Le Grand Attentat, par Eiichi Kudo (1964)

Publié le par Nostalgic-du-cool

# 7 Le Grand Attentat (the Great killing / Dai Satsujin), Eiichi Kudo, 1964.





Eiichi Kudo, dont on a déjà eu l'occasion de parler sur ce blog et dans la revue web Alter|Réalités est un réalisateur japonais méconnu du grand public occidental. Et pour cause, son œuvre essentiellement réalisé au sein de studio prestigieux a été éclipsée par d'immenses stars comme Hideo Gosha, Kinji Fukasaku, Okamoto, Misumi ou Oshima dont les noms sonnent dans bien plus de bouches anglo-saxonnes et européennes. Pour autant la qualité de son travail au sein de la TOEI est reconnu par de très nombreux critiques et réalisateurs dans son pays mais aussi à travers le monde. On lui accole souvent l'étiquette de « faiseur » de film, d'artisan honnête mais rarement celle de grand artiste ou de maître comme on a pu le faire avec Ozu, Kurosawa ou Mizoguchi. Mais si son travail est en effet essentiellement le fait de commandes, il n'en demeure pas moins que Kudo a su, dans le monde bien cadré des studios réaliser des films de très grande qualité, d'une intensité remarquable et d'une profondeur supérieure à celle que l'on connait habituellement pour des œuvres destinées à être rentables (et non pas « auteurisantes »).



 

Il en va ainsi pour le Grand Attentat, œuvre de chambara classique, qui sous des dehors de film de sabre en costume est fortement marqué par son époque et en évoque de nombreux aspects. Par son ton, l'idéologie développée et la mise en scène Kudo bouleverse lui aussi (à l'instar d'Okamoto et Gosha par exemple) la figure du samouraï et sa place dans la hiérarchie shogunale. Critique de la société passée donc, mais aussi de celle en place. Réalisé en 1964, dans une décennie riche en remises en question sociétales et cinématographiques (nouvelle vague), le Grand Attentat est un film témoin de son temps, où les liens de loyauté et de fidélités qui unissent intimement un seigneur (patron) à son guerrier (employé) sont mis devant leur absurdité et leur unilatéralité ; où les faibles et les exclus se révoltent et s'arment contre la cruauté, le mépris et le népotisme des grands du pays. On retrouve en effet dans ces quelques hommes écrasés par la société les revendications des jeunes étudiants que dépeignent par exemple les films de Wakamatsu ou de Yoshida. La lutte violente pour plus de justice contre une bureaucratie autoritaire et corrompue est exactement celle que mène les groupuscules étudiants qui n'hésitent pas à descendre armés dans les rues pour réclamer une plus grande considération auprès de leurs ainés et « supérieurs ».


Il est fait dans le film une belle apologie par la technique du négatif de l'engagement politique. Jinbo, l'un des personnages centraux se révolte en effet contre le désintéressement de son sauveur en matière d'affaires du monde. Il ne réclame que la paix : « Je ne dérange personne pour vivre, qu'on me laisse en paix ». Jinbo lui, vient de perdre sa femme à cause du zèle des fonctionnaires de police et il trouve que ce détachement est lâche et revient en fait à être l'inverse du comportement que prêche son ami (qui est lui même un ex samouraï blasé). Il trouve la figure opposée à celle ci dans un autre samouraï déchu et très pauvre, mais qui garde le sourire, la force de faire vivre dignement sa famille tout en aidant les conspirateurs contre le pouvoir en place. Ainsi Kudo arrive à faire résonner son film, censé se dérouler au début de l'ére Tokugawa (1678) jusque à l'époque contemporaine et à parler de manifestations estudiantines en filmant des samouraïs s'attaquant à un chancelier véreux soutenu par un policier un peu trop fidèle.




Considérer Eiichi Kudo comme un bête faiseur de chambara est donc certainement une erreur, mais même si l'on ne considère que l'aspect « film de sabre » le Grand Attentat est une œuvre remarquable et différente. La dernière partie, celle de la tentative de meurtre est tout simplement bluffante de dynamisme, de fureur et d'intensité dans les combats, car filmée caméra à l'épaule à travers les rues du quartier des plaisirs, dans des rizières et canaux d'irrigations. On y voit la panique, le bordel, le carnage, la mort d'hommes sabre à la main et pour finir le revirement politique de l'un des protagoniste que bouleverse tout et change la face du Japon...

La tension dans ce film monte progressivement, au rythme des arrestations de félons, des tortures, des réorganisations au sein du groupe de rebelles, des trahisons, et au fur et à mesure que la carapace et le rôle de chacun se fissurent et laissent transparaître faiblesses et lacunes.



 

Il s'agit donc d'un classique du cinéma japonais, et non pas simplement d'un bon film de genre. Kudo a su capter le mal être de la société japonaise des années 60 et la retranscrire en film de sabre, tout en fournissant quelques pistes de réponses, quelques éléments savamment distillés dans un scénario très bien bâtit, avec une intrigue solide et haletante, quelques beaux rebondissements servis par un sens du rythme impressionant. Les acteurs ne sont pas les plus charismatiques du moment (Nakadai ou Mifune), mais se débrouillent très bien et offrent de bonnes prestations.

J'ajouterais que le travail d'édition de la Wild Side pour le DVD français est excellent et qu'il permet au grand public de redécouvrir une œuvre superbe et un réalisateur encore mal apprécié bien qu'il ait été l'un des meilleurs de sa génération, dans une époque clé et passionnante du cinéma nippon.



 Carcharoth


L'article de Wildgrounds





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