Paprika, film testament de Satoshi Kon (2005)

Publié le par Nostalgic-du-cool

Paprika (Papurika), 2005, Satoshi Kon



Affiche française. Rezo Films


Paprika est le dernier film du très regretté Satoshi Kon. Mort l'an passé (aout 2010) d'un cancer du pancréas à 46 ans, il a laissé dans le monde de l'animation japonaise un grand vide. Reconnu tardivement en Europe, son travail est pourtant l'un des plus originaux et des meilleurs dans son domaine et ce n'est que par le biais de festivals et grâce à Paprika qu'on associera son nom à une œuvre majeure des quinze dernières années. Perfect Blue, Millenium actress, Tokyo Godfathers sont aujourd'hui autant de chez d’œuvres reconnus, tant sur le plan graphique que pour leur scénario et la qualité de l'intrigue.

Comme je l'ai souligné dans l'article précédent (Mind Game), je ne suis pas fan ni spécialiste des animes même si la je dois avouer que ces deux là m'ont bien plus (comme j'avais aimé Ghost in the shell). J'essaie de rattraper mon retard au moins sur les grands classiques ! Donc si je fais des erreurs, commets des impairs, n'hésitez pas à me reprendre de volée !


Le nom de l'héroïne, vous l'aurez remarqué, correspond aussi à celui d'une épice bien connue (en fait du poivre rouge), et ce double sens n'est bien sur pas anodin dans l'esprit de Satoshi Kon qui l'exploite habilement à la fin, pour expliciter au mieux ses idées. Car le sujet du film, comme dans Millelium actress, c'est le rapport qu'entretient la cinéma (et l'imaginaire en général) avec le réel (les préoccupations matérielles), et la conclusion de Kon c'est Paprika, un épice. Cela vous semble confus ?


Rezo Films


Pour mieux comprendre, voici l'histoire : Konakawa est policier, est il fait d'étrange rêve. Un ancien ami lui propose les services de Paprika, une thérapeute possédant une machine de pointe,la DC mini. Celle ci permet de pénétrer dans les rêves du dormeur mais aussi d'y participer. Malheureusement plusieurs de ces engins non protégés sont volés, et les docteurs du centre de recherche psychiatrique où « travaille » Paprika sont un à un touchés par des rêves éveillés très dangereux. Le docteur en chef manque de mourir, un autre se suicide, l'héroïne (le docteur Atsuko Chiba) manque de sauter un garde fou du haut d'un immeuble, croyant franchir une simple grille dans un parc. Et le concepteur génial mais un peu « enfant » de la machine est fait prisonnier de son rêve, contaminé par le terroriste des rêves. Il ne reste plus alors qu'à Paprika la possibilité d'entrer dans ce rêve multiple pour y affronter son concepteur et maître.


Et oui, vous aussi vous y pensez, on croirait presque un Inception plus enfantin et moins blockbuster ? En effet, on en est pas loin, peut être Nolan avait-il vu Paprika ? On en est pas loin non plus pour la complexité du film, la superposition des rêves sur la réalités, les alter-ego des personnages dans ces rêves et surtout leur contamination entre eux mais aussi sur le réel, qui s'onirise et se fantasmagorise de plus en plus.


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Décrypter ce film est extrêmement compliqué, puisque avant de se lancer il faut l'avoir sacrément bien compris et analysé. Et vu le sujet, la complexité de l'histoire, rien n'est sur ! Mais essayer ne coûte pas grand chose, alors voilà.

Paprika est donc une sorte de thriller mi-fantasmé mi-réel, qui se déroule aussi bien dans des rêves que dans le monde matériel. Sachant que le rêve peut avoir plusieurs niveau et qu'il se vit aussi via internet et les yeux ouverts. Les personnages, complexes, tentent d'empêcher une prise de contrôle du monde par un fou terroriste et essaient de réparer l'erreur de Tokita (qui a oublié de sécuriser son bijou) tout en affrontant leurs propres démons, leurs peurs et leur inconscient qui a refoulé bien des choses...

Encore un fois, plusieurs niveaux pour la même intrigue, niveaux au début bien distincts mais qui au fil du film se mêlent pour au final de faire apparemment plus qu'un puisque les personnages principaux se retrouvent tous dans un même rêve qui contamine la réalité pour s'y affronter et sauvegarder cette dernière, menacée parle noir terroriste. En effet le film débute dans le rêve du commissaire Konikawa. On croit au début de l'intrigue, pour se rendre compte assez vite qu'il s'agit d'un rêve, un rêve de cinéphile d'ailleurs puisque à chaque passage de porte, de sas, le commissaire entre dans une nouvelle scène, de Tarzan au thriller en passant par le film romantique. Dans la dernière, il revoit le meurtre qui l'occupe en ce moment dans le monde réel et ne parvient pas à arrêter le coupable. Il tombe alors dans le vide et se réveille. Aux cotés de Paprika, avec qui il revisionne son rêve sur un ordinateur grâce à la DC mini (en fait il est encore dans un autre rêve, puisque Paprika est une créature de rêve, l'alter égo léger, frivole et séduisant de la doctoresse Atsuko Chiba. Mais ça, on ne le soupçonne pas au début !). Le monde réel n'apparait que lorsque Atsuko doit délivrer Tokita de l’ascenseur dans lequel il est coincé (il est énorme) et qu'elle apprend que les DC mini ont été volées. Le rêve reprend le dessus lorsque son supérieur est plongé éveillé dans le rêve du terroriste et manque de se tuer en sautant par une fenêtre. On découvre alors ce rêve qui sert de fil conducteur au film : une longue parade, comprenant grenouilles musiciennes, poupées, robots, chars géants, frigo, chaîne Hi-Fi, … et se déroulant dans une ville, une forêt ou un parc d'attraction abandonné. Bien évidemment les décors et personnages du rêves ont des origines réelles, et l'enquête pousse donc Tokita et Atsuko (Paprika avec elle) vers les lieux qu'ils reconnaissent. Par la suite tout va se mélanger, les terroristes vont surgir au détour d'un rêve, amenant ce rêve fou dans la réalité. Les héros devront alors se battre contre cette folie destructrice mais devront avant affronter, dans une voyage intérieur parfois périlleux (puisque intégré au rêve terroriste) leur moi, sur moi, ça et tout le tralala. Thérapie de groupe en quelque sorte.


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Mais s'il met en scènes des psychiatres et des rêves, ce n'est pas la il me semble le sujet principal de Paprika. En regardant de coté de la contamination rêve/réel on s'en approcherait peut être plus, surtout si on ajoute à ça ce que l'on a dit en ouverture sur le paprika. Car il me semble que ce dont veut parler Satoshi Kon à travers ce film comme au travers de ses précédents, c'est de la place de l'imagination, du rêve voire de l'enfance en général dans notre monde parfois un peu trop réel. Il lui semble que rejeter dans une petite case l'imagination, parler d'enfant lorsqu'un homme se laisse aller à vivre uniquement de sa passion (problème des otakus au Japon qu'il doit bien connaître étant si proche du manga ?) n'est pas une solution viable et équilibrée. Pas plus que ne vivre que par rêve et uniquement dans ce monde ne lui semble bon, on le voit aussi dans le film. Ce dernier est en effet conçu comme une dissertation, où presque. Une première partie pour montrer la contamination du réel par le rêve, une autre pour montrer les dégâts que provoque l'absence d'imaginaire et une dernière pour synthétiser les deux dans un équilibre instable et difficile mais nécessaire.


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L'imaginaire est évoqué dans Paprika de différente façon : le rêve bien sur, mais aussi le cinéma (puisqu'en fait le cauchemar du commissaire n'est qu'un regret de n'avoir pas continué dans la création artistique) et avec Tokika, génie inventeur mais à l'âme d'enfant, ayant du mal à bien saisir ses responsabilités et à anticiper les conséquences de ses actes.

Je viens de le dire, Konikawa évoque le cinéma puisque dans sa jeunesse il a laissé tombé son meilleur ami pour entrer à l'école de police alors que celui ci faisait des études de cinéma. La culpabilité du commissaire vient du fait que son ami est mort pendant ces études et qu'il n'a pas pu finir leur film en super-8 puisque Konikawa l'avait abandonné. Un passé de créateur et une vie présente ancrée dans le réel et la violence sont ils incompatibles ? Non répond Satoshi Kon, puisque le commissaire n'a épousé la voie policière que pour mieux vivre à fond son rôle de flic (qu'il jouait dans le métrage avec son ami) même s'il ne s'en rend pas compte et du coup rejette le cinéma.

Avec Atsuko Chiba il en va de même : On a l'impression de foire une sorte de Dr Jekyll et Mister Hide. Froide, ordonnée, les cheveux tirés, très professionnelle en Atsuko, elle devient séductrice, chaleureuse, une peu folâtre en Paprika. Il lui faudra affronter un grand danger pour se rendre compte que Paprika n'est pas juste une créature qu'elle peut contrôler mais une véritable part d'elle même (ou est ce Chiba qui est une émanation socialement correcte de Paprika?) qu'il lui faut accepter, acceptation qui passe par l'aveu à elle même de son attirance pour Tokika, le génie obèse.


Rezo Films


Bref Satoshi Kon affirme qu'il faut respecter un équilibre entre la part d'imaginaire et la volonté de s'adapter au réel, entre notre moi profond et fantasmé et le rôle que l'on joue en société pour être accepté. Il replace dans cette problématique le rôle du cinéma, véritable sel de la vie, épice (paprika!) nécessaire pour vraiment apprécier l'existence. Car la vie de l'homme est comme celle du papillon (animal qui revient souvent dans le film et est collectionné par l'un des protagonistes) éphémère, trop courte pour qu'on la gaspille.

Finalement ce message rejoint celui de Mind Game, qui prônait un vouloir vivre (un amor fati) proche de celui ci.


Pour finir, je vous renvois à l'excellent et inégalable article de Startouffe sur le film, qui analyse bien plus précisément la pensée de Satoshi Kon.

Pour ma part j'en retiens des graphismes soignés et magnifiques ainsi qu'un scénario complexe mais passionnant qui n'ennuie jamais et offre une belle réflexion sur la place du cinéma dans nos société, ainsi que sur celle de la création artistique et de l'imaginaire. Un beau plaidoyer qui sonne aujourd'hui comme un testament, malheureusement...



Carcharoth



Publié dans Films d'animation

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