais un tel coup d'arrêt dans sa carrière, une telle rupture ne vient pas seulement d'un épiphénomène. Le changement de style progressif, la boulimie de travail dont à fait preuve le réalisateur, ses déplacements dans les nombreux festivals européens, le manque de budget constant et des interrogations plus profonde sur sa vie ont aussi eu leur mot à dire dans ce film.

D'ailleurs il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas se rendre compte que dans son film c'est sa vie qu'il met en scène, l'être humain qu'il est et pas forcément le réalisateur. C'est un travail très personnel, et à cet égard critiquable puisque dévoilé au public. Il joue (je dis bien joue, avouant lui même qu'il se met en scène devant la caméra) plusieurs personnages, se parle à lui même, parle à son ombre dans une sorte de psychanalyse sans analyste.

Le cinéma est sans nul doute sa grande passion, sa raison de vivre même. Il vit seul, sans véritables amis, sans femme et sans enfant ; et perdre son envie de tourner l'a donc retourner de fond en comble.

Je n'ai pas vu les films qui ont suivit celui ci (ni Amen tourné la même année, ni Pieta récompensé à Venise il y a peu), et c'était un peu fait exprès. Je ne voulais pas juger de ce film à travers le prisme de ces films post-Arirang. J'ignore donc si cela a changé quelque chose à sa façon de faire, au résultat final, où si c'est seulement dans son être profond qu'il a renoué avec lui même. Mais vu ce qu'il se met dans le buffet tout au long d'Arirang, et même si une partie est peut être surjouée, il doit y avoir un Kim Ki-Duk d'avant, et un autre plus serein et en accord avec lui même après. Car si le film est -de l'aveu même de l'auteur- dramatisé, il porte en lui une sincérité et une violence qui ne laisse pas intact.

 

Le réalisateur semble en tous cas avoir toujours le même succès auprès des critiques par chez nous puisque Pieta a reçu le Lion d'or à Venise.

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La critique cinématographique d'un tel film est très dure. Du moins pour moi qui ne suis pas critique. Peut être encore si je connaissais l'homme pourrais-je en parler avec une quelconque autorité. Mais la... Kim Ki Duk peut bien nous montrer ce qu'il veut de lui, on sent bien une certaine scénarisation (et j'ai déjà dit qu'il revendique une certaine dramatisation). Il a tourné cela seul, à la fois pour lui mais dès le début avec l'idée de le diffuser et le matériel que nous voyons est donc le résultat de choix, de réflexions, d'arrières pensées qui me sont inconnus ; et tout ce que j'ai pu dire au dessus n'est que supputation. Car Arirang semble être un film charnière, une remise en question, une libération, un abandon d'une partie de soi, un règlement de compte avec la vie, avec sa vie, mais comment être sur de la sincérité de la chose. Tant sont rares les personnes capables de faire une telle chose honnêtement. J'ai pour ma part envie d'y croire et de considérer ce film comme bien équilibré sur le fil entre film documentaire, film autobiographique et fiction pré-écrite.

 

La métaphore en tout cas est belle et compréhensible dès le départ pour un public coréen : Arirang, le col, le sentier vers cette montagne qui use les pieds, symbolique assez sobre d'un chemin de vie difficile mais nécessaire. Référence donc à cette chanson qu'il fredonne régulièrement, mais aussi à un monument du cinéma, à un monstre sacré, à ce qui représente ce qu'il aime le plus dans cette vie finalement.

 

On peut tout dire sur ce film, on peut le trouver nul, inutile, le descendre en flèche, ou trouver admirable une telle franchise, un travail sur soi livré aux autres, peut être dans l'espoir de voir son œuvre comprise (puisque Kim Ki-Duk se livre aussi à une exégèse de son œuvre), ce film-confession sans divan. C'est un film inhabituel, dérangeant, cru, d'une qualité technique assez moyenne mais qu'il faut voir pour juger de la carrière de cet homme à vif qu'est Kim Ki Duk.

 

Arirang !

 

 

Bruno Zunino

 

 

Publié dans Corée

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