Tuer (Kiru), de Misumi : La noire condition du samouraï.

Publié le par Nostalgic-du-cool

cycle 
 
 cinema japonais

Tuer (Kiru), Kenji Misumi, 1962, Japon.

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 « Tuer » est le premier volet de la Trilogie du sabre de Kenji Misumi (les deux derniers épisodes étant le Sabre et la Lame Diabolique). Le réalisateur, qui est alors le spécialiste de la Daiei (grand studio de cinéma) en terme de Jidai Geki offre avec cette trilogie une vision des plus sombres et fataliste de la condition de samouraï au XIXème siècle.

 Connu surtout pour sa participation aux saga Baby Cart et Zatoichi, Misumi révèle un véritable talent de metteur en scène, déjà remarqué dans le Passage du grand bouddha et ses deux suites. Il poursuit dans cette trilogie son travail sur la caste des guerriers en cette période tourmenté proche de la chute du Shogunat. Avec lui, et alors que la Chambara commence à perde de son importance dans le paysage cinématographique japonais, le genre prend une nouvelle dimension et s’émancipe. L’arrivée de la couleur, de réalisateurs très soucieux de la forme et à l’esprit bien plus ouvert et noir donne au film de sabre historique une nouvelle dimension, un nouveau souffle que l’on redécouvre aujourd’hui avec plaisir.

 

 Shingo est un homme marqué par le sceau du destin : bébé, sa mère fut assassinée et il fut confié à un homme de confiance qui l’éleva comme son fils. Devenu homme, vivant heureux avec les siens, il est victime de ses talents au sabre qui suscitent bien des jalousies et délient les langues. Son père adoptif et sa sœur sont tués par un vassal du seigneur jaloux du nouveau prestige de Shingo. Il ère alors sans véritable but, jusqu’à ce qu’il rencontre un haut fonctionnaire du Shogunat, auquel il sert de garde du corps. Mais en cette période de fin de cycle, la transition est difficile, et sa fidélité au Shogun a pour prix sa vie…

 Tuer. Telle est la seule fonction de Shingo. Telle est la seule place qu’il trouve dans la société. Dans ce monde en mutation, la société traditionnelle et particulièrement ceux qui symbolise le mieux le passé guerrier de ce monde féodal, a bien du mal à s’adapter et à trouver une place. Shingo est un éternel rejeté. A peine né, sa mère est décapitée, par son propre père qui plus est. Puis c’est son clan qui l’expulse, en tuant sa famille d’adoption et en lui crachant ses origines à la figure. Enfin c’est le système tout entier qui le tue, et avec lui sa caste et son monde, le shogunat et la féodalité. Trois femmes le marque à jamais : sa mère, tuée pour avoir sauvé son clan en poignardant une concubine envahissante, sa sœur, tuée pour rien, pour lui faire mal, et enfin une autre sœur, d’un frère recherché pour avoir vengé son père, qu’il ne saura protéger et qui se fera tuer pour sauver son frère… Ce même frère qui tentera de le tuer en même temps que l’envoyé du Shogun. Il n’y a à aucun moment d’échappatoire, et Shingo semble le sentir. Même si il semble heureux et promis à un bel avenir dans sa famille d’accueil, le destin ne tarde pas à remettre la main sur lui. Encore, lorsqu’il cherche un adversaire à sa taille pour le tuer, il tombe sur un homme avisé qui le recommande au conseiller du Shogun. Entre eux se lie vite une relation d’amitié (d’amour ? Il faut le voir…), père / fils, en tous cas le héros semble reprendre goût à la vie. Mais l’éclaircie n’est que passagère, la traîtrise a tôt fait de le rattraper, tuant son maître alors qu’il négociait la paix. Brisé, vaincu par la fatalité, il se fait seppuku sur son cadavre.

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 Pas une once d’espoir ne se dégage à la fin de ce film pour les samouraïs. Leur fin semblait inéluctable et fatidique, trop longtemps repoussée elle ne pouvait qu’être violente. Vision bien sur possible uniquement à postériori tant le Shogunat de Tokugawa semblait stable jusqu’à l’arrivée des européens sur l’archipel (1854) et l’ouverture des marchés qui déclencha une forte fluctuation des prix et de la monnaie, ce qui précipita le régime vers l’abîme. Archaïque et inadaptée dés l’établissement du shogunat des Tokugawa (1653), la classe des samouraïs se maintint plus ou moins durant les deux siècles de paix et d’inactivité pour leur sabre. Elle symbolise mieux que toute autre ce régime féodal et très hiérarchisé au chacun doit être à sa place et respecter un code de conduite très strict.

 Aussi Shingo, après la mort de sa famille adoptive, se retrouve-t-il à la dérive, incapable de vivre selon sa volonté, emporté par le flot des évènements. Il songe à se tuer, puis pense enfin pouvoir retrouver la voie mais finissant par se rendre compte que sa condition est dans une impasse, il met fin à ses jours. On est bien loin de la vision humaniste des Derniers samouraïs où le protagoniste parvenait à se réintégrer dans la société en mutation. Ici porter le sabre est une malédiction, il faut tenter d’en vivre puis en mourir. Et en vivre signifie tuer.

Tuer, tuer, tuer, voila ce qui fait survivre cet homme en perdition. Par le sang des autres il évite de répandre le sien. Son idée de faire le bien se retourne en effet toujours contre lui. Le frère qui lui confie sa sœur veut ainsi se venger de la mort de sa sœur, qui s’est jeté nue devant ses poursuivants pour le sauver. Il ne parvient ensuite pas plus à protéger son maître, tout comme il avait laissé tuer par son absence son père et sa sœur. Son géniteur, quant à lui, s’est retiré du monde et est devenu moine, chérissant chaque jour la tombe de sa femme qu’il a du tuer. Shingo, s’il est un temps tenter par cette solution s’en détourne assez vite et préfere continuer à tuer, au péril de sa vie, espérant mourir dignement des mains d’un adversaire à sa mesure. Nihiliste à souhait, cette pensée le fait tout de même agir et vivre un certain temps.

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 Dans ce temps, les films tournaient exclusivement autour de l’acteur principal et de son personnage. Misumi et son équipe ont peut être bouleversée les codes du Chambara, ils n’ont pas touchés à cela. Aussi si le héros est nihiliste, le film ne peut qu’être noir. Le talent qu’on reconnaît le plus facilement à Misumi est d’être un excellent metteur en scène. Il déploie dans Tuer (Kiru) son talent pour peindre une poésie visuelle du même ton que le scénario. Ecrit par Kaneto Shindo (inspiré d’un roman de Renzaburo Shibata, qui sera aussi à l’origine de la Lame Diabolique), il est assez dense et complexe. Moins doué pour la narration dramatique que pour la mise en scène, Misumi soigne donc ses cadres à la perfection et y fait passer visuellement une bonne partie des indications du scénario. Il utilise parfaitement les portes, les murs de papier, les montants en bois et les arbres pour composer ses plans léchés. Il parvient à transmettre l’ambiance dramatique et fataliste au spectateur, à le plonger dans le malaise du héros. On voit la le résultat du travail de l’équipe du réalisateur, qui avait l’habitude de garder ses techniciens d’un tournage sur l’autre, et de les faire travailler à sa manière et selon ses vues. Si on ajoute à cela les moyens mis à sa disposition par un grand studio (la Daiei), on obtient un rendu visuel très réussis, à la hauteur de la réputation de Misumi.


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 Au final on peut placer ce film comme un déclic (ou juste après un déclic) dans la filmographie de Misumi. Sans atteindre la violence graphique d’un Baby Cart, il donne déjà le ton sans complaisance ni idéalisme vis-à-vis des samouraïs du réalisateur, et permet n bel aperçut de la noirceur du personnage. Hormis son dernier film (Les derniers samouraïs) on ne peut pas dire qu’il ait transmis beaucoup d’espoir dans ses longs métrages. Un premier volet réussis donc, dans une trilogie qui ne va pas aller en s’égayant…

 

Cet article fait partie du cycle « cinéma japonais ».

La fiche Imdb.

L’article de Wildgrounds.

 

Les autres films de Misumi sur le blog : La saga Baby Cart, Les derniers samouraïs.

 

 Carcharoth.

 

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