Samaria : un sujet glauque pour un film d'une beauté grave

Publié le par Nostalgic-du-cool

                  Samaria est un film assez peu connu dans la filmographie de Kim Ki-Duk. Bien qu'il soit sorti en octobre 2004, quelques mois après le succès critique du magnifique Printemps été automne hiver... et printemps, qui va révéler ce réalisateur, Samaria va avoir un accueil assez timide et discret. Il faut dire que cette fois le réalisateur quitte la contemplation et la poésie de Printemps été automne hiver... et printemps et nous plonge dans un drame social touchant au  sujet extrêmement épineux qu'est la prostitution de mineures. Pourtant malgré ce fond dérangeant Kim Ki-Duk nous livre un film beau, profond, intelligent, une oeuvre paradoxalement douée d'une véritable poésie malgré la gravité des thèmes abordés.

      

         Samaria n'est pas le premier film de Kim Ki-Duk à traiter du sujet de la prostitution en effet, il était dejà évoqué dans Birdcage Inn et dans Bad Guy (attention l'affiche presentée sur allociné n'est pas du tout celle du film). Cependant, cette fois, le film traite d'un aspect spécifique et inquiétant de la prostitution qu'est la prostitution adolescente et volontaire, c'est un phénomène qui est d'ailleurs présent dans les autres pays asiatiques comme le Japon. Aussi ce n'est pas le premier film du réalisateur qui fait scandale, accusé de sexisme et d'immoralité comme pour  Bad Guy le réalisateur a subi de virulentes critiques de la part de ligues féministes estimant que le réalisateur considérait les femmes comme des êtres inferieurs. C'est sans doute pour cela que les femmes sont omniprésentes et ont souvent un rôle central dans son cinéma! Toutefois quand je vois les réactions délirantes du gouvernement coréen qui, face au drame tragique qui a eu lieu dans cette université de Virginie, craint des répresailles sur ses ressortissants  aux Etats Unis, je comprends mieux les positions farfelues voir absurdes de certains detracteurs du réalisateur.

  

            Aussi Samaria a fait scandale à cause de l'affiche ci dessus qui répresente l'une des actrices principales nue, uniquement vêtue d'un voile de nonne ( on peut voir sur la première affiche de l'article qui est celle sortie en Europe, que la nudité a été habilement tronquée en recentrant le tout sur le visage de l'actrice). Pourtant le film ne traite absolument pas du catholicisme et encore moins de religion. Mis à part le père d'une des deux filles qui se passionne pour les miracles chrétiens et le titre du film qui évoque la Samarie, qui est une région située en Israël ou vivent les Samaritains, peuple souvent présent dans la Bible et l'Ancien Testament, rejettés et méprisés par les autres juifs. D'ailleurs le film est aussi connu sous le titre de Samaritan Girl (un épisode de la Bible décrit la rencontre entre Jésus et une samaritaine), ainsi cela peut renvoyer à l'idée que la jeune fille qui se prostitue est en marge de la société, une sorte de paria qui va à l'encontre des moeurs d'une société bien pensante. Aussi, on peut y voir une évocation du bon Samaritain, car comme lui, la jeune prostituée voit dans les clients qu'elle rencontre des hommes à reconforter.

          L'intrigue du film confronte la naïveté et l'inconséquence de deux jeunes filles à la dure réalité de la société. Yeo-Jin( Kwak Ji-Min à droite sur la photo ci dessus), une adolescente qui vit seule avec son père aide Jae-Young ( Seo Min-Jung à gauche sur la photo), sa meilleure amie, à se prostituer. L'objectif de cette prostitution volontaire est de réunir une somme d'argent suffisante pour que les deux amies puissent se payer un voyage en Europe. Ainsi la première se charge de trouver des clients, de négocier un prix et de surveiller que les rencontres de son amie se déroulent sans incident. Les deux jeunes filles ont un temperament bien différent, Jae-Young est naïve, émotive et impulsive, elle ne voit le mal nulle part estimant son activité comme un moyen de reconforter amoureusement les hommes qu'elle rencontre. D'ailleurs elle a tendance à s'attacher facilement à ces relations ephémères, elle éprouve beaucoup de compassion et de tendresse pour ses clients ce qui inquiète beaucoup Yeo-Jin qui s'avère très protectrice. Elle est moins rêveuse que son amie, plus inquiète, elle éprouve du dégoût et du mépris à l'egard des personnes qui fréquente Jae-Young, elle est un peu plus en phase avec la réalité. Paradoxalement Jae-Young s'avère plus naïve et finalement plus innocente moralement puisqu'elle considère son activité de manière très génereuse, que Yeo Jin qui considère ces relations comme malsaines, malgré le fait que ce soit cette première qui accomplit l'acte moralement inadmissible.

 

                   Cependant, le plan qui semblait si simple aux jeunes filles ne va pas du tout se dérouler comme prévu, elles ont mis le doigt dans un engrenage qui les depasse, dans un piège invisible qui va se refermer sur elles, happant au passage les vies des hommes qu'elles ont croisées. Ainsi un jour Yeo-Jin n'a pas le temps de prévenir Jae-Young de l'arrivée de la police. Cette dernière, illuminée d'un sourire extremement troublant, saute de la fenêtre de l'immeuble pour rejoindre son amie eplorée qui l'attend en bas. On a l'impression que cette dernière n'a, comme dans ces relations avec ses clients, aucune conscience du risque encourue, son seul souhait semble de rester avec son amie. Quelques heures après cette chute terrible, Jae-Young décède, après avoir suppliée son amie de lui ramener un de ses amants dont elle etait tombée amoureuse. C'est la première confrontation à la terrible réalité, d'un côté Yeo-Jin découvre la mort et observe l'indifférence devant le drame de cet amant idéalisée par la jeune fille. Dévorée par la culpabilité Yeo-Jin décide de retrouver tous les anciens clients de son amie, de coucher avec eux et de les rembourser de l'argent du voyage. Elle part sur les traces de sa copine et découvre la fragilité des hommes et le pouvoir de réconfort qu'elle peut avoir sur eux, on a l'impression que par ce mimétisme lui viendra la compréhension de l'acte de Jae-Young.

  

                   Cependant elle n'imagine pas qu'elle va entrainer dans son sillage son père ( Lee Uhl ), un homme aimant et attentionné, qui va être anéanti par la découverte de l'activité de sa fille. Alors tandis que sa fille sombre dans la culpabilité, lui va sombrer dans la vengeance. Il va suivre en secret son enfant, traquant inlassablement les clients pour avant tout les empecher de fréquenter sa fille, puis pour les faire culpabiliser, les humilier, faisant apparaitre à la lumière d'une société policée leurs vices, leurs hontes. Tandis que la fille semble se reconstruire, se pardonner à travers cette cure d'immoralité, le père, lui, se détruit à travers cette quête moralisatrice mais surtout vengeresse. Alors que sa fille semble moins souffrir lui s'enfonce progressivement dans le cercle vicieux de la vengeance qui le pousse à agir toujours plus fort, plus violement. Finalement en cherchant à combattre leur propres démons père et fille se sont progressivement éloignés. Afin de se retrouver il vont entreprendre une voyage à la campagne, loin de l'univers aliénant de la ville ils vont essayer de se retrouver mais le fossé qui s'est creusé est profond. Pour ne pas dévoiler trop de spoilers je n'évoquerai pas la fin mais je peux dire qu'elle est à la fois magnifique et dérangeante, elle conclut le film sur toute la complexité du lien qui unit un père à sa fille mais plus généralement un parent à son enfant.

           Samaria au délà d'une histoire belle et bouleversante est aussi le film de toutes les performances. Tout d'abord le film a été tourné en 10 jours seulement avec un budget dérisoire, pourtant la photo, la mise en scène sont travaillées, dénotant une incroyable maitrise du réalisateur et de son équipe. Le travail effectué par Kim Ki-Duk est bluffant aucun détail n'est négligé, la réalisation est impeccable. En plus de la réalisation sublime, Kim Ki-Duk a cumulé pour ce tournage les casquettes de scénariste, de monteur et de chef décorateur. Enfin il a su diriger d'une main de maitre un casting composé essentiellement d'amateurs qui malgré leurs inexpériences se sont averés excellents. Il sont bouleversants de sincérité et de justesse, ils interprètent avec force leur personnage,lui donnant toute sa personnalité, sa dimension dramatique. En particulier les prestations de Seo Min-Jung dans le rôle de Jae-Young et celle de Lee Uhl avec le personnage du père m'ont particulièrement epoustouflé. La première avec son sourire perpétuel tantôt charmeur, tantôt tragique et ses grands yeux candides et malicieux incarne véritablement son personnage montrant toute sa générosité et sa candeur. L'interprétation du père tout en finesse et en douleur contenue, dissimulée, est magnifique, il nous fait ressentir la souffrance de son personnage, les tiraillements inhumains qu'il éprouve entre amour pour son enfant et haine de ses clients. 

 

               Bref Samaria est encore un chef d'oeuvre de Kim Ki-Duk qui ose aborder un sujet glissant essayant de lui donner un visage profondément humain, évitant les dérives faciles et moralisatrices. Il montre que la réalité est infiniment plus compliquée, plus ambigüe à travers un triptyque révelateur des différents aspects de cette prostitution volontaire. En effet le film s'articule autour de trois parties. La première partie est celle de Jae-Young, sorte de Madonne au sourire permanent et à la générosité naïve. C'est encore le temps de l'innocence, les jeunes filles n'appréhendent pas encore les conséquences de leurs actes. C'est le temps de l'insouciance, les jeunes filles vivent une relation fusionnelle ambigüe, proche de l'amour, elles se suffisent l'une à l'autre sans se préoccuper des autres. Cependant la réalité va les rattrapper, c'est la deuxième partie, c'est d'abord celle de Yeo-Jin qui entre dans la peau de son amie décédée, mais c'est aussi celle du père qui découvre la terrible vérité. C'est la partie sombre, immorale, violente, les personnages découvrent des facettes de leur personnalité qu'ils ne soupçonnaient pas. Enfin la troisième et dernière partie est le temps des retrouvailles entre le père et la fille à travers l'evasion vers la quiétude de la campagne. C'est aussi peut être le temps du pardon, de la redemption, de la compréhension. Les deux chemins parallèles que les deux personnages ont poursuivi chacun de leur côté sur le circuit de la prostitution vont se réunir en un même point. 

                     Pour conclure je dirais que Samaria est un film fort, d'une beauté et d'une poésie innatendue. C'est un film à la fois simple et juste, le réalisateur explique qu'il a voulu montrer sous un autre angle que les médias un phénomène de société terrible mais réel : la prostitution. Tandis que ces derniers décrivent ces hommes comme des êtres diaboliques, des monstres face à de jeunes filles innocentes et manipulées, lui a cherché à trouver les raisons poussant ces hommes à agir de la sorte. Il a tenté de leur redonner une certaine humanité, de les réhabiliter dans une société du paraitre qui tolère les vices tant qu'ils restent secrets sans chercher leurs causes profondes ou les moyens de combattre ces fléaux. Enfin il a montré ces jeunes filles comme des êtres à la dérive dans une société en plein mouvement, il a mis l'accent sur le phénomène social plutôt que sur le phénomène scandale. C'est tout à son honneur d'avoir fait preuve d'autant de courage et de sincérité sur un sujet encore largement tabou, son travail a d'ailleurs eté très justement récompensé de l'Ours d'Argent du meilleur réalisateur au Festival de Berlin en 2004.

             Nostalgic Du Cool



Publié dans Corée

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V
Belle critique avec du recul sur un film dérangeant, dur mais jamais impudique. La démarche des deux jeunes filles demeure finalement moralement assez enfantine avec cet objectif de l'argent à collecter pour le voyage. C'est vrai que l'affiche est provocatrice.
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