Bandits vs Samurais (Kumokiri Nizaemon), dernier chambara d'Hideo Gosha (1978)

Publié le par Nostalgic-du-cool

Bandits contre samouraïs, Kumokiri Nizaemon, Hideo Gosha (1978)





Hideo Gosha est arrivé au cinéma par le film de sabre (chambara, sous genre du Jidai geki, film en costume) et il bénéficie pour cette partie de son œuvre d'une considération exceptionnelle des critiques et des spectateurs. Sa période chambara s'étend en gros de Sanbiki no samurai (trois samourais hors la loi, 1964) à Hitokiri (1969). En huit films il révolutionne le genre, se l'approprie complètement et dresse un portrait sans concession, noir et parfois nihiliste de la condition des samouraïs à l'ére Tokugawa. Ce « petit maitre japonais » (dont Wildgrounds dresse un portrait pour ceux qui s'y intéresse) était donc un grand cinéaste. Il le prouve encore entre 71 et 74 avec deux films de yakuzas cette fois. Puis, après une absence de quatre ans, il revient à ses premières amoures avec ce Bandits contre samouraïs, son dernier film de chambara, et donc potentiellement son plus aboutit, du moins celui où sa réflexion sur le monde des guerriers serait la plus poussée.




 

Le titre donne le point central du film, une lutte acharnée entre une équipe de policiers spécialisés dans le banditisme et une bande de brigands qui pillent les plus riches demeures sans être inquiétés. D'un coté Kumokiri Nizaemon, chef insaisissable de la bande de voleurs, de l'autre Shikibu Abe, samouraï dirigeant l'unité spéciale de police qui doit à tout prix faire cesser les agissements du rusé bandit. Le film se développe en de multiples étapes qu'il serait fastidieux de raconter dans leur intégralité. De nombreuses fois les policiers croiront tenir Kumokiri dans leurs griffes mais toujours il s’échappera. Trahisons, luttes intestines, affaire vieille de 10 ans, intrigues de pouvoir et corruption, Gosha montre tout et filme de façon omnisciente (le film dure 2h40), sans prendre parti pour un camp. Bandits et samouraïs sont tous humains après tout.

Il est tout de même important de noter pour la suite que Nizaemon le bandit est un ancien samouraï du clan Owari, déchu injustement et dont on a massacré toute la famille pour sauver l'honneur du clan. Ce n'est donc pas un simple brigand de grand chemin , qui serait vénal et cruel.




En dix ans, et après deux incursions dans le film de yakuzas, la vision d'Hideo Gosha sur les samouraïs ne s'est pas attendrie, et comme elle ne pouvait pas vraiment devenir plus sombre, nous dirons qu'elle est restée fidèle à elle même, et ce alors que durant ces dix ans le chambara s'est galvaudé, est devenu un genre un peu délaissé et dont les codes sont devenus bien plus violents et sanglants. Peut être donc Hideo Gosha a-t-il, relativement aux réalisateurs qui font du chambara en 1978 perdu un peu de son étoffe contestataire et de sa primauté dans le genre.

Mais les autres réalisateurs n'ont pas laissés la marque de Gosha et n'avait pour la plupart pas sa carrure et son expérience (hormis peut être un Fukasaku?), ce qui me permet de dire d'avance que Bandits contre samouraï n'est pas un chambara dans la masse, identique aux autres. C'est une magnifique fresque, d'une très grande maîtrise technique, l’œuvre d'un grand réalisateur que nous allons essayer d'analyser maintenant.




Commençons par souligner l'ampleur du métrage, plus de 160 minutes, de nombreuses scènes de combats au sabre, des décors de château, des intérieurs soignés, beaucoup de figurants requis pour jouer les policiers et les domestiques souvent présents, des costumes toujours impeccables, une photographie maitrisée et deux acteurs au sommet de leur art, Tatsuya Nakadai et Kotshiro Matsumoto, moins connu au cinéma mais adulé en tant qu'acteur de kabuki au Japon.


Ces deux immenses personnalités sont secondés -et bien plus- par toute une série de rôles plus mineurs : bandits, femmes voleuses, fidèles lieutenants, etc... A eux seuls ils nous tiennent en haleine durant toute la durée de film, ce dernier ne souffrant d'aucun temps mort, d'aucun ralentissement, d'aucune perte de souffle ! Et pourtant en ce moment je suis plus habitué aux 70 minutes des pinku de Wakamatsu qu'à ce genre de film-fleuve ! C'est vous dire ! Outre la charisme des acteurs, il faut souligner la qualité du scénario qui aligne les rebondissements et les épisodes haut en couleurs tout en révélant petit à petit des traits de caractère important des différents protagonistes. Si l'on s'attend au début à assister à une classique lutte entre un méchant et un gentil, la désillusion et l'enthousiasme seront vite au rendez-vous puisque Gosha offre à ses «héros » de véritables personnalités, une profondeur qui ne s'arrête pas à leur occupation professionnelle. Si Shikibu Abe est un flic honnête et défenseur de l'ordre établit il n'est pas sans s'interroger sur les motivations de son adversaire et porte un regard critique à l'égard de ses supérieur et des élites corrompues. Il est face au dilemme de continuer à servir ces hommes qu'il juge sévèrement ou de laisser les voleurs brigander impunément. Quant à Nizaemon, comme je l'ai déjà dit, il est un ancien samouraï, aujourd'hui dégouté par le système qui a fait tué toute sa famille et la femme qu'il aimait. On comprend donc que le banditisme et le vol de notables soit une occupation qu'il affectionne, d'une part car elle protège sa véritable identité en le faisant vivre dans une monde marginal, et d'autre part car il rançonne ceux la même qui maintiennent le système en place, vivant grassement sur son dos.

A travers eux c'est évidemment la condition du samouraï qu'attaque Gosha. Celui ci est tenu par un carcan de loi, de normes et de rites dont s'est affranchi le voleur pour ne plus être obligé d'agir cruellement, de tuer et de massacrer pour d'absurdes raisons. Car si certains samouraïs comme Shikibu Abe sont encore vertueux, nombreux sont ceux qui ont cédés au dieu argent. Ainsi l'un des policiers est il un espion des bandits qui lui graisse la patte. Il n'accepte cette condition que parce qu'il veut à tout prix offrir à sa femme un salon de thé qui lui permette de vivre décemment. Repéré, il est banni et déchu de ses fonctions, traité en impur et en moins que rien par ses anciens collègues et sa hiérarchie. Encore doit-il s'estimer heureux de ne pas être exécuté !




Autre exemple de déchéance, le masseur aveugle (Zatoïchi?) qui assiste à un cambriolage est en fait un ancien samouraï, autrefois chargé de tuer Nizaemon que ses samouraï avaient ensuite -croyant la mission accomplie- trahit et jeté du haut d'une falaise. Le cynisme des élites dirigeantes n'a d'égal que leur cruauté quand ils vantent les belles valeurs des samouraïs, car ce n'est que pour mieux servir leurs intérêts au moment où il en on besoin !

La duplicité du discours officiel apparaît de nombreuses fois dans le film, et toujours les exécutants honnêtes et disciplinés finissent éventrés, tués en traitre par les maîtres qu'ils servent aveuglément. Plusieurs fois, de la même manière on entend revenir un certain type de discours : cela ne doit pas se savoir, il en va de la survie (entendez l'honneur) de notre clan, etc, etc. L'honneur, la vertu sont toujours prétextes à des meurtres sordides, entre deux couloirs et justifient tout.

Pour échapper à cela, il faut être soit mendiant soit bandit. Le frère de Nizaemon et celui ci choisissent deux voies différentes pour à la fin se retrouver tous les deux face à leurs anciens démons et rendre la justice à leur façon.


Le seul de tous les personnages qui finisse le film en riant malgré tout c'est le marchand, richissime commerçant qui est la dernière proie des voleurs de Kumokiri, et qui se marie avec l'une d'entre eux sans se douter qu'il s'agit juste pour elle d'apprendre où il cache ses pièces d'or. Le lendemain du sac, et alors qu'il a tout perdu et que sa maison a été dévasté par les brigands et les forces de polices venus pour essayer de les interpeller, il éclate de rire et s’esclaffe : c'est la plus mauvaise affaire que j'ai jamais faite ! Voilà la morale qui permet de se sortir de tout sans encombrer sa conscience ! Il avait acheté une femme, elle le vole, tant pis, il refera sa fortune et en achètera une autre !

Voilà comment pensent et agisse les véritables maîtres de cette ère TokugawaGosha place son action. Il choisit pourtant sciemment le cœur de la période -et non pas comme souvent la fin troublée et chaotique propice aux films noirs- afin de renforcer son propos en enlevant aux hommes l'excuse facile des temps troublés qui oblige à toutes les compromissions. Ici nous sommes au moment le plus prospère, le plus stable du règne des Tokugawas. C'est donc le système et les individus qui le composent/défendent qui sont dans le viseur.




Pour continuer à louer la réalisation léchée et les combats impressionnants d'intensité, il ne faut pas oublier la musique qui accompagne le film, faisant un peu penser à du Morricone asiatique, elle relève avec goût les différentes scènes du film, avec un leitmotiv facilement reconnaissable.


Bandits contre samouraï se révèle donc être bien plus qu'une simple lutte entre bons et méchants guerriers autour de quelques pièces dorées. C'est un film qui dénonce l'inhumanité de cette société qui applique des valeurs sans s'occuper de leurs conséquences directes et absurdes, qui achève de détruire le myhte du beau et gentil samouraï, tout en critiquant joyeusement l'esprit boutiquier qui lui semble opposé en tout. Pour autant les voleurs, que l'on croit libres et plus humains ne finissent pas mieux que les autres ; puisqu'à la fin l'homme est seul, et la solution est peut être pour Gosha dans une sage et raisonnée solitude qui garde l'homme de ses instinct grégaires si dangereux...

  Sans conteste l'un des meilleurs d'Hideo Gosha, foncez les yeux fermés !



Carcharoth.



Publié dans Japon

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