J'ai rencontré le Diable, Kim jee Woon, 2011

Publié le par Nostalgic-du-cool

« J'ai rencontré le Diable » de Kim Jee-Woon : le Cas :

 

 

 

Après sa récréation joyeuse et barrée « Le Bon, la Brute, le Cinglé », Kim Jee-Woon semble retrouver avec « J'ai rencontré le diable » les contrées du film de vengeance et du thriller qu'il avait déjà brillamment foulée en 2006 avec « A bittersweet life », son grand chef d'oeuvre à ce jour. Si le film partage en commun avec son prédécesseur un même thème directeur, la vengeance, et un même acteur principal Lee Byung-Hun, force est de constater que « J'ai rencontré le diable » apparait dès ses premières minutes comme l'envers d'« A bittersweet life ». Le réalisateur semble avoir troqué le classicisme magnifique de sa mise en scène et le lyrisme poético-philosophique de son polar contre une ultra-violence et une sècheresse dans l'écriture à laquelle il ne nous avait pas habitué. En se contentant de suivre l'itinéraire macabre et morbide d'un serial killer poursuivi par un agent secret dont le tueur vient d'assassiner la fiancée, Kim Jee-Woon filme sans aucun jugement moral, et avec une crudité et une frontalité totale l'affrontement démoniaque et nihiliste de ces deux individus qui cherchent à s'anéantir de manière absolue. Le résultat est sans appel et ne fait pas dans la nuance : Kim Jee-Woon nous propose l'un des thrillers coréens les plus implacables et les plus violents que la péninsule ait pu nous produire, succession vertigineuse de tortures, de sévices, d'agressions et de mises à mort totalement gratuites, qui n'ont de finalité qu'elles-mêmes. C'est là la force du film, et en même temps sa plus grande faiblesse : sa radicalité.

 

ARP Sélection

Car en effet, sur le plan de l'histoire et du traitement que Kim Jee-Woon fait du genre du thriller, on peut dire que le réalisateur innove très peu. On retrouve le rythme frénétique et ahurissant d'un « The Chaser », avec lequel le film partage beaucoup, et un regard cynique et burlesque tout droit sorti de la trilogie vengeresse de Park Chan-Wook. En d'autres termes, Kim ne fait que s'appuyer sur ce qui a déjà été fait, mais se démarque en poussant la logique du film de vengeance jusque dans ses derniers retranchements. Car en effet, quoi de plus banal aujourd'hui qu'un film sur la vengeance sorti de Corée ? Le thème a tellement été exploré au cinéma -et particulièrement ces dernières années comme s'il avait été à la mode- que les spectateurs n'ont plus que des attentes balisées face à un tel film qui devient prévisible et totalement commun. Kim semble être plus que conscient de tout cela et cherche parfois avec désespoir, parfois avec audace et intelligence à l'éviter (car il ne peut y avoir rien de plus écoeurant qu'un film de vengeance ultra-violent qui pue la répétition et ne propose rien d'autre que sa violence de gros béta). De ce constat sort un film impressionnant, mais aussi bancal et inabouti qui ne parvient pas réellement à réaliser toutes ses ambitions.

Car Kim Jee-Woon fonce cette fois-ci tête baissée, à l'image de son personnage vengeur. Là où « A bittersweet life » prenait le temps de présenter personnages, situations, dilemmes et conflits, avant de faire démarrer à la moitié du film l'itinéraire vengeur de Sunwoo, « J'ai rencontré le diable » s'embarrasse de peu et ouvre son film sur le meurtre sauvage de la fiancée, qui a pour conséquence directe le démarrage à toute berzingue de la traque de Soohyun après Kyung-Chul. Et c'est peut être là que se joue la première erreur du film : en précipitant le spectateur à peine installé dans cette poursuite morbide et d'une brutalité rare, Kim Jee-Woon oublie de tisser chez le public un ancrage émotionnel et une identification avec les personnages que l'on connait finalement assez peu, et que l'on comprend encore moins, la faute à un Soohyun mutique et trop impassible, et surtout, à un Kyung-Chul trop psychopathe et badass pour être considéré comme un personnage consistant…Qui plus est, le film manque par là même un de ces enjeux les plus intéressants, qui est de vouloir créer un sentiment de confusion morale chez le spectateur, en confrontant deux monstruosités radicales. Ainsi le pitch de départ qui est de savoir lequel de Soohyun ou de Kyung-Chul serait le fameux diable du titre tombe totalement à l'eau : car entre un homme qui tue et torture parce qu'il est rongé par la douleur d'avoir perdu sa femme, et un autre homme qui tue parce qu'il n'a aucune raison particulière de le faire à part qu'il en tire du plaisir, la réponse est déjà toute trouvée. Et le renversement en milieu de film du rapport victime/bourreau n'y changera rien : lorsque Soohyun cogne la tête de Kyung-Chul sur une pierre, le spectateur est satisfait. Lorsque Soohyun brise le poignet de Kyung-Chul, le spectateur est satisfait. Et lorsque Soohyun coupe le tendon d'Achille de Kyung-Chul hurlant de douleur, le spectateur est encore et toujours satisfait, car il y voit avant tout Soohyun qui obtient lentement et surement réparation pour sa perte. Par là même, vous l'aurez compris, le film ne fait que sombrer dans la violence banalisée et gratuite, totalement complaisante car frontale et voyeuriste. De même, le schéma narratif du film ne fait que poursuivre cette idée, en proposant pendant toute la première moitié du film un jeu de chat et de la souris répétitif et mécanique où Kyung-Chul se fait régulièrement casser la gueule par Soohyun dès qu'il tente de passer à nouveau à l'acte sur une femme innocente. C'est indéniablement cette première tranche de film qui est de loin le point noir du métrage, en se contentant de présenter une succession de scènes de violence au fond assez inutiles et gratuites, qui ne font nullement avancer l'action, mais qui servent juste à contenter l'appétit gore et trash du spectateur.

 

Lee Byung-Hun. ARP Sélection

 

Fort heureusement, le film ne se laisse pas aller totalement à ce petit jeu là et se rattrape in extremis du plantage complet dans son second mouvement, dès lors que Kyung-Chul n'entend plus se laisser faire et entend bien résister à son tortionnaire. Plus nerveux et rythmé, ce second morceau permet enfin de faire exploser de manière formidable ce grand duel d'acteurs incandescents et charismatiques que sont Lee Byung-Hun et Choi Min-Sik, qui enflamment chacun l'écran de leur interprétation sans faille. Il semble dès lors évident de dire que « J'ai rencontré le diable » aurait été un film anecdotique et ennuyeux à mourir sans ces deux acteurs qui portent littéralement le récit, confèrent intensité, violence et émotion à une histoire assez limitée au niveau de ses enjeux, et à des personnages sous-écrits, mais qu'ils transforment en conte amoral et funèbre assez glaçant. Dès lors, le film révèle un de ses thèmes les plus intéressant, non pas celui de la vengeance moult-fois rebattu et ici assez conventionnel, mais bien celui de la folie. En effet, la poursuite que se livrent Kyung-Chul et Soohyun se révèle presque un road movie de l'absurde à travers une Corée peuplée de fous, de malades, et de tueurs sociopathes : on ne s'étonnera plus de croiser au cours du film un chauffeur de taxi meurtrier, ou un cannibale un peu balourd, sans compter un certain nombre de pervers sexuels. Le film se révèle alors une odyssée à travers l'enfer, à travers une Corée ravagée par le Mal, un mal inexplicable, presque mythique. Dès lors, le fameux Diable du film n'habiterait en fait pas l'un de nos deux personnages enragés, mais bel et bien la Corée dans sa globalité. Comme dans « the Chaser », on retrouve ici chez Kim Jee-Woon la volonté de parler de la banalité du Mal : le Mal peut relever une forme aussi prosaïque que celle d'un chauffeur de taxi, d'un conducteur de bus scolaire ou d'un mari endeuillé. C'est ce qui impressionne dans ce dernier cru de Kim Jee-Woon : son nihilisme total et le refus complet du réalisateur à vouloir donner des explications d'aucun ordre, pas même psychologiques, sur la motivation des personnages à recourir à la violence, à tuer. Aucun des personnages n'est racheté, aucun n'est pardonné. C'est sur ces points là que la radicalité jusqu'auboutiste, bornée, presque bête au fond de « J'ai rencontré le Diable » fait véritablement mouche.

En termes de mise en scène, Kim Jee-Woon comme à son habitude soigne son cadre et chaque plan. La photographie, particulièrement réussie, joue beaucoup sur les couleurs et les contrastes, jonglant entre le noir, les tonalités rouges et un gris pâle, couleurs infernales qui explosent la rétine du spectateur. Néanmoins, Kim Jee-Woon ne retrouve pas le sublime qu'il côtoyait dans « A bittersweet life », où il avait su trouver un équilibre entre esthétisme, sobriété et efficacité. « J'ai rencontré le Diable » est plus inégal, certaines scènes étant absolument superbes (la dernière séquence, la lutte dans la maison du cannibale ou cette autre séquence de massacre ahurissante dans un taxi lancée à pleine allure...) et d'autres assez ratées et surfaites (la découverte de la tête décapitée de la fiancée avec sa musique trop mélo et pompière, ou encore la scène de combat dans la serre). Il semblerait que Kim Jee-Woon soit encore une fois en proie à ses vieux démons de réalisateur qui avaient déjà plombé un film comme « 2 soeurs » : tout effet de mise en scène n'est pas bon. Aussi expérimente-t-il perpétuellement de scène en scène, avec plus ou moins de succès. Le réalisateur a encore du chemin à faire avant de savoir enfin concilier harmonieusement ses idées de mise en scène, ses trouvailles visuelles avec la cohérence d'un récit parfaitement mené comme dans « A bittersweet life »... Mais soyons optimistes et gageons que Kim Jee-Woon saura retrouver les cimes du véritable succès.

 

Lee Byung-Hun. ARP Sélection

 

Il ne reste plus au film qu'à s'achever sur une dernière scène absolument magnifique, qui vaut à elle seule la vision de « J'ai rencontré le Diable », où le film, à l'image de son personnage principal crépusculaire et déshumanisé, se décrispe et laisse enfin échapper toute la tristesse qu'il contenait en germe pendant 2h20 d'horreur. Manière amère de nous dire que le film aurait pu être tout autre, sans doute une grande oeuvre, si la violence du métrage avait pu entrer en résonnance avec la tristesse infinie et inconsolable de Soohyun...

Maintenant, vous savez ce qu'il vous reste à faire : armez vous de courage, et partez à la rencontre de ce petit diable coréen...

 

 Ichimonji     



Publié dans Corée

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