Mind Game, Masaki Yuasa (2004), pépite de l'animation japonaise
Mind Game, Masaki Yuasa, 2004
Mind Game est un film d'animation adapté du Manga du même nom de Robin Nishi. Il a fait dans le petit monde de l'anime l'effet d'une bombe, d'un coup de poing, d'une claque et a reçu des éloges très nombreux des plus grands. Pour autant sa distribution n'a pas été à la hauteur des critiques élogieuses. Et pourtant, moi qui ne suis pas un grand fan de l'animation en général j'ai tout simplement été scotché par ce film ! Explications.
Tout d'abord il y a l'histoire, excentrique, flottant en le rêve et la réalité en permanence, jouant habilement avec les frontières d'un genre pour mieux en évoquer un autre. On la doit à Robin Nishi, qui donne son nom au héros du manga. Bande dessinée qui a été condensée ici, avec quelques menues retouches histoire que le film garde une certaine cohérence. Je ne connais pas les trois tomes du bouquin original, et ne pourrait donc pas vous dire ce qui a été coupé ou modifié. Ce qui nous intéresse ici, c'est le film. Une histoire qui oscille entre Pinocchio, le Livre de Jonas, Robinson Crusoé et Sartre. Et oui, rien que cela !
Nishi est un mangaka de troisième ordre. Depuis sa plus tendre enfance il est amoureux de Myon. Ce jour la, il mange avec elle dans le restaurant qu'elle tient avec sa sur quand deux yakuzas débarquent à la recherche du père, criblé de dettes. Il se fait tuer alors qu'il essaie lâchement de passer inaperçu tandis que Myon est en train de se faire violer. Devant dieu, il esquive, court, le dépasse et revient à la vie, quelques secondes avant de mourir. Il parvient à changer de destin, abat le mafieux, fuit avec Myon et sa sur mais est poursuivit par les voitures des yakuzas. Après une course folle dans les rues de la ville et du port, il termine dans le ventre d'une baleine géante alors que sa voiture allait tomber à la mer. Ils rencontrent dans l'estomac de la bête un vieil homme qui vit la depuis plus de 30 ans. Après une période de dépression, les trois jeunes gens prennent le parti du vieil ermite et décide de se réjouir de leur vie solitaire. Mais la bête commence à montrer des signes de faiblesse, elle doit être proche de la fin. Ils décident alors de tenter le tout pour le tout dans un essai de sortie.
Et pour illustrer cette histoire rocambolesque, il y a les dessins protéiformes du studio 4°C, qui passent du quasi réaliste à un trait qui rappelle celui des Triplettes de Belleville, ou encore à un fouillis ultra coloré, des dessins en sépia ou encore certains qui évoquent Dali et Van Gogh... On le voit le dessin n'entre pas dans la petite case du « manga » comme on aime à le voir en France, il est bien plus excentrique et délirant que ce qu'on a déjà pu voir chez Miyazaki ou Takahata et il traduit parfaitement l'ambiance de ce film d'animation, le premier de Masaki Yuasa (qui a collaboré avec les deux réalisateurs cités au dessus ainsi que la la télé). Ils ont (les dessins) été récompensés de nombreux prix en Asie tant ils se démarquent de l'ultra réalisme qui fait loi en ce moment dans le monde de l'animation. On comprend à voir les merveilles réalisées qu'il a fallu deux ans rien que pour réaliser l'animation de ce film. En effet, si les graphismes sont parfois assez minimalistes, privilégiant le mouvement ils sont aussi parfois désarmant de beauté et de détail. Il en est ainsi du début du film, à Paris dans les années 30 qui rappelle le film de Sylvain Chomet.
Le mot vient d'être jeté, le mouvement, c'est bien le point fort de ce film, ce dynamisme et cette vivacité font passer les 100 minutes du film à la vitesse de l'éclair. Jamais on ne s'ennuie, toujours on veut que l'histoire continue et se développe. Et c'est d'ailleurs l'avantage de l'animation sur le film avec acteurs, on peut faire faire n'importe quoi à ses personnages, à ses décors, et pas besoin de sappeler Nolan pour faire s'enrouler une ville sur elle même. Il y a toujours de la couleur, du mouvement, de la vie quoi. C'est chatoyant, ça bouge, c'est sublime de bout en bout (la je ne parle que de Mind Game, pas de tous les animes). Du coté des influences dans le film d'animation, je ne pourrais pas trop vous en parler étant béotien en la matière. Mais il semblerait que Mind Game soit assez révolutionnaire et ne découle directement d'aucun autre genre. Les graphismes géniaux s'enchaînent, nous entrainant dans un tourbillon de scènes passées, présentes, possibles, de rêves et d'actions bien réelle, nous plongeant tour à tour dans la psyché des héros où dans leurs doutes, nous laissant planer avec eux dans le ventre de la baleine ou parcourir les rues d'Osaka tombeau ouvert, ou encore vivre dans un manga le temps d'une scène qui se répète comme un leitmotiv.
Car sous cet imbroglio d'images touffues, dans cette tornade de scènes expérimentales il y a une idée qui revient, lancinante et qu'il faut saisir au vol : Mind Game (jeu de l'esprit) met en évidence cette phrase : « ta vie est le fruit de tes décisions ». Face à un dieu qui change de forme toute les secondes, il décide de ne pas suivre son ordre mais de choisir son chemin, remontant le temps et modifiant son destin. Par la suite il n'aura de cesse de proclamer qu'il veut vivre sa vie à fond, dans toute son ampleur sans en perdre une miette, sans se projeter dans le futur et sans regretter le passé. Il se responsabilise, devient plus audacieux et entreprenant avec Myon. D'ailleurs il n'y a pas que lui, sa bien aimée et sa sur elles aussi décident de vivre leurs rêves dans le ventre de la baleine. Si lui se met à dessiner des mangas, Myon se remet à la natation et Yan à ses créations artistiques. Ils acceptent leur condition de prisonnier et décident de vivre le mieux possible. De même, lorsqu'ils décident de tenter de s'échapper ils le font à fond et s'entraînent dur.
Comme le dessin, la narration est assez psychédélique et intercale des épisodes de la vie des protagonistes au milieu de scènes du présent, ce qui rend parfois la compréhension imparfaite et difficile. Il faut en fait se laisser glisser dans le style de Mind Game, se laisser prendre par sa poésie pour en bien saisir les tenants et les aboutissants. Au final tout s'éclaire, dans un optimisme qui n'a rien de naïf Masaki Yuasa nous montre qu'avec de la volonté on peut changer sa vie, même si l'on rate la moitié de ce que l'on tente ; on peut au moins être heureux d'avoir essayé et d'avoir vécu une aventure enrichissante.
Même si la morale du film ne casse pas trois pattes à un canard, elle a le mérite de n'être pas trop mièvre et de soutenir les graphismes et le scénario à rebondissement qui eux sont pour de bon époustouflants et raviront tous les publics !
Carcharoth