Lady Vengeance, entre Ange et Démon une magnifique conclusion
Lady Vengeance est le dernier volet de la trilogie de Park Chan-Wook consacrée à la vengeance. Le film conclut magnifiquement la réflexion initiée par Sympathy for Mister Vengeance, puis poursuivie par Old Boy sur la complexité et la noirceur de ce sentiment universel. Si Carcharoth, qui a rédigé les articles sur les deux premiers volets de la Trilogie, a préféré Old Boy jai personnellement adoré Lady Vengeance qui vient fermer la boucle, brisant le cercle de la violence tentant de la transcender vers un objectif plus noble, salvateur : la rédemption. C'est vraiment mon volet favori dans la trilogie. Cette fois, peut être est-ce du à la présence d'une femme dans le rôle principal, à la différence des deux premiers volets où c'etait des hommes ( interprété par les deux excellentissimes acteurs que sont Song Kang-Ho Choi Min-Sik ) la vengeance n'est plus synonyme de haine, de rage, de douleur morale voir d'auto destruction mais une vengeance plus subtile, plus délicate qui tend non vers une fin mais vers un nouveau commencement. Le réalisateur résume très bien ce sentiment comme étant : "la quête d'une personne qui cherche à sauver son âme".
Park Chan-Wook est, il faut le rappeler diplomé de philosophie, il a été éduqué dans une université catholique, il se passionne pour les contes moraux tout en étant fan de films d'action De Hong Kong. Bref c'est un homme qui aime les paradoxes et qui n'hésite pas à mêler violence stylisée avec interrogations philosophiques et conflits moraux. Avec sa trilogie sur la vengeance il sonde les limites de la morale avec audace et irrévérence, n'hésitant pas à choquer ou destabiliser son spectateur. Après avoir traité la vengeance violente et explosive des hommes en évoquant les thèmes de l'enlèvement et de l'ambiguité dans Sympathy for Mister Vengeance et ceux de l'enfermement et de la manipulation dans Old Boy, désormais il soulève la question de l'expiation par la vengeance. Ainsi réussit-il à se renouveller dans la continuité, le tout avec toujours autant de virtuosité et de maîtrise.
L'histoire est, comme toujours dans les films de Park Chan-Wook, riche et plus profonde qu'il n'y parait aux premiers abords. Geum-Ja, une jeune femme à la beauté troublante, vient de passez 13 longues années en prison pour l'enlèvement et le meurtre d'un jeune garçon de 5 ans. Cependant ce n'est pas elle la tueuse, mais Baek, un professeur d'anglais d'apparence paisible qui est le véritable auteur et qui par un odieux chantage ( il menace de tuer le bébé de la jeune fille ), l'a forcée à se dénoncer à sa place. Agée seulement de 19 ans naïve elle va être tour à tour manipulée par le tueur, la police qui voit en elle la coupable idéale et les médias qui sont obsédés par le fait que cette femme si belle soit associée à un crime aussi atroce. Une fois incarcérée elle va devenir une prisonnière modèle, passant son temps à prier le Seigneur, à apprendre la pâtisserie et à soulager les peines de ses co-détenues ( allant jusqu'a donner un rein à l'une d'elle ). Elle devient "Geum Ja au grand coeur", cependant elle n'a pas oublié sa vengeance contre Baek qu'elle va méticuleusement préparée. Sa gentillesse et son abnégation dans le milieu carcéral vont lui permettre de se tisser un vaste réseau d'amies prêtes à l'aider une fois sortie. A sa sortie elle n'a plus qu'à mettre à éxécution son plan parfait.
Alors Geum Ja la douce, se révèle être une femme froide, calculatrice à la détermination implacable, dont le moindre comportement n'a été qu'un préparatif de vengeance. Ses connaissances, ces gens qui l'ont admiré, aimé n'ont été que des instruments utilisés uniquement pour atteindre son but. Le visage d'ange, aux yeux doux et au sourire innocent s'est fermé, désormais le sourire a laissé place à une moue boudeuse et les yeux, maquillés d'un large trait rouge lui permettent de ne plus "avoir l'air gentille" comme l'explique la jeune femme. Ainsi on découvre "Geum Ja la sorcière" patiente et determinée, qui a hérité de ce surnom en prison pour avoir 3 années durant lentement empoisonné la tortionnaire de la prison, une détenue violente et sadique. Si l'on n'aide pas la Douce on obéit à la Sorcière, si on ne veut pas l'aider par amitié on l'aidera par intimidation. La mécanique de la vengeance commence à se refermer sur Baek qu'elle a si souvent rêvé de tuer (voir photo ci dessus ou elle l'imagine sous forme de chien), tous les préparatifs aussi bien techniques qu'ésthétiques sont prêts, la vengeance s'apprête à être aussi terrible que magnifique. Pourtant alors que tout est prêt Geum Ja doute, hésite bien que l'horrible Baek, monstre inhumain qui a enlevé et tué plusieurs enfants en bas âge, mériterait la mort. Alors pourquoi ce vacillement à l'ulitme étape,est ce parce qu'elle a retrouvé sa fille qu'elle n'a pas vue depuis 13 ans? Est ce parce qu'elle se sent aussi coupable de la mort de l'enfant car elle a participé indirectement à l'enlèvement? Est ce parce qu'elle ne peut se venger pour les autres parents qui ont perdu leurs enfants? ou peut être est ce parce que finalement la faiblesse vient d'elle même, est elle vraiment cette femme terrible qu'elle voudrait faire croire?
Encore une fois Park Chan-Wook bouleverse nos certitudes, piétine nos idées reçues, stoppe un éventuel processus d'identification à Geum Ja. Alors qu'on était prêt a admettre l'inadmissible, la vengeance meutrière, c'est la personne directement concernée qui recule bien qu'elle ait à la merci le monstre, cet être haïssable qui se fait passer pour un honnête enseignant des quartiers huppés de la ville, enseignant l'anglais à des enfants, le genre de personne à qui on pourrait confier son enfant. D'ailleurs ce faux-semblant, cette dissimulation peut rappeller quelqu'un. A la dernière seconde la terrible vengeresse va se mettre en retrait, croisant le policier qui l'a incarcerée sans scrupules 13 années auparavant, elle va lui révèler tous les crimes odieux de Baek. Ce dernier anéanti, décide de convoquer en secret les familles des jeunes victimes. Il s'ensuit une scène d'une force et d'un réalisme extraordinnaire et terrifiant lorsque les parents visionnent les cassettes de leurs enfants enlevés que l'assassin utilisait pour reclamer une rançon. Ainsi Baek qui déteste les enfants les tuait systématiquement, il demandait des rançons pour se payer un yacht. Cette réunion secrète a pour objet de décider du sort de l'assassin cruel : aura t'il droit à la justice des hommes, à un procès, ou à la justice de l'homme, à la loi du Talion.
Finalement Geum-Ja, malgré sa haine pour l'homme qui a detruit sa vie, ne peut se résigner à le tuer, alors elle va s'effacer, pour une vengeance indirecte, par interposition. En fait elle veut moins se venger que se racheter une conscience elle culpabilise : énormément de la mort de cet enfant, certes elle ne l'a pas tué mais elle a participé à son enlèvement, d'ailleurs dès sa sortie elle va rencontrer les parents de l'enfant et devant eux commence à s'amputer de chacun de ses doigts tant que les parents ne lui accorderont pas son pardon. Aussi culpabilise t'elle d'avoir laissé son enfant qui lui en veut de l'avoir abandonné. Le pardon de sa fille, pour cet enfant tué, importe plus que la mort de Baek. C'est un peu en cela que la vengeance pourrait être redemptrice, ce serait un acte pour se faire pardonner et aussi peut être pour se pardonner à soi même mais l'acte de violence en lui même n'a aucune vertu redemptrice, d'où la vengeance indirecte. Mais le film ne dit pas si la vengeance a fait disparaitre les démons de Geum Ja. Tel le Raskolnikov de Dostoïevski ( héros du livre Crime et Châtiment ) les affres psychologiques de Geum Ja sont insondables.
Cependant la reflexion sur la vengeance se dédouble avec la vengeance collective des parents : alors jurés et bourreaux se confondent, la décision punitive pouvant paraitre acceptable devient terrible et inhumaine dans son accomplissement. Encore une fois la scène de vengeance organisée et méthodique des parents est bouleversante, l'amoralité de l'acte se mêle à un sentiment de soulagement malsain qui ne peut que gêner le spectateur. De plus la terrible scène "post vengeance ", où les parents-bourreaux redeviennent humains dans toute la trivialité du terme puisque timidement chacun demande a récupèrer la somme de la rançon, est peut être plus derangeante que la vengeance car c'est la réalité quotidienne qui se dessine dans un contexte incroyable. Le réalisateur n'apporte pas de réponses mais il apporte les questions, ceux qui ne s'interrogent pas verront un film simplement violent mais ceux qui réfléchissent verront un film dérangeant qui nous amène à réfléchir sur nos conceptions philosophico-morales.
Au délà de l'aspect réflexif de ce film aussi ambivalent et ambigü que ses personnages, on trouve un réalisateur techniquement impressionant. La réalisation est magnifique et parfaitement maîtrisée, la beauté des plans est à couper le souffle, cette fois la caméra se pose et observe elle n'est plus en constant mouvement comme dans Old Boy. L'esthétique des plans est sublime tout a été subtilement pensé des décors, aux costumes en passant par le maquillage. Chung Chung-Hoon le directeur de la photographie (déjà présent sur le tournage de Old Boy ) fait un travail excellent sur les couleurs faisant coïncider les changements de teintes avec la progression dramatique du film. La mise en scène est magnifique, efficace et audacieuse elle réussit à créer une atmosphère à la fois sombre mais aussi un peu baroque. Enfin le film est sporadiquement saupoudré d'un humour savoureux, tantôt noir ,tantôt absurde. La musique est sublime à la fois mélancolique et puissante, avec de très beaux morceaux au clavecin, elle nous transporte d'un bout à l'autre du film. Il faut dire Cho Yeong-Wook n'en est pas à son coup d'essai et il nous a déjà emerveillé avec ses musiques survoltées et symphoniques (d'ailleurs il s'inspire ou reprend souvent des morceaux de Vivaldi) il a composé entre autres les musiques de Old Boy, mais aussi celle de JSA ou de Silmido.
Photo en haut à Gauche Geum Ja (Lee Yeong-Ae), en haut à droite au premier plan le pasteur ( Kim Byeong-Ok) et photo du bas Baek (Choi Min-Sik)
Enfin il est impossible de ne pas évoquer les génialissimes interprétations des acteurs. Certes le casting était de haute volée mais les acteurs nous livrent tous d'excellentes prestations, ils jouent avec force et conviction leur personnage leur donnant leur profondeur, leur inhumaine humanité. Kim Si-Hu qui interprète le jeune amant naïf de Geum Ja et Kwon Yea-Young qui joue Jenny sa fille nous livrent de belles prestations pour leurs premières apparitions à l'ecran, ils sont convaincants et émouvants. Mais surtout je voudrais revenir sur les prestation de trois personnages tout d'abord l'extraordinaire Lee Yeong-Ae ( JSA, One fine Spring Day) qui interprète le rôle de Geum Ja. Elle donne toute son ambiguité à son personnage le rendant tantôt sombre et impénétrable tantôt doux et naïf, sa froide beauté nous eblouit alternativement par sa pureté ou sa noirceur. Ensuite, il faut évoquer la superbe jeu de ce grand pilier du cinéma coréen qu'est Choi Min-Sik ( personnage principal dans Old Boy et dans Ivre de Femmes et de Peinture...) son interprétation de Baek en salaud froid et indifférent est bluffante. Il donne toute la dimension dégoûtante et écoeurante à son personnage de kidnappeur cruel, voilà ce qu'on peut appeller un "Vrai méchant" l'homme qu'on ne peut s'empêcher d'haïr. Bien qu'ayant peu de dialogues, ses moindres répliques sont glaçantes, comme lorsqu'il prononce pour expliquer ses actes cette phrase terible : "vous savez dans la vie, personne n'est parfait". Enfin je voudrais évoquer le rôle de Kim Byeong-Ok ( qui joue le garde du corps au cheveux décolorés dans Old Boy et bientôt sera à l'affiche de I'm a Cyborg but that's OK d'ailleurs le lien allociné affirme que c'est une femme mais malgré sa coupe quelque peu ridicule je vous assure qu'il est un homme), il a l'un des seuls rôles comiques du film, son personnage de pasteur ridicule et crédule est hilarant.
Pour finir, à titre d'anecdote, on peut noter le petit clin d'oeil du réalisateur à ses anciens films. En effet les rôles des voyous qui agressent Geum Ja sont joués par le génial Song Kang-Ho et par Shin Ha-Kyun, ils tiennent tous deux les rôles principaux dans Sympathy for Mister Vengeance. Le rôle du garçon de 5 ans tué sour les yeux de Geum Ja et qui apparait devant elle adulte est joué par le très bon Yoo Ji-Tae, il interpétait le jeune homme manipulant Choi Min-Sik dans Old Boy. D'ailleurs des critiques lui ont reproché ces "autoréférences" estimant qu'elles étaient narcissiques et inutiles personnellement je trouve cela simplement amusant et ces critiques me semblent totalement infondées, enfin il fallait bien trouver un défaut à ce film!
Pour conclure je dirais que Lady Vengeance mériterait juste d'être vu pour voir un film ou un personnage vautre son visage dans une tarte à la crème (au tofu plus précisement) sans que cela soit ridicule! En effet dans le film la pâtisserie est synonyme de reconversion, de rédemption, l'immaculée blancheur du gâteau symbolisant la pureté que Geum Ja cherche desespérement à retrouver.
Nostalgic Du Cool
