Le Vieux Jardin lorsque l'Amour éclaire une phase sombre de l'Histoire

Publié le par Nostalgic-du-cool

                      Voila quelque temps que le blog ne traite plus de l'actualité cinématographique asiatique, pourtant de très bons films sont sortis récemment. Ainsi j'ai décidé d'évoquer le dernier film de Im Sang-Soo : Le Vieux Jardin qui est sorti dans le courant du mois d'avril. Ce nouveau film s'inscrit dans une certaine continuité, en effet son précédent film The President's last Bang se déroule en 1979 et décrit les préparatifs puis l'assassinat de Park Chun-Hee, le président de la République Coréenne, (qui n'a de république que le nom car c'est plutôt un régime autoritaire) par Kim Jae-Kyu le directeur du KCIA (l’équivalent de la CIA coréenne). Cependant ce dernier est évincé du pouvoir par son rival, chef de la sécurité militaire, le général Chon Tu-Wan. Ce nouveau dirigeant a initié une certaine libéralisation politique, entraînant une vague d'espoir à travers le pays et débouchant sur le soulèvement de la ville de Kwangju, en mai 1980, qui sera réprimé dans le sang. C'est cette révolte de la jeunesse coréenne que décrit Le Vieux Jardin, seulement à la différence de son précèdent film traitant d'un épisode historique, cette fois c'est la petite histoire qui est privilégiée pour nous décrire la grande.

               Im Sang-Soo est né à Séoul en 1962, fils d'un critique de cinéma, on peut dire qu'il était prédestiné à rester dans la même branche que son père. Il a étudié la sociologie, puis il se tourne vers le cinéma et entre à la Korean Film Academy. Il commence sa carrière comme assistant et va travailler entre autres avec Im Kwon Taek (réalisateur de Ivre de femmes et de peinture), puis il devient scénariste et enfin il passe à la réalisation. Si ses deux premiers films sont passés relativement inaperçus, il devient un réalisateur incontournable de la nouvelle vague coréenne avec son film Une Femme Coréenne, sélectionné à la Mostra de Venise en 2003 et il recevra le Lotus d'Or au Festival du film asiatique de Deauville en 2004. Pour ses deux derniers films ( Le Vieux Jardin et The President's last Bang) il change de registre, il arrête d'observer de manière audacieuse les moeurs de la société coréenne, pour se concentrer sur les racines de cette société à travers des événements historiques majeurs. Toutefois il continue d'oser et le film The President's last Bang provoque un véritable scandale en Corée, il lui vaudra d'ailleurs un procès intenté par le fils du président dont on voit l'assassinat dans le film. Mais après le film historique engagé, le réalisateur s'attaque à une nouvelle figure de style avec l'adaptation, en effet Le Vieux Jardin adapte à l'écran le roman éponyme de Hwang Sok-Young, écrivain réaliste et politique sud coréen.

              

                         L'histoire est à la fois simple et belle, elle peut se résumer en une phrase : six mois de passion amoureuse, puis 17 ans d'emprisonnement  et de séparation. Ainsi après avoir participé au soulèvement de la ville de Kwangju en mai 1980, Hyun-woo, un jeune militant socialiste est obligé de se cacher pour échapper à la terrible répression militaire qui a écrasé dans le sang cette révolte de la jeunesse coréenne. Dans sa fuite il rencontre Yoon-Hee, une jeune professeur d'art qui vient en aide aux fugitifs. Elle va l'héberger pendant 6 mois dans sa maison perdue dans la montagne, tous deux isolés ils vont apprendre à se connaître, puis à s'aimer. Malgré cette idylle, le jeune homme, demeure obsédé par le sort de ses compagnons de lutte, malgré la violente répression il reste un grand idéaliste, assez naïf, convaincu du bien fondé de sa cause. Alors il décide de repartir pour la ville, de rejoindre ses camarades de lutte, malgré les risques hélas, cette attitude peu prudente a pour conséquences qu'à peine arrivé en ville il est arrêté de façon musclée par la police. Après un simulacre de procès il est condamné à 17 ans de prison pour "troubles à l'ordre public". 17 ans pendant lesquels il n'aura plus de nouvelles d'elle car en tant que prisonniers politiques il ne peut recevoir que sa famille proche. Quand il sort c'est un homme changé, usé par la prison qui découvre une Corée nouvelle, démocratique et moderne. Pourtant cet homme nouveau dans cette société nouvelle va vite être rattrapé par son passé.

                   D'ailleurs le film s'ouvre sur la libération de Hyun-Woo, pour ensuite nous replonger par une série de flash-backs dans le passé du personnage. Au lieu de nous montrer l'évolution chronologique et logique de la vie de Hyun-Woo du jeune militant exalté à l'homme égaré dans une société nouvelle, le film fait le cheminement inverse. On commence par la fin qui devrait être synonyme de délivrance mais qui, en fait, ravive la souffrance, la cruauté de ce destin car on apprend que Yoon-hee a été emportée par la maladie. Alors, maintenant qu'il est trop tard, qu'il est arrivé au temps des regrets le personnage part à la recherche du temps perdu" comme dirait Proust, il se rend compte que ces 6 mois passés auprès de cette femme ont été l'un des plus beaux moments de sa vie. Il s'aperçoit qu'il est passé à côté de l'amour de sa vie pour un engagement politique qui regardé de manière rétrospective peut paraître absurde car la lutte a été vaine, le régime en place n'était pas encore prêt à céder. Mais Hyun-Woo ne se laisse pas envahir par l'amertume il n'est pas aigri comme ses anciens camarades de lutte par les désillusions de la vie. 

                 Il est nostalgique mais pas blasé et comme 17 ans auparavant il semble que ce soit encore cette femme qui malgré la mort le sauve et réussit à donner un sens à sa vie. En effet, à travers les lettres (qu'il n'a pu recevoir en prison) et les peintures de Yoon-Hee il découvre la vie de son amour durant son emprisonnement, ses combats et ses épreuves. Ce retour aux sources fait certes ressurgir les blessures, les regrets mais surtout l'aide à surmonter sa douleur et à se réorienter dans une société bouleversée où tout ce en quoi il croyait avant la prison n'est plus. Son idéal social a disparu, il découvre une société individualiste ou l’intérêt personnel prévaut sur l’intérêt collectif. Ce décalage se résume bien dans un dialogue entre Hyun-Woo et une adolescente où le premier explique : "à l'époque : être heureux signifiait être égoïste, c'était mal vu." et cette dernière lui répond que cette attitude est absurde, attestant la confrontation de deux époques, de deux pensées.

                 L'une des forces du film est de reveler le paradoxe tellement humain du comportement de Hyun-Woo, tiraillé entre deux désirs contradictoires. D'un côté, son départ peut paraitre absurde si on l'observe d'un oeil extérieur, il quitte son amour, la sécurité pour rejoindre ses compagnons dans une lutte desesperée. Ce choix d'apparence insensé est bien retransmis dans cette phrase de Yoon-He : " Je te cache, je t'héberge, je te nourris et je te laisse me baiser, et tu pars? Bon vent imbécile.". Mais d'un autre côté son départ est pleinement compréhensible, en effet comment oublier ce qu'il a vécu avec ces personnes à Kwangju lors de la repression, comment les abandonner à leur sort, à la prison ou à la folie, comment être heureux si ceux avec qui ont a souffert et esperé  dans les moments difficiles ne le sont pas? Cette faiblesse, cette décision presque irrationnelle mais tellement humaine et compréhensible peut aussi s'expliciter par un dialogue du film entre Yoon-He et Hwang-Woo où cette dernière demande au premier : "  -Tu es en colère?         -Non.       -Tu es déprimé? Tu cries vengeance?        - En réalité, j'ai honte." Ainsi si l'on considère ce sentiment de honte, de culpabilité, la sensation d'avoir trahi sa cause, abandonné les siens, alors le côté absurde de la décision s'estompe et le dilemme n'en est que plus cruel.          

 

               Toutefois le film n'est pas uniquement centré sur le personnage masculin. En effet, lorsque Hyun-Woo se replonge dans le passé, le réalisateur en profite pour faire une longue ellipse sur la vie de Yoon-Hee. Il dresse alors un magnifique portrait de femme, au sens propre comme au figuré. La beauté troublante de Yum Jung-Ah (photo ci dessus), sublimée par une belle photo et par la mise en scène nous charme. Im Sang-Soo, à travers cette description de femme moderne au fort tempérament, nous montre ,comme disait le poète Louis Aragon, que "la femme est l'avenir de l'homme". Yoon-He est une femme tolérante et passionnée, à la fois forte et fragile, courageuse et sensible. Elle est engagée et vient en aide aux fugitifs qui cherchent à echapper à la repression, intelligente et raisonnée elle ne partage pas l'idéalisme de ces différents protégés (que ce soit au temps de Kwangju, avec Hyun-Woo ou plus tard lorsqu'elle aide des étudiants militants) elle porte un regard plus sombre mais plus réaliste sur la société. C'est une sorte de guide, de repère qui assiste et oriente les personnes qu'elle rencontre, en particulier les hommes qui ne sortent que rarement grandis dans ce film. D'ailleurs, comme nous l'avons déjà dit elle continue de guider Hyun-Woo même après sa mort, à travers ses carnets. Cependant cette "meneuse d'hommes" demeure un être sensible, profondement généreux et fragile, la blessure de sa tragique séparation d'avec Hyun-Woo demeurera toujours ouverte ce qui la rend particulièrement émouvante et touchante. 

              La réalisation de Im Sang-Soo est impeccable, les plans sont beaux et travaillés, on reconnait l'ésthétique à la fois simple et sombre qui caractérise le cinéma coréen. La mise en scène entremêle avec justesse élements du passé et du présent, ancrant dans le temps des sentiments intemporels, mélangeant l'aspect politique et dramatique, nous montrant à travers l'évolution de cette histoire d'amour l'évolution politique d'un pays. Le contexte historique sert de toile de fond, il sous-tend ce portrait d'amour sacrifié au nom d'un idéal, accentuant l'ironie ou le tragique de la situation. Le film n'est pourtant pas dénué de reflexion politique, il s'interroge sur ces luttes contre les abus de pouvoir par une certaine classe de la population, il souligne un combat entre courage et contradiction. Il n'y a pas de héros mais juste des hommes dont les convictions s'estompent,s'etouffent au fur et à mesure que s'écrit l'Histoire. Mais le coeur du film demeure une belle et profonde histoire d'amour, décrite avec justesse et pudeur :  le film évite toujours de tomber dans le mélodrame. Les personnages complexes et torturés, masquant leur sentiments malgré la passion qui les anime n'ont rien de héros de mélo. D'ailleurs il faut évoquer l'interprétation toute en finesse et en retenue des deux acteurs principaux, à savoir Yum Jung-Ah (Yoon-Hee) et Ji Jin-Hee (Hyun-Woo)  qui sont excellents. Ils rendent leurs personnages émouvants et sincères révèlant leurs paradoxes et leurs faiblesses, jouant sur la dissimulation, sur l'interiorisation des douleurs et des regrets pour conserver une façade lisse et posée.

                     Bref certains détracteurs pourront dire que ce n'est qu'un film noir de plus dans l'océan des films sombres coréens. Alors, certes le film est triste, mais, d'une part, il se conclut sur une ouverture plus optimiste que les précédents films du réalisateur, puis d'autre part, c'est dans la noirceur du sujet que se révèle toute la profondeur et la beauté de cet excellent film. Pour conclure, en généralisant sur la noirceur du cinéma coréen je me permets de reprendre le slogan utilisé par les noirs américains dans les années 60, au temps de la ségrégation qui affirmait : "Black is beautiful", je trouve que ces termes decrivent bien ce qui fait, selon moi, la force du cinéma coréen.          ( Pour ceux qui auraient la flemme de tout lire je vous conseille la critique de Tik&Gra qui a su très bien résumer en quelques mots les qualités de ce film )

               Nostalgic du Cool

              

Soulèvement de Kwangju

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Kwangju, ou le début du printemps des peuples asiatiques 

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Kwangju, une Commune méconnue ?

Avec l’accord et à la demande de Nostalgic, je rédige donc une sorte de petit mémo, à prendre avec des pincettes bien sur (car je ne suis pas historien, et quand bien même…) sur la révolte de Kwangju, événement qui entre pour beaucoup dans l’histoire ce film, et qui en est une composante essentielle à mes yeux.

Kwangju est la capitale de la région de Cholla (laquelle a, dans l’histoire récente de la Corée, été le théâtre de nombreuses révoltes contre des pouvoirs oppressant qui la tenaient à l’écart du développement. Ceci explique cela…). Mais avant d’entrer pleinement dans le sujet, et pour nous permettre d’y bien pénétrer un petit rappel des faits. D’abord le fait le plus connus sans doute : La Corée a connue un décollage économique important dans les années 1960-70, suite à la guerre qui l’opposa à son homologue du Nord entre 1950 et 1953. On peut en effet expliquer le décollage par la guerre, même si cela peut paraître paradoxal, par la guerre. (Ra ! trop de choses à dire, trop de digressions possibles !). En effet, tout aussi lointaine qu’elle puisse nous paraître, la Corée s’intègre (et surtout s’intégrait) dans un contexte géographique mondial bien particulier : D’un coté la Russie soviétique, opposée ouvertement aux USA depuis 1947, et de l’autre le Japon et… les USA ! Autrefois colonisée par le Japon, voici ce petit pays coincé entre deux superpuissances et occupé (pour la partie qui nous intéresse) par les Etats-Unis. USA qui ont tout intérêt à développer l’industrie certains pans de l’économie coréenne, un peu comme il l’avait fait avec celle du Japon lors de la guerre de Corée. Ce dernier pays envoyant de nombreux soldats et servant de base arrière pendant la guerre du Vietnam, et étant en plus une des pièces les plus importantes de la stratégie de containment chère à Truman, on comprend mieux le boom économique du pays dans ces années la… Ce que certains ont expliqué par une politique d’état keynésienne ultra efficace allié à un léger protectionnisme et à une motivation salariale hors norme, peut aussi (doit aussi à mon sens) se voir comme une dictature militariste et une oppression totale de l’individu par un appareil d’état corrompu et soutenu de l’extérieur par les USA qui avaient grand besoin de produits industriels à bas prix. Hop, un petit zoom sur les différents épisodes politiques entre 1945 et 1980 : Après la guerre et l’occupation américaine, des élections sont organisées en 1948. Confiant dans l’administration américaine, les coréen pensent enfin accéder à la démocratie, pour laquelle ils avaient bien des fois combattus (1894, 1919, …). Syngman Rhee accède au pouvoir, un assemblé constituante est élue (17 juillet) et vote une constitution qui confie un grand pouvoir au chef de l’état, lequel est élue par les parlementaires. Il met en place la politique de « l’unification par la force », s’aligne sur les Etats-Unis et contre la Corée du Nord et le Japon. Il réprime toutes les formes de manifestations (Suncheon, Yeosu). Suite à la « révolution d’Avril », l’autocrate doit démissionner. Sa chute marque la fin de la première république de Corée. Le deuxième durera bien moins longtemps, et ouvrira l’épisode le plus sombre de l’histoire contemporaine post guerre de Corée du pays. En effet, après les révoltes, un nouveau président est élu (Heo Jeong) et met en place un régime parlementaire, réorganise l’armée et l’administration, renforce le contrôle et la transparence. L’activité économique croit énormément, et les gens expriment directement leurs idées et revendications, que le gouvernement s’efforce de satisfaire. Néanmoins la crise économique que traverse le pays rend les réformes difficiles. Notamment la chute du Won, qui perd la moitié de sa valeur relative. Le général Park en profite, et prend le pouvoir le 16 Mai 1961… Il ne le quittera qu’en 1979, après avoir dominé les troisièmes et quatrièmes républiques, en enchaînant cinq mandats. Manipulations, tentatives d’assassinats, et pour finir dictature légale sont à mette à son compte, tout autant que l’arrivée des capitaux nippons sur le sol de la Corée et la création des « chaebol ». A sa mort, en 1979, Park est remplacé par son chef d’état major, Choe Kyu-Ha, qui est lui-même évincé par Chon Tu-Hwan, alors général en charge des services secrets. Il fait arrêter tous les hauts dignitaires et décrète la loi martiale. Nous voila donc en plein dans le sujet. C’est cet état de tension et d’oppression accru qui est à l’origine de la situation à Kwangju.

La mort du général déclencha en effet des mouvements de liesse dans tout le pays qui s’anima, pensant enfin pouvoir accéder à la démocratie et à une plus grande liberté. Les problèmes économiques entraînèrent aussi les populations à exprimer leur mécontentements ou tout simplement leurs idées… Mais Chon ne tarda pas à menacer tous les manifestants de dures sanctions et dépêcha l’armée et la police sur place. Les gens, terrorisés, restaient chez eux dans tout le pays. Dans tout le pays sauf à Kwangju… Chon décida alors d’étendre l’état de siège à cette province, faisant arrêter de nombreux opposants politiques et fermer les universités, notamment celle du chef lieu, que l’on peut voir dans le film. La résistance au pouvoir étant organisé autour de ce réseau universitaire à Kwangju, il semble logique que Chon s’en soit en premier pris à cette institution, surtout si l’on ajoute à cela que l’appel pour la fin de la loi martiale et le retour à la démocratie avait était lancé de cette fac…

Le 14 Mai, les étudiants essaient de rejoindre une manifestation dans le centre de la ville, mais la police encercle et bloque la fac, qui est alors coupée de la ville.

Le 15, 16 000 étudiants, soutenue par certains professeurs, rejoignent le lieu qu’ils n’ont pas pu atteindre la veille, puis repartent dans le plus grand ordre.

Le 16, les étudiants rebaptisent le « provincial Hall » en « Square de la démocratie » et y installent 400 torches. La population les soutiens, les rejoins (mouvement encore minoritaire) et écoute leurs demandes et doléances.

Le 17, la loi martiale est établie à Séoul, et dès le soir l’armée se déploie dans toutes les villes clés et procèdent à des arrestations de leaders étudiants et politiques. La police commence aussi dès ce jour à mener des raids violents contre les étudiants, ce qui en oblige beaucoup à passer dans l’anonymat et l’illégalité (en ce sens qu’ils se cachent et fuient la police).

Le 18 Mai, aussi appelé « Bloody Sunday », les étudiants qui se rendent à l’université Chonnam sont bloqués et battus, un témoin décrira ainsi la scène : « En voyant la scène, je me suis sentis choqué, et je me demandais s’il s’agissait vraiment de soldats… On aurait dit des chiens enragés, qui ne reconnaissent plus les leurs… ». Les étudiants poursuivent néanmoins leurs sit-in et autres actions pacifiques, mais sont dispersés par les forces armées (dont 3000 parachutistes, dont certains avaient fait le Vietnam (face aux vietcong bien sur) et s’enneurgueuillaient d’avoir du sang de « rouge » sur leur baïonnettes) à grand coups de matraques et de gaz lacrymogènes. Suite à une marche, ils sont dispersés dans les rues, et c’est alors que commence un épisode dramatique… Les para les poursuivent en petit groupe, les battent, les rouent de coups et s’en prennent aussi aux civils, étudiants, profs, mais aussi simple passant, habitant, vieux, et n’hésitent pas à déshabiller hommes et femmes sur les trottoirs et à les traîner par les cheveux… Cet épisode choque profondément tous les habitants, ce qui achève de les rallier à la cause des opposants, qui continuent de se battre malgré ses débordements (qui ont d’ailleurs coûtés la vie au chef de l’information de la police, qui tentait de retenir les para…)

Du 19 au 21 Mai, les citoyens entrent totalement dans les émeutes, aux cotés des étudiants et grévistes, malgré la poursuite et le renforcement des exactions policières (18 000 policiers avaient été mobilisés, soutenus par 3000 parachutistes venus spécialement de la frontière avec la Corée du Nord avec la bénédiction de Carter. Les médias sont muselés et retransmettent de fausses informations, taisant les violences et faisant au contraire état de nombreuses provocations estudiantines… Le 19, les manifestants doivent battre en retraite devant la charge des forces de « l’ordre », mais ils arrivent [les manifestants] à prendre d’assaut la tour de la chaîne d’information, ainsi que celle qui abritait ce que chez nous l’on nommerait hôtel des impôts, pour protester contre l’utilisation purement militariste des taxes.

Parmi les initiatives notables, on peut citer celle ces taxis et autres conducteurs qui firent une manifestation de soutien et aidèrent énormément dans le transport de blessés lors des autres incidents.

On peut aussi parler de la constitution de l’armée citoyenne de Shimingun qui avait pour but de riposter aux attaques militaires et de faire régner l’ordre dans la ville. Ainsi, aucune des 40 banques ou institutions financières de Kwangju ne fut volée ou brûlée… Pour continuer sur les blessés, signalons l’effort accompli par les médecins et la population pour soigner les nombreuses personnes touchés lors des manifestations dans des conditions, et le don de sang massif proposé par les… prostitués de la ville ! Enfin, nous avons mentionné tout à l’heure la prise du bâtiment qui abritait la chaîne de télévision. Pour contrer la propagande des médias, les insurgés éditèrent un bulletin d’information et achetèrent un ampli afin de répandre les nouvelles dans toute la ville…

Le 21, de violents combats opposent les deux forces en présence, et ce sont les habitants de la ville qui l’emporte, temporairement bien sur, puisque les soldats et policiers quittent l’intérieur de la ville et l’encercle…

Hors cadre, mais intéressant, c’est à cette date que se propageât la révolte dans 16 autres provinces de la Corée, donnant à l’insurrection un cadre plus national…

Ainsi, du 22 au 26 Mai, la vie redevint plus tranquille à l’intérieur de la cité qui pue panser ses plaies. L’entraide se développa à un tel point que l’exemple de Kwangju est cité un peu partout comme modèle d’autogestion. Presque aucun habitant, commerçant ne rechigna à la tache et offrit ses produits et ajouta sa pierre à l’édifice qu’était la vie en commun alors que tout était fermé de l’extérieur : plus d’essence, plus de ravitaillement, … L’armée bloquant tout. Les exemples d’entraide et d’autogestion se multiplient durant ces quatre jours que l’on pourrait qualifier de calme par rapport à l’atmosphère du début des révoltes. Les gens aidaient les étudiants recherchés par la police qui faisait des raids fréquents pour les capturer. Le 26, une marche fut organisée en direction du quartier général de l’armée, afin de négocier le retour au calme et la normalisation de la situation de la ville, afin de faire cesser l’état de siège. Mais l’état major ne voulu rien savoir, ayant déjà décidé de l’invasion de la ville.

Le 27 donc, et ce malgré une résistance acharnée, l’armée et les policiers anti-émeute (j’ai en effet oublier de préciser que ce n’était pas les policiers municipaux qui participaient à la répression, car ils avaient refusé d’ouvrir le feu sur la foule) envahirent et prirent la ville. Coïncidence fortuite mais lourde de sens, c’est un 27 Mai que la Commune de Paris fut écrasé par les versaillais, en 1871. Cent neuf ans plus tard, c’est une autre tentative d’autogestion libertaire qui fut stoppée par les forces de l’ordre établi. J’en profite pour expliciter mon deuxième sous titre : Même si la révolte fut stoppée et écrasé, des initiatives ponctuelles maintinrent le climat insurrectionnel jusqu’en 1987, date à laquelle des grèves très dures et des manifestations hâtèrent la démocratisation du pays, aidées en cela par les JO de Séoul l’année suivante… Qui entraînât plus ou moins directement des améliorations notables dans de nombreux pays Est asiatiques (Philippines 1986, Taiwan 1987, Birmanie 1988, Chine 1990, Népal 1992, Indonésie 1998…) dans lesquels un vent de révolte souffla… Voila donc pourquoi j’ai osé la comparaison avec le printemps des peuples (1848 en Europe). A la différence que celui-ci s’étendit sur de nombreux printemps et réussi !

Petites indications supplémentaires : Le droit de grève n’était pas reconnu en Corée, et fomenter un tel acte était puni de mort. Les mouvements démocratiques étant très sévèrement réprimés ils étaient clandestins et faibles, alors que la révolte de Kwangju éclata au grand jour, et ce malgré la censure officielle. Elle marque d’une pierre blanche l’histoire sociale de la Corée.

Kwangju comptait à l’époque environ 700 000 habitant. Au plus fort de la mobilisation, ce sont plus de 200 000 personnes qui manifestèrent ensemble, soutenues par presque toutes les autres.

La répression fit officiellement 200 morts et plusieurs milliers de blessés. Selon les observateurs étrangers et les sources étudiantes, le chiffre pourrait être de plusieurs milliers de tués, et bien plus de blessés (10 000 ?). Sans parler des viols, tortures et autres pratiques inhérentes à la présence de parachutistes… Les balles qui ont transpercés les corps des manifestant et les baïonnettes qui ont tranchés les veines des révoltés étaient aimablement fournis par le gouvernement américain, qui souhaitât ardemment, par la bouche de Jimmy Carter, « le retour à l’ordre »…

Ainsi, du 14 au 27 Mai 1980, la population de Kwangju vécut ses heures les plus tristes et les plus héroïques, celles que tant n’auraient pas voulus avoir à affronter mais qui les marquèrent le plus, celles ou ils purent s’apercevoir que sans la dictature l’anarchie ne s’était pas installée, sinon celle causé par l’armée, et qu’entre les hommes et en très peu de temps, il peut se tisser des liens forts et durables qui dépassent les clivages politiques et sociaux

Certains bons lecteurs auront remarqué que mes sources ne sont pas situés du coté du pouvoir Coréen, qui encore aujourd’hui n’aime pas reconnaître la portée réelle et la violence qui s’abattit sur la ville, mais plutôt de celui des révoltés. Un peu comme le film qui accompagne… Euh un peu comme le film que cet article accompagne ! Je me suis en effet servit de sources internationalistes, anarchistes ou universitaire, mais toutes tendaient dans ce sens. J’ai aussi consultés les quelques ouvrages sur la Corée contemporaine que des chercheurs ont bien voulu écrire (Français ou anglais, même constant, l’extrême orient intéresse peu, sauf la guerre de Corée qui souffre moins du manque de bibliographie grâce aux … Américains !) et le très succinct Que sais je de Li Ogg. J’ai néanmoins essayé de ne pas tomber dans un manichéisme excessif ou dans une vision partielle des choses. J’ai aussi tenté de ne pas reproduire le lyrisme dont est souvent empreint ce type de littérature, et de prendre du recul.

Par delà ce simple article, je souhaite aussi amener une réflexion qui rentre tout à fait selon moi dans le sujet du blog. A savoir le nombrilisme. Ou plutôt le non éclectisme. En effet, cette révolte qui date d’à peine deux décennies est tout à fait inconnue en France et en Europe, et seule une frange minime d’anarcho-communistes semble être au courant de ce genre d’événement, grâce à leur esprit internationaliste, mondialiste. Je ne tient pas à dresser un éloge des organisations qui mènent ce genre de combat, mais plutôt à enfoncer nos historiens, ceux qui leurs accordent des bourses et des crédits, nos médias pour leurs points de vu légèrement centrés sur l’occident. Ainsi, comme je l’ai déjà souligné, en cherchant des informations dans une des plus grandes BU (bibliothèque universitaire) de France, je n’ai pu trouver que très peu d’ouvrage sur la Corée, ou alors trop anciens… Alors que la moindre parcelle de l’histoire française est traitée et retraitée (Les chevaliers paysans autour de l’an mil au lac de paladru… (cf On connaît la chanson)). Et si l’histoire, pardon l’Histoire s’intéresse aux autres pays, c’est parce qu’ils ont été colonisé un jour ou l’autre par une puissance européenne… Et la Corée n’a pas eu cette « chance ». Les Japonais sont sans nul doute plus loquaces sur ce sujet…

Ainsi, si à travers ce blog, ce cinéma et donc l’histoire de ces pays que ces films nous font traverser (n’oublions pas qu’un film est toujours le reflet de son époque, parlerait-il de la dynastie Han ou Choson), nous pouvons ajouter notre grain de sable à la tour de la connaissance sur le sujet, nous le déposons avec révérence et espoir qu’un jour notre intérêt pour l’Autre bout du Monde soit aussi important que celui que nous portons au sol de notre foyer.

PS : Je sais, je sais, je me hais moi-même en ne souhaitant pas voir la France être étudié partout et en critiquant ses nobles historiens (qui par ailleurs sont dépendants du pouvoir en place et qui accomplissent actuellement un travail de retour historiographique sur le passé très intéressant, même s’il risque d’être stoppé bientôt…), mais il me semblait important de souligner ce trait occidental de la pratique de l’histoire et surtout au niveau des publications et donc du grand public (car oui, il existe en France des spécialistes de la Corée qui ne peuvent pas écrire car aucun éditeur ne publie, ou alors a 20 exemplaires…).

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Traduction d’un texte anarchiste anglais : http://nantes.indymedia.org/article/9673?id_article=9673

Cours en anglais sur le sujet : http://www.hrschool.org/doc/mainfile.php/lesson36/34/

La révolte de Kwangju par Wikipédia :http://fr.wikipedia.org/wiki/Soul%C3%A8vement_de_Kwangju  (avec tous les risques que cela comprend)

Témoignage direct (en Anglais) : http://images.google.fr/imgres?imgurl=http://timshorrock.com/wp-content/uploads/Lest%2520we%2520forget.jpg&imgrefurl=http://timshorrock.com/%3Fpage_id%3D21&h=340&w=442&sz=59&hl=fr&start=7&sig2=AjMMox1E_soGTR3ji565iw&tbnid=91VlAU8tnUpDMM:&tbnh=98&tbnw=127&ei=wORERtHWCZb--wKxi6m_Cw&prev=/images%3Fq%3Dkwangju%2Buprising%26gbv%3D2%26svnum%3D10%26hl%3Dfr

Et si on parlait du film maintenant ? Oui oui, je ne laisse pas de monopole à Nostalgic. Je serais court, rassurez vous, enfin je vais essayer… Le film m’a beaucoup plus, cela faisait quelques temps que je n’avais pas vu de film Coréen, et après Spiderman, cela fait une différence. Pas de morale insipide, pas de mort sur un levée de soleil, juste de la retenue, de l’émotion pure et une fresque socio amoureuse réussie. Il faut dire que ce genre n’est pas des moins usités dans la région. Mon dernier article, Eijanaika, en était déjà une. Dans un registre bien moins baroque, Im Sang Soo décrit à rebours une idylle sur fond de révoltes, de répressions policières et de quête de soi. Dans sa lutte pour trouver une identité, le héros oscille entre l’égoïsme dont est empreint tout amour et l’amour de la liberté, la solidarité avec ses frères de luttes, avec les morts pour l’idéal qui est le sien. Il ne trouvera son identité que devant et grâce à sa fille, qui lui insigne un rôle de père. Profond, bien mené, pas trop larmoyant bien que romancé, ce film a tout pour plaire. Les acteurs sont très bons, le récit est inventif et on ne s’ennuie jamais. Le coté historique ne prend pas le dessus sur l’histoire sentimentale, qui jamais n’occulte totalement l’arrière fond événementiel. A voir !

Carcharoth



Publié dans Corée

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Pour le coup, c'est à mon tour d'être flattée et de te remercier de citer ma critique. Il n'y a pas grand chose à ajouter sauf ces quelques mots de Hwank Sok-Yong dans la postface de son livre qui se passent de commentaire mais qui complètent si bien ta critique et celle de Carcharoth :<br /> " Lorsque je pense aux souffrances, au gâchis et aux désespoirs qu'a engendrés le siècle dernier, je me pose la question que d'innombrables personnes ont déjà posée : y a-t-il encore de l'espoir ? Tant qu'il reste possible de s'interroger ainsi, tout peut recommencer. Je salue après un long silence les gens que j'aime, mes amis, et je les invite à marcher à mes côtés. "
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