Le Pensionnat, venez faire un rêve : le rêve du retour en enfance.
Le pensionnat, Songyos Sugmakanan, 2006, Thaïlande.
Le pensionnat (Dek hor) est le second long métrage de Songyos Sugmakanan, réalisateur thaïlandais. Passé par la réalisation de documentaires pour la télé après avoir suivit des études de cinéma à luniversité de Bangkok, il réalise quelques courts métrages puis se lance dans le long, avec « My Girl » (2003), sur le plateau duquel il découvre Charlie Trairat (Tôn) et qui récoltera 3 millions deuro au box office, enchantant la critique (primé au festival de Shangaï) et les spectateurs. A 34 ans, il réalise donc son second film, et cest une seconde réussite : critique, car récompensé par de nombreux prix (du public à Deauville, Ours dargent à Berlin, etc ) et publique, puisque relativement bien diffusé pour un film de cette origine et avec ce budget
Cétait donc pour nous presque une obligation que de voir ce film qui sannonçait très bon, surtout aux vues de la vague thaïlandaise et vietnamienne de très bon ciné qui déferle depuis quelques années, et dont Nostalgic a déjà eu loccasion de parler ici. Nous nous attendions à un film dauteur, parlant avec nostalgie et dureté du monde scolaire, et nous voila en fait devant un film de fantôme, frisant parfois lhorreur, oscillant entre onirisme, film initiatique et tableau doux-amer de lenfance. Et pour bien nous plonger dans lambiance, le sacro-saint résumé :
Tôn est un jeune garçon que son père veut forcer à travailler dur à lécole. Il décide donc, au milieu de lannée, de lenvoyer dans un pensionnat réputé. Mais le fils est réticent, percevant derrière les motifs scolaires dautres raisons, inavouables, ce qui léloigne de son père et du reste de sa famille, puisquil senferme dans un mutisme presque total. Arrivé dans létablissement, il est pris en charge par Mlle Pranee, qui le présente à la classe et lui fait faire le tour du propriétaire, lui indiquant notamment son lit. Puis vient le premier soir, et les premiers récits de ses camarades, qui lintègrent à leur cercle nocturne. Lécole serait peuplée de fantômes en tous genres, issus détranges faits-divers survenus dans les lieux : Une fille qui se suicide, un élève qui se noie, une prof (Mlle Pranee) qui pleure devant un tiroir vide en écoutant un air démodé sur un disque rayé, etc Les légendes vont bon train, et chacun y va de son anecdote. Mais Tôn ne semble pas impressionné par ses camarades, quil suppose sans doute en train de la bizuter. Mais très vite, il va se rendre compte de la véracité des dires de ses camarades, du moins déléments troublants : une ombre derrière lui dans les toilettes, une porte qui se ferme à clef toute seule, des chiens qui hurle à mort, Mlle Pranee qui effectivement pleure seule dans son bureau, etc Et puisque les pissotières semblent hantées, il se réfugie souvent sous sa couette toute la nuit, se réveillant humide au matin Proie des fantômes le soir, risée de ses camarades le jour, il trouve un soutient en Witchien, jeune élève de son âge, qui lui apprend les bons tuyaux et laide à prendre ses marques dans le pensionnat. Lors dune séance ciné, où les écoliers regardent un film de fantôme-vampire, un des personnage dévoile la technique pour passer inaperçut aux yeux des esprits : arrêter de respirer. Dans un grand élan mimétique, tous les enfants le font. Et Witchien se retrouve seul. Et Tôn le voit disparaître en sarrêtant de respirer. Horrifié, il se précipite vers une autre place, peuplé denfants normaux. Acceptant finalement le statut de son « ami », et assez fier dêtre le seul à le voir, il reprend contact avec lui, profite de son expérience, et fait sa connaissance. Il raconte aussi ses aventures à ses camarades nocturnes, qui laident à retracer lhistoire supposée de lenfant.
(SPOILERS ** Lire ceci peut nuire à lintérêt de lhistoire **SPOILERS)
Tôn voit la vérité un jour, alors quil rode près de la vieille piscine condamnée : il y voit son ami sy noyer, alors quelle est vide, et mourir au fond, puis se relever, fantôme. Celui-ci consent alors à raconter intégralement les événements qui ont aboutis à sa mort : un jeu idiot denfants, une crampe au mauvais moment, des amis qui sen vont en croyant à une simulation de noyade, le tout précédé coincidence funèbre !- de la découverte par Witchien de larrestation de son père dans un journal posé dans le tiroir de Mlle Pranee
Tout sexplique alors, la demi démence de la prof, le lit grinçant (qui était celui de Witchien avant sa mort, et quon a du ressortir du grenier pour Tôn), et les toilettes hantés, qui sont en fait le lieu de résidence du fantôme. Ce dernier doit revivre tous les jours sa mort, sans savoir pourquoi. Invisible aux yeux des autres, il sennuie. Un des amis de Tôn lui explique sa théorie, selon laquelle seul un esprit peut laider à rejoindre le séjour des morts, sans quoi il continuera a errer sans fin


Pendant tous ces événements, le père, inquiet, avait tenté plusieurs fois de joindre son fils, mais celui-ci réussissait toujours à esquiver, en voulant vraiment à son géniteur et à sa famille de sêtre débarrassé de lui, même si la vie au pensionnat ne lui déplait pas en fin de compte. On finit, au cours dun flash-back, par apprendre lorigine de cette rancur : Il a un jour surpris son père en train de faire lamour avec une autre femme, alors quil regardait en cachette la télé
Enfin bref, en voulant résoudre les problèmes de son ami, il va aussi devoir résoudre les siens, notamment au niveau relationnel. Devant la plainte de Tôn, Witchien le recadre : « Tu dis que tu nexiste pour personne (comme moi), mais est ce que les autres existent pour toi ? ». Devant ce constat très dur, lenfant va choisir de pardonner à son père, daccepter son cadeau et de tenter son ami en désolidarisant son esprit de son corps, au moyen de léther, avec lesquels certains élèves se shootent ! Après avoir aidé son ami à quitter le cycle dans lequel il était enfermé, ce sont les grandes vacances qui arrivent, il dit adieu à ses copains et retourne dans sa famille, réconcilié avec son père, heureux.
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Hopla, vous voila en présence de la nouvelle apparition cinématographique en provenance de Thaïlande. On en profite pour faire un petit coucou à leurs voisins Birmans, qui eux nont pas le droit de tourner, et de toutes façon nen ont pas le budget. Après cette parenthèse hautement cynique, entrons dans le vif du sujet, le film. Comme je lai dit au départ, je ne mattendais pas du tout à ça quand la séance a commencée. La première partie est en effet un film dhorreur, avec tous les effets de style que cela implique, la musique, le ton, lambiance nocturne, sombre et glauque de ce pensionnat un peu miteux, très loin du luxe, ces histoires de fantômes qui circulent entre les élèves et semblent vrais, les profs pas net, un enfant qui se sent seul, situation propice à tous les dérapages Et il faut bien dire que ce morceau du film est très réussit, même si je ne suis pas fan du genre. Avant que lexistence du fantôme soit avérée (on pense que cest un garçon normal au début) et découverte, on simagine que ces histoires de portes, de chiens qui hurlent ne sont que le fruit de limagination débordante de Tôn, on pense à Cria Cuervos et sa description anti-conformiste de lenfance. Période en effet souvent décrite comme magique, magnifique, innocente, heureuse à tous points de vue, etc.. Dans le film espagnol que je viens de citer, comme dans celui-ci, ce « pays de la vie » est montré par sa face sombre, celle qui ne voit pas le soleil, celle de la nuit, des peurs irraisonnées, des angoisses, du complexe doedipe Lenchaînement est brusque certes, mais cest pour la bonne cause. En voyant le rejet du père au début, je nai pu mempêcher de soupirer : « encore un film qui va nous sortir un bon vieux complexe, un fils qui jalouse son père etc ». En fait non, sil est proche de sa mère et pas de son père, cest pour une autre raison, déjà expliquée plus haut.
La scène pivot, celle dans laquelle le film bascule dun genre à un autre est celle du cinéma, où Tôn découvre la vérité sur son ami. Si lon croyait jusquà présent assister à une fresque de limaginaire sombre mais débordant dun enfant solitaire, ce nest plus possible. On doit se rendre à lévidence, ce fantôme existe ailleurs que dans limaginaire de Tôn (bien quen fait un léger doute subsiste toujours, mais on en reparlera), et ce film nest pas à classer dans le genre horreur. La seconde partie quitte ce registre pour entrer dans une ambiance plus fantastique tout en étant plus réaliste, bucolique. A part le fantôme, rien nest étrange. Et comme ce fantôme ressemble comme deux gouttes deaux à un enfant, au détail prêt que seul Tôn le voit Ainsi, si lors de la première demi-heure on tremble un peu et on ne se sent pas à laise, la suite est bien plus agréable et sympathique Les deux compères vont vivre des choses relativement heureuses, et vont sentre aider à retrouver goût à leur « existence ». Ainsi, après une première réaction de rejet, Tôn revient presque naturellement vers Witchien, joue avec lui -au grand étonnement de ses camarades qui le voient parler tout seul !- et essaie de se renseigner sur son passé, les conditions de sa mort, le pourquoi de sa condition. Les effets spéciaux, peu nombreux, sont réussis et efficaces, sobres, sans surenchères de type hollywoodien. Le jeu des acteurs est à lavenant. Les enfants sont vraiment bons, le réalisateur a sans doute dû déployer des trésors de compréhension et de patience pour les amener à ce résultat impressionnant ! Enfin, et pour laisser des choses à dire à mon camarade, je finirai ce léger commentaire sur lambiance magique du film. On est emporté par les images, par la réalisation virtuose, par le charme des cadres, par la photo un peu surannée, le ton mélancolico-acidulé de la fin du film, la douceur et la joie de la fin. Quelques images magnifiques émaillent le film, comme le « départ » de Witchien pour lautre monde : il dit tranquillement au revoir à Tôn, et sen va sur la route droite, devenant de plus en plus flou au milieu dun décor qui lui aussi est peu clair. Devant lui la voie semble sétirer à linfini, derrière Tôn les hauts arbres plantés parallèlement sur la bord de la route donnent deux lignes de perspectives qui nont lair de ne jamais se rejoindre, symbolisant peut être la vie, ses cycles infinis, au milieu duquel les chemins des deux enfants se sépare : lun va recommencer (sans doute, si lon considère lhistoire dun point de vu bouddhiste) sa vie, lautre prend vraiment le départ de la sienne. Ils se quittent sans amertume, heureux de ce qui va arriver à lautre et conscient de linéluctabilité de cette situation
Très bon film donc, que je conseille à tous, qui parle de lenfance, de fantômes, damis, des parents et des drames de la vie

Interview du réalisateur ici
Carcharoth
Voila juste un passage rapide derrière la critique détaillée de mon compère. Comme lui je suis tombé sous le charme de ce film, plus exactement je suis retombé en enfance car, en effet, c'est l'enfance le sujet de ce film, dans tout ce qu'elle a de magique, de terrible et de merveilleux. Comme dans Cria Cuervos, le Pensionnat nous montre cette période charnière à travers les yeux des principaux interessés : les enfants, un regard tantôt effrayé, tantôt emerveillé, tantôt attristé en tout cas jamais objectif et c'est ça qui en fait la force. Nous "adultes" on a tendance à trop porter un regard rationnalisé sur l'enfance, ici ce n'est pas le cas, ici on se replonge dans ce qu'on était. Dans le Pensionnat les fantômes se cachent sous les lit et empêchent d'aller aux toilettes la nuit, on a des amis que seuls nos yeux peuvent voir, les adultes ont tous des attitudes bien étranges, comme s'ils habitaient une autre planète que les enfants. D'abord ça fait sourire puis on se souvient : qui n'a pas recouvert son visage avec sa couverture pour se protéger d'un monstre? Qui ne recroquevillait pas ses jambes, retenant son souffle devant les films d'horreur (d'ailleurs la géniale scène hommage au vieux cinéma d'horreur thaïlandais vaut le détour)? Qui n'a pas cru en la véracité de faits irrationnels, surréalistes, voire en un ami imaginaire? Bref qui n'a pas été un enfant? C'est tout ça qui nous revient quand on visionne le film. Cependant certainement marqué par une sagesse et une philosophie toute asiatique, le film respectueux d'une certaine harmonie, du "ying" et du "yang" pourrait t'on dire ne nous montre pas une image idyllique d'une enfance insouciante et innocente. C'est aussi une chose que l'on a tendance à oublier, bien souvent on revoit notre enfance comme une époque idéalisée, ici le film nous rappelle tout ce qu'elle a pu avoir de douloureux avec la solitude, la séparation, la cruauté des enfants, l'angoisse irrationnelle, la peur de grandir, l'incompréhension du monde adulte, tout nous revient.
Enfin un film nous offre un regard original et sincère sur l'enfance, la part belle est faite à l'imagination, à l'onirisme, à l'extravagance, bref à la poésie de cette période. Mais c'est aussi un regard juste qui traite de la réalité de cette époque avec une nostalgie douce amère. Ce film nous fait vivre un mini syndrome de Peter Pan jubilatoire, pendant deux heures les "adultes" que nous sommes retrouvons toute la magie, la "mythologie" avec tout son lot de croyances extraordinaires, de cette période révolue. le Pensionnat nous fait passer en quelques secondes du film d'angoisse, à la comédie légère, puis au drame humain embrassant toute la complexité de l'enfance et nous rappelant l'inconséquence de ce temps, où la joie succède à la tristesse, où l'insouciance la plus totale peut précéder un grand sérieux digne d'un adulte. Si on ajoute à cela la grande maîtrise du réalisateur jonglant à merveille avec les genres et le jeu excellent des enfants, en particulier le jeune Charlie Trairat bluffant, je ne vois plus d'excuse pour rater ce film.
le Pensionnat est un film qui fait du bien malgré son départ angoissant, un film sur le rêve, un film sur la jeunesse et sur notre jeunesse, le genre de film qui me fait comprendre pourquoi j'ai pris ce pseudonyme...
Nostalgic Du Cool