L'extase des Anges (ecstasy of angels), le milieu étudiant révolutionnaire décrypté par Wakamatsu

Publié le par Nostalgic-du-cool

Ecstasy of the angels (tenchi no kokotsu / l'extase des anges), Koji Wakamatsu (1972)

 

 

 

 

 

En 1971, Koji Wakamatsu et Masao Adachi sont partis en Palestine pour participer à la lutte armée du FPLP. Ils en ont tiré un film-documentaire qui leur a valu de la part des autorités japonaises plusieurs convocations et divers ennuis, et de la part d'Interpol une interdiction de mettre le pied aux USA et une surveillance policière. On sent aussi que le réalisateur et son scénariste, qui sont passés près de la mort, ont politiquement mûri et ont réfléchi sur la lutte armée des factions d’extrême gauche au Japon. L'extase des anges, qui est le cinquième film de Wakamatsu depuis son retour du proche-orient porte la marque de cette évolution, qu'après avoir vu Season of Terror (voir mon avis mitigé ici) je trouve salutaire. En effet si le film cité m'avait ennuyé, celui ci est bien plus vivant, plus axé sur la politique et comporte bien plus de scènes d'action ; ce qui après tout lorsqu'on veut parler des activistes de gauche est normal !*




Bien que l'on ne puisse pas parler d'une seconde période dans son cinéma -tant son style et ses thèmes restent les même-, on peut néanmoins dire que c'est un Wakamatsu nouveau qui réalise Ecstasy of angels. Formellement et visuellement l'évolution n'est pas flagrante, mais le propos est bien plus explicite et radical. On sent que sa formation politique s'est renforcé et qu'il se sent apte à porter un message fort et osé.

 

L'histoire est celle d'une organisation révolutionnaire, la compagnie, dont les membres sont répartis en saisons, dirigés par un mois et chacun d'eux porte le nom d'un jour de la semaine. Ici nous avons le groupe d'Octobre qui vole une base américaine afin de se procurer des munitions. Mais les GI's tirent, trois d'entre eux meurent, et Octobre est aveuglé. Le groupe est alors exclu de la lutte, et les explosifs chèrement acquis sont volés par le groupe de Février, de l'aile « Hiver ». Les survivants du petit groupe se questionnent sur la voie à suivre, obéir à leur haut commandement et se soumettre aux directives d'Hiver, ou faire sécession et agir individuellement. Les débats font rage, mais très vite quelques uns décident d'agir seul et violemment, en faisant exploser des postes de police.

 

 

Koji Wakamatsu, que l'on savait très proche des mouvements étudiants d'extrême gauche depuis ses tous premiers films continue d'analyser cette partie de la population mais donne en plus un avis assez tranché sur la façon de mener la lutte, sans doute suite à ses expériences japonaises puis palestiniennes de combats armés, et fort de son expérience de yakuza dans ce domaine. S'il nomme les deux chefs de groupes Octobre et Février ce n'est pas dû au hasard, mais sans doute en référence aux révolutions russes de 1917 (Février étant la révolution populaire et spontanée, Octobre celle menée par les Bolchéviques) qui sont la référence des groupes étudiants révolutionnaires de cette époque. Wakamatsu quand à lui, ayant vu les échecs successifs de ces mouvements très divisés, disparate revendique la lutte individuelle, chacun avec ses moyens mais tous dans le même but, le renversement de l'état. En effet, organisation contre organisation les étudiants ont toujours perdu les batailles, à cause des trop nombreuses subdivisions et branches du mouvement, où chaque homme se revendiquait d'un petit groupe en oubliant le but final. La scène quasi-finale où la femme qui dirigeait les choses s'excuse pour sa « terrible erreur » dit bien la pensée du réalisateur qui préfère l'action solitaire aux coups d'éclats de groupes, quitte à se faire taxer d'anarchiste.

On perçoit bien en effet tout au long de l'Extase des Anges toute la rhétorique, le verbiage et les débats théoriques qui sont le lot de ce genre d'organisations qui adorent pinailler sur des détails en sortant de grandes et belles idées et qui, au final ne font pas grand chose. Le groupe à tout prix, la lutte dans la masse, l’intérêt de l'organisation primant sur tout sont autant de chose que rejette le groupe Octobre après que deux d'entre eux se soient fait torturés par une autre branche révolutionnaire dans le seul but de leur voler des explosifs. C'est cet élément déclencheur qui amène la réflexion et le débat au sein du petit groupe.

 

L'élément politique et rebelle est donc très présent dans ce film, qui reste malgré tout un pinku même si les scènes érotiques sont moins nombreuses. La première est violemment interrompue par le groupe de Février, puis se poursuit à travers le viol de la jeune fille par le groupe sus cité. D'autres suivent et éclairent un peu les relations entre les différents étages de cette organisation. Un membre d'Octobre couche avec la chef suprême, octobre couche avec une fille de son groupe, mais la grande chef aime encore Octobre, alors que parallèlement elle donne ses ordres à Février sur l'oreiller. Liens très complexes donc qui unissent et sont en quelque sorte le ciment de l'organisation. Remarquons aussi que les femmes sont moins passives dans ce film que dans les précédents et sont égales aux hommes dans les actes.

 

 

La mise en scène change assez peu, même s'il y a une tendance à une meilleure maitrise de différents effets. L'élément que l'on a déjà cité, à savoir l'irruption violente du groupe de Février alors que deux activistes d'Octobre font l'amour sert à créer un effet de tension dès que Wakamatsu filme par la suite des portes dans des plans qui rappelle celui du début, si dramatique. Par ailleurs le procédé de part color est utilisé assez indifféremment dans le film. Ni réservé aux scènes érotiques, ni aux scènes d'activisme on a du mal a en saisir le sens précis. Peut être révèle-t-il une prise de conscience des personnages présents, mais d'autre scènes du même genre sont en Noir et Blanc... Ce site y voit un hommage au film If de Lindsay Anderson où les passages couleur / noir & blanc était assez arbitraires. Le passage extérieur / intérieur est par contre bien visible dans la façon de filmer. Le caméra à l'épaule saccadé au montage très rapide s'oppose très bien au calme des plans presque fixes et longs des intérieurs : l'action se situe à l'extérieur, alors que l'intérieur est plus le temps des discussions théoriques, même si la violence et le sexe y ont aussi leur place.

 

 

Bref, on peut affirmer que ce film est l’œuvre d'un réalisateur plus mur, qui s'affirme comme un artiste rebelle, anarchiste qui décrypte tous les noirs aspects d'une société japonaise très mouvementée. Pour lui sexe, politique et violence sont intimement liés et il le montre clairement. Un film très réussi qui met en relief le milieu étudiant d’extrême gauche, une belle introduction au cinéma de Koji Wakamatsu !

 

NB : il semblerait que Kazuyoshi Kumakiri se soit fortement inspiré de ce film pour réaliser son Kichiku (1997)...

 

 

Carcharoth




Publié dans Japon

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