Une jeunesse chinoise, les rêves brisés de la génération Tian An Men

Publié le par Nostalgic-du-cool

                           C'est avec un peu de retard que notre blog évoque le dernier film de Lou Ye sorti dans le courant du mois d'avril. Une Jeunesse Chinoise est une preuve de la vitalité et du courage du cinéma indépendant chinois. Malgré le manque de moyens, la censure, les risques de sanctions, il subsiste des cinéastes chinois qui font toujours preuve de détermination et d'audace dans le choix de leurs sujets. Cela donne un cinéma sincère et politique qui est rarement au goût de la censure chinoise, en effet  Lou Ye et sa productrice ont été interdits de tournage pendant 5 ans par le Bureau du Cinéma de Pékin, le film est aussi interdit de diffusion en Chine. Officiellement la raison de cette sévère sanction est que le réalisateur a osé présenter son film en compétition officielle lors de l'édition 2006 du Festival de Cannes, alors qu'il n'avait pas obtenu d'autorisation d'exploitation par les autorités chinoises. Toutefois quand on voit que le film aborde bon nombre de tabous politiques et présente de nombreuses scènes d'amour, on a la sensation que ce sont plutôt ces raisons officieuses qui ont motivé la décision. D'ailleurs le réalisateur n'est pas le seul à souffrir de cette terrible censure, la plupart des réalisateurs indépendants chinois y ont été confrontés à un moment ou à un autre.

             Lou Ye est né en 1965 à Shangaï, enfant de comédiens, il obtient un diplôme de réalisateur de l'Académie du film de Pékin en 1989. Toutefois il va vite s'affranchir du formalisme académique et sa volonté d'indépendance lui attirera bien des problèmes avec la censure. Il appartient à la 6ème génération de réalisateurs chinois et comme sa génération il est beaucoup plus tourné vers l'occident et aborde des thèmes plus universels. Il se fait connaitre du public occidental avec son deuxième long métrage Suzhou River, une histoire d'amour emprunt de merveilleux, qu'il a cependant du réaliser clandestinement et le film sera interdit en Chine. Pourtant il enchainera avec Purple Butterfly, un projet ambitieux (avec la star asiatique Zhang Ziyi) sur le conflit sino-japonais des années 30 qui sera presenté en compétition officielle à Cannes en 2003 (tout comme Une Jeunesse Chinoise quelques années plus tard! ).

            Une Jeunesse Chinoise est un film d'apprentissage, c'est une sorte d'Education Sentimentale à la chinoise, à une différence près qui est que le héros n'est plus un jeune homme mais une jeune fille. On suit sur plusieurs années les aventures et les déceptions amoureuses de la jeune Yu Hong. Adolescente idéaliste, habitante d'une petite ville à la frontière avec la Corée du Nord elle débarque à Pékin pour aller à l'université (on constate que son profil ressemble fortement à celui Fréderic Moreau le héros de l'Education Sentimentale de Flaubert). Elle arrive dans un monde en ébullition bien différent de sa province, bientôt en proie aux bouleversements historiques. En effet le film se déroule avant, pendant et surtout après les événements de la place Tian An Men (1989) nous livrant la chronique d'une jeunesse qui a connu une phase de libéralisation des moeurs sans précedent mais qui a subi en retour une lourde repression entrainant la perte de ses illusions. Cependant ce n'est pas du tout un film politique, les évenements historiques ne servent que de toile de fond à l'intrigue, ils ne sont pas observés, analysés on voit seulement comment ils vont bouleverser le destin de plusieurs étudiants.

        L'histoire débute donc en 1987 dans une province isolée de la Chine, dans la petite ville ou réside Yu Hong. On découvre une belle jeune fille d'apparence douce et innocente partagée entre enthousiasme et appréhension car elle vient d'apprendre qu'elle a été admise dans une université de Pékin. Cela signifie quitter sa famille et surtout son premier amour, sa première expérience pour un univers aux préoccupations bien différentes des siennes. Toutefois elle va rapidement s'intégrer dans son nouvel environnement : la jeune fille qu'on imaginait naïve et douce s'avère en réalité plutôt mature et distante réussissant rapidement a se lier d'amitié avec plusieurs personnes, sachant jouer de son pouvoir de séduction. Elle ressent comme ceux de sa génération le vent de liberté qui souffle alors sur la Chine, en effet des étudiants etrangers sont admis sur le campus, les dortoirs sont mixtes, les cigarettes et l'alcool importés circulent librement. La libération sexuelle que montre le film marque bien l'évolution des moeurs, en effet l'université chinoise de l'époque n'a rien à envier à la sulfureuse réputation des campus américains.

            Mais sa carapace de fille forte va être ébranlée par sa rencontre avec Zhou Wei, un jeune étudiant, un garçon populaire et charmeur qui enchaine les conquêtes, elle en tombe immédiatement amoureuse. Il s'ensuit une relation fusionnelle d'amour haine, un je t'aime moi non plus entre ces deux fortes personnalités, quasi incapables de communiquer autrement qu'avec l'intimité de leurs corps. Entre passion et détestation, retrouvailles et ruptures, leur couple incarne l'espérance, l'exaltation d'une génération qui ressent bien qu'elle vit une époque extraordinaire. Puis assez soudainement le contexte historique rattrape ces jeunes qui semblaient plus préoccupés par leurs problèmes de coeur que par la situation politique, on a l'impression qu'ils ne saisissent pas encore le tragique de la situation, ils partent joyeux, en chantant vers la Place Tian An Men. Mais rapidement vient la pluie, véritable douche froide accompagnant la répression, les désillusions qui viennent briser, piétinner, éparpiller les destins de ces jeunes gens. Desormais la période de faste est terminée, c'est le temps de la fuite, de l'exil, les personnages se trouvent emportés par l'ouragan de la répression, violement separés, sans avoir pu se dire adieu, ou panser les blessures récentes. Ainsi Yu Hong repart pour sa ville d'origine tandis que que Zhou Wei fuit vers Berlin avec Li Ti, la meilleure amie de Zhou Wei avec qui il a une relation.

               Derrière ces terribles évenements on continue de suivre l'évolution de Yu Hong, la jeune fille froide et indépendante est devenue une femme mature pleine de mélancolie, de blessures mal refermées. La soudaineté de sa séparation d'avec Zhou Wei, la haine ressentie sur le moment face à la trahison de ce dernier la trompant avec sa meilleure amie, n'ont pas permis à cette dernière de pouvoir tourner la page. Maintenant elle erre triste et seule, animée d'un sentiment d'incomplétude, s'attachant périodiquement à des hommes, puis les jettant quand cela devient trop sérieux, elle semble morte émotionnellement, ce qu'elle pouvait ressentir lui a été volé par Zhou Wei, l'amour de sa vie. De son côté Zhou Wei continue sa vie à Berlin, s'il a bien mieux vécu la séparation, il semble inéxorablement attiré par la Chine, une force invisible l'y pousse, on se demande si c'est le mal du pays ou l'amour qu'il éprouve encore pour son ancienne passion. Chacun de son côté semble tiraillé par les regrets, ils sont blasés, la sensation d'être passé à côté de quelque chose, une certaine sensation de gâchis. On a l'impression que les deux n'ont été capables d'aimer qu'à travers l'acte sexuel sans jamais réussir à bâtir de véritables relations et que la seule fois ou cela aurait pu marcher c'était quand ils étaient en couple. Toute la philosophie, la reflexion triste et sombre du film se résume bien par cette réplique de Li Ti : "L'amour est comme une blessure, quand elle guérit il disparait."  ( Merci à Tik&Gra dont la critique m'a permis de retrouver cette phrase!)

              La réalisation de Lou Ye est excellente, la mise en scène colle parfaitement à l'évolution de l'intrigue, en effet la caméra virevoltante, collée au plus près des personnages dans la première partie, se pose et observe de manière plus exterieure, plus distanciée les personnages dans la seconde partie. Cela symbolise bien l'évolution des personnages ils sont passés de l'exaltation à une certaine résignation, à un sentiment de tristesse. Hao Lei l'actrice principale est excellente, elle donne toute la profondeur à son personnage montrant ses forces et ses doutes, elle réussit de façon impeccable à passer de l'adolescente sûre d'elle à la jeune femme mélancolique. Sa beauté d'ado rebelle puis de femme  un peu paumée nous berce tout au long du film. Cependant c'est sur le scénario que le film pêche un peu, en effet il comporte certaines longueurs et c'est parfois assez confus. Les ellipses narratives sont mal amenées et on s'y perd un peu et cela entraine que parfois l'émotion ne passe pas. Par moment on a l'impression que le réalisateur a du mal pour bien exploiter son scénario, à en sortir toute la substance ce qui est dommage car la richesse des thèmes abordés est grande. Puis, selon moi, j'ai trouvé dommage de laisser de côté le contexte politique qui aurait pu mettre en exergue la mélancolie des personnages en accentuant le côté tragique voire absurde de la situation d'une Chine qui s'est ouverte un temps mais seulement pour mieux se refermer.

               Bref Une Jeunesse Chinoise est un bon film, c'est une réalisation sincère et courageuse qui mérite d'être saluée. Le réalisateur fait preuve d'une certaine audace visuelle montrant pas mal de scènes de sexe, qu'il filme avec pudeur et sensualité accentuant le sentiment d'intimité. C'est osé pour le cinéma chinois mais pour un spectateur occidental cela n'a rien de choquant. D'ailleurs, pas si eloigné de la Chine il y a Taiwan, (qui normalement fait partie de la Chine bien que l'île en soit largement indépendante ce qui donne lieu à plusieurs problèmes) et c'est de ce pays que nous vient le sulfureux film qu'etait La Saveur de la Pastèque, une comédie musicale érotique. cela montre bien le fossé culturel qui demeure entre la Chine assez conservatrice et le reste du monde asiatique plus ouvert. Voila  un film qui a eu le mérite d'aborder un thème tabou : les evenements de 1989 et de les montrer sous un aspect interessant car non pas historique mais sentimental. On peut seulement regretter que certains thèmes abordés ne soient pas traités plus en profondeur.

               Nostalgic Du Cool



Publié dans Chine et HK

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H
J'ai bien aimé ce film !
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