Gojoe, le pont de l'enfer. Par Sogo Ishii

Publié le par Nostalgic-du-cool

cycle 
 
 cinema japonais

 

Gojoe, Sogo Ishii, 2001, Japon.

 

 

Après un petit détour chez Hanzo, nous voici de retour avec un autre film dans lequel on peut voir le toujours-très-bon Tadanobu Asano. Gojoe, film de sabre réalisé par un metteur en scène plus branché punk que Jidai-geki est une petite pépite à découvrir d’urgence. Le film rivalise d’inventivité et de créativité, pas loin de renouveler un genre qui renaît depuis quelques années aux japon (Zatôichi, ...). A croire que toute cette nouvelle génération des Miike, Tsukamoto et Ishii est créative et bourrée d’idées originales ! De ce dernier je n'ai vu aucun film, je l’avoue : Ni Burst City, ni le Labyrinthe des rêves, ni Electric Dragon 80.000 volts. Mais juste en lisant les titres (et plus encore les synopsis) on comprend que Gojoe n'est pas dans le registre habituel du réalisateur. Touche à tout sans complexe, Ishii s'est pourtant lancé dans l'adaptation d'une des légendes les plus connues du Japon : Le dit des Heikie, et la lutte pour le pouvoir qu'ont mené les deux clans les plus puissants du Japon du XIIème siècle. En parlant de ça: le film possède deux versions: la courte, japonaise, et celle, plus longue (car allongée d'avant goûts historiques pour spectateurs étrangers) présentée à l'étranger. J'ai vu la première, et je la trouve bien suffisante au niveau historique. Bref on s'en contrefout. Passons à un bref résumé.

 

En plein Kyoto, capitale de l'époque, se trouve le pont de Gojoe. Depuis quelques temps, un démon y vit et tue tous ceux qui tentent de le franchir. Le clan régnant, les Heike, y envoie chaque nuit des guerriers, mais sans succès. Cela dure et créé un climat de désordre, à tel point que les Heike sont déstabilisés. Des attaques de plus grande envergure sont donc organisés, sur les conseils d'un moine astrologue. Au même moment, Benkei, ancien malfrat reconvertit en moine, a une vision. Il obtiendra l'illumination s'il tue un démon. Apprenant l'histoire du pont Gojoe, il fait le rapprochement et s'y rend, convaincu qu'il s'agit d'une prophétie du Bouddha qui l'absoudra définitivement de ses fautes passées. L'affrontement est inéluctable, les Heike tentent d'en profiter, tandis que Benkei se heurtent à divers problèmes quotidien du quartier très populaire qui entoure le pont.

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  Un pont. Quel meilleur lieu pour un film composé essentiellement de duel, de combats, d'affrontements en tous genre. Quel lieu plus symbolique aussi ? Lieu de passage, de transition, de changement, de rencontre, d'échange, d'affrontement. Ouvrage stratégique au plus haut point, parfait pour les duels, bref un endroit physique et symbolique fort, un objet cinématographique parfait, un cadre idéal pour un film. Rien que pour cela, le film vaut le coup d'œil. Pour pouvoir dire "j'ai vu un film avec un pont comme personnage". Deuxième personnage, un prince déchu, un Genji, le clan déchu. Sa vengeance est terrible. Il maîtrise le sabre comme personne. Il se fait passer pour un démon aux yeux de la plèbe, mais son caractère tient plus de la divinité par bien des aspects. Vêtu de blanc, calme, possédant une forte énergie psychique, adoré par ses serviteur et ce qui reste de sa famille. Il est le "sauveur" tant attendu par les fidèles du clan qui combattent à l'est du pays. Dernier personnage important, le troisième, qui clôt le trio, Benkei, le moine combattant. Une énergie brute, une force de la nature, "né avec des dents et des cheveux", impulsif, il cherche à tuer ses propres démons et à sa racheter.

  Voila avec quoi Sogo Ishii construit son film. Une vieille légende, inspirée de faits réels, des personnages hauts en couleurs, un lieu fort. Pour résumer ce film en un mot, on pourrait peut être dire : Énergie. Sogo joue avec les éléments, intègre les forces telluriques et psychique dans le film, convoque les esprits, les fait s'affronter. C'est d'ailleurs assez étrange de se dire que le pont est censé être en ville, et de voir sur l'autre rive une forêt dense et presque vierge. C'est tout juste si un moine y habite, sorte de Pai Mei local qui a aidé Benkei plus tôt dans sa vie à sortir du cycle de la violence. Le prince Shanao (le démon / Tadanabu Asano) vit quant à lui dans une grotte avec sa "cour" (un serviteur, un frère, un moine). Aussi assiste-t-on à des scènes assez mystiques ou Benkei chasses les esprits, alors que Shanao l'observe dans un miroir aqueux. De même, les deux hommes s'affrontent à distance via leurs énergies mentales, ou encore brise des pots de terre à distance où font trembler le pont en entrechoquant leurs épées. Benkei ira même jusqu'à convoquer la foudre à la fin du film. 

  Les personnages sont donc un mélange entre des héros classiques de chambara et des super héros de manga, type DBZ, la coiffure en moins. Les quatre éléments sont omniprésent dans le film: le feu qui forge les armes, qui brule le pont, qui consume les âmes et le Kyoto en proie à la folie nihiliste, les étincelles qui jaillissent des chocs des armes; l'eau de la rivière qui coule sous le pont, l'eau de la pluie, l'humidité de la grotte, de la forêt verdoyante; la terre qui hume bon dans ce bois, qui macule les corps, l'air qui vibre quand les sabres volent, qui fait bouger les cimes des arbres. Il y a aussi le sang des Heike, le sang du peuple que ces derniers tue pour assurer l'ordre dans Kyoto, que Shanao tue en passant, dans délire meurtrier. Pour le coup on retrouve les thématiques "énergétiques" de Sogo Ishii, l'électricité surtout, tout ce qui touche à la puissance en général. Si Benkei semble rattaché à des forces chtoniennes, "primaires", Shanao lui est plus aérien, diaphane. Il se manifeste par le vent, son adversaire par des tremblements de terre.

 

  Gojoe c'est aussi un film dans lequel les combats sont surtout filmés de nuit ou dans une forêt, donc flous, entrecoupés, très rapides, les lames coupent, les têtes tombent, les chairs s'ouvrent, des geysers rouges giclent, la violence et la brutalité sont omniprésentes. On retrouve un peu le style "brut de décoffrage" de Tsui Hark, matinée d'une chorégraphie plus nipponne bien sur. La musique aussi joue un rôle déterminant. Sogo Ishii a trouvé son Chu Ichikawa :  les sons accompagnent l'image, mais aussi les personnages. Les dialogues sont d'ailleurs très rare tant ce film est quelque chose que l'on ressent, qui impressionne (au sens littéral). La musique et l'image suffisent. J’ai ressentit la même chose qu'Akatomy sur SanchodoesAsia; le fond sonore assez tribal qu'impose Onagawa imprime un peu plus la puissance et l'omniprésence de la nature dans le film. Si l'on était habitué au chant des sabres dans les chambara, on retrouve ici aussi une ambiance presque champêtre (ne serait ce le ton un peu lourd du au tragique de la situation), bucolique, une nature bien filmée et mise en valeur : les arbres bruissent, le sol sent, etc...


 

Avec Gojoe on change aussi de vision au sujet des samouraïs de cette époque. Si ceux de l'ère Tokugawa avaient déjà eu leur lot de critiques et de satires désabusées, on n'était moins habitués à entendre ce ton au sujet d'une époque quasi légendaire. La, Benkei doute, Shanao est un rebelle vengeur sans grande morale, Tetsukichi (le porte-arme de Benkei, voleur de cadavre et forgeron à ses heures) est un nihiliste, un pessimiste qui ne croit plus à l'homme. Les habitant de la petite bourgade entourant le pont sont pris de folie après le duel entre Benkei et Shanao et brûlent leurs maisons, voyant la fin du monde approcher. Ils sont massacrés sans pitié par les Heike, y compris une jeune mère que Benkei avait sauvé d'un exorcisme assez brutal au milieu du film. Seul son jeune enfant survit. "Il s'accroche à ce monde" comme dit Tetsukichi. C'est d'ailleurs grâce à lui que l'enfant survivra et que ce dernier retrouvera une once d'optimisme. Les guerriers et les hommes ne sont donc pas épargnés, ça nous change de la vision un peu idéaliste que nous donnait les cinéastes des générations précédentes.


  Violent, physique, brutal, servi par un duo d'acteur époustouflant (surtout Ryu Daisuke, impressionnant qui dégage vraiment quelque chose de surnaturel), accompagné d'une musique simple mais très efficace; Gojoe est vraiment un film infernal, une nouvelle expérience sensorielle à vivre venue du Japon. Encore un nouveau cinéaste à découvrir. Fortement conseillé aux fans du genre, aux amateurs de sensations fortes et aux curieux, peut être un peu moins à tous ceux et celles qui répugnent aux combats...


La fiche imdb de Gojoe.



  Carcharoth.



Publié dans Japon

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