Hanzo the razor, la plus longue lame de la justice.
Hanzo the Razor (Goyokiba), Kenji Misumi, 1972, Japon.

Euuuuuh... Comment dire ? J'avais envie de la faire un peu comme ça, mais vu que c'est déjà fait, et bien... Bon. C'est un Misumi. L'homme de Baby Cart, de la trilogie du Sabre, de Zatoichi. Il produit ça avec Shintaro Katsu, qui incarne le masseur aveugle dans la série culte déjà évoquée. Son frangin jouait le loup solitaire dans Baby Cart. L'acteur produit. Il choisi son metteur en scène. Pour un Jidai Geki, rien de mieux que Misumi, qui d'ailleurs et ravi de tourner avec le bonhomme. Ce sera donc une adaptation de créateur de chef d'oeuvre Kazuo Koike. le gars qui a fait Baby Cart et Lady Snowblood. Le monde est petit. Bon ce coup ci, en plus d'être franchement gore, le héros est très étrange. Spécial quoi. Pas aveugle non. Pas sourd, non plus. Il est, comment dire... Viril ! Oui, c'est ça. Il est flic, un vrai, un dur. Et pour ce qui est de la dureté, je parle de tout. Pas un mollasson. Il se laisse pas marcher sur les pieds. La hiérarchie, il la conchie. Et vous pourriez lui marcher sur tous les membres, il est habitué, il a mithridatisé depuis longtemps. Tous. La. Vous commencez à saisir l'affaire ? Vos neurones s'émoustillent ? Vous commencez à voir le délire ? Si cela ça ne vient pas d'un pari perdu par Koike, je me fais moine trappiste.
Ah, j'oubliais. Le gars, le héros, on l'appelle Hanzo. Hanzo "le rasoir" Itami. La plus longue et dure lame de la justice d'Edo. Sisi, c'est certifié.
Encore, je mérite encore le fouet. j'ai oublié de vous dire qu'il y avait une histoire. Oui, en plus de ce déjà extraordinaire personnage ! Alors Hanzo c'est un flic, un petit flic de quartier, mais ça lui suffit. Il ne prête pas de serment lave-conscience, il préfère agir, il déteste la corruption, il veut donner un bon coup de balai dans la cours du palais dégénéré, il a une morale bien a lui, une idée de la torture très personnelle aussi, des méthodes borderlines. Bref, c'est un anarchiste. Mais qu'allait-il faire dans cette galère ? Enfin dans la police ? Ben il aime l'ordre le bougre, et il veut aider les pauvres gens et les paysans face aux crimes et à l'exploitation des riches qui font des cadeaux aux forces de l'ordre pour être tranquille. Une haute morale donc. Pas pour autant qu'il se prive des avantages de sa condition. Il a à son services deux repris de justices qu'il a sauvés du bagne. A l'aide de ces derniers, il peut mener ses enquêtes envers sa hiérarchie à la manière qu'il juge la meilleure, et surtout sans qu'on puisse l'influencer. Têtu comme une mule le gars, et surtout bien protégé dans une maison truffée de pièges. Pour couronner le tout, il est bien armé et sacrément habile avec tout type d'arme. Un homme polyvalent, un tueur né. On voit mal qui pourrait s'y opposer. Pas les femmes en tous cas. Besoin d'un renseignement, d'un passe droit ? Il fait amener la femme qui pourrait lui être utile dans son antre, et la soumet à ses moindres désirs grâce à sa machine de guerre, mais surtout à orgasmes. Elles ne repartent jamais, et s'offrent entière, avouant tout pour voir la torture continuer. La maison des sévices est pour ses dames un palais des milles plaisirs.
Et que les féministes de passage n'aillent pas hurler sur tous les toits que ce film est misogyne. Hanzo et Misumi regardent et traite les femmes bien mieux que leur époque. Avec tout ça je n'ai pas encore raconté la moindre histoire. En gros un criminel exilé réapparait en ville. Hanzo le pourchasse, attrapant son amante pour se renseigner. Après une petite torture maison, il se rend compte qu'elle est aussi l'amante du chef de son commissariat. Et que le tueur et le commissaire sont liés par une mystérieuse affaire ayant pour centre le palais impérial. Il interroge un ami (pas de spéciale cette fois) qui le renseigne sur les personnalités de la cours susceptible de correspondre aux renseignements glanés. Deux femmes sont susceptibles de convenir. l'une d'entre elle vit en dehors de l'enceinte du palais. Re-belote. Hanzo la kidnappe, quitte à faire croire à un hara-kiri, la pend dans un filet, et lui rejoue la torture du bambou chinois à sa manière, avec son pieu personnel. les cris de douleur ne dure pas, la joie inonde son visage, et elle raconte tout à son bourreau. Un bon bain vient clore le tout, et révèle à l'enquêteur le nud de l'affaire. Tatoué à l'encre sympathique sur le dos de la jeune femme, les lettres d'amour qu'écrit une courtisane à un acteur (affaire qui ressemble furieusement à un épisode historique avéré, durant lequel un scandale similaire éclatât, contraignant le shogun en personne à raser un théâtre entier). Le voila qui éructe, un simple flic touchant au palais impérial; de quoi le réjouir, ce fou ! Entre temps, il aide deux pauvres enfant et leur père, gravement malade et condamné. Ce dernier souffre énormément, mais ses enfants ne peuvent l'achever sous peine d'être crucifier. La grande sur à beau se bourrer pour l'étrangler, elle n'y parvient pas, horrifiée par la crucifixion qui l'attend si elle réussit. Hanzo fait venir un docteur qui administre un calmant à l'homme, puis le pend et fait passer cela pour un suicide désespéré. Il se dirige ensuite vers le palais, sur un air assez pop qui décrit ses mérites. Fin du premier épisode, to be continued. (les deux opus suivants seront réalisés par Masumura et Inoue).
Tout le monde (enfin les dix personnes qui ont parlés de ce film sur le net) l'a déjà dit, mais je vais le répéter: Hanzo the razor c'est Very Dirty Harry à la japonaise et pendant l'ére Tokugawa. Un flic, un vrai, dur mais juste, violent mais équitable et franc. En plus de ça le film penche vers l'érotisme soft et pudique, mais érotique quand même. Si rien n'est montré, auto-censure oblige, on a droit à quelques scène ou l'imagination suffit. Le battage d'un pénis pour l'endurcir, son entrainement dans un sac de riz, etc... Le hanzo, c'est un costaud. Il brise les pierres avec un simple coup de poing américain, il renverse des statues, il se fait subir des séances de tortures pour comprendre les réactions des prisonniers. Un stakhanoviste de la justice. "Hanzo, c'est un héros" comme le dit la chanson du pré-générique. Il semble invincible, il aide les opprimés, il ne craint pas sa hiérarchie ni les pouvoirs corrompus, il agit à visage découvert et tue les méchants. En plus de ça c'est un fantasme féminin qui impressionne aussi les hommes.
Misumi, Koike et Katsu n'en finissent donc plus de créer des mythes. Un masseur aveugle, qui dépasse sa condition handicapé pour vaincre ses adversaires, oppresseurs du petit peuple, un samouraïs désavoué par sa hiérarchie corrompue qui réclame vengeance et tue sans hésitation, et enfin un policier intègre dans une administration gangrénée par la corruption. Tous montrent la décrépitude de la société féodale au japon à la fin de la période Tokugawa, dirigée par une administration qui fonctionne en vase clôt et opprime le peuple sans rien en connaitre. Il arbore la coupe du samouraï sans ressembler à ceux de son temps, plus comptables que combattant. Il suit plus selon Misumi la voie du sabre que bien des sabreurs. Une voie du sabre qu'il avait montré sans autre solution que la mort dans Tuer. Ici Hanzo, en adaptant la posture du guerrier en justicier semble avoir trouvé la solution, au moins provisoire. Il sert une administration qu'il critique et contredit souvent par ailleurs pour pouvoir aider les gens et accomplir sa mission. C'est donc un homme fier, qui a une haute idée morale de son poste et entend la respecter, même si pour cela il doit marcher sur les pieds de ses supérieurs ou de n'importe qui d'ailleurs. Un personnage hors normes à tous les sens du terme.
Coté réalisation, c'est pas mal non plus. La musique s'inspire clairement de séries américaines, très funky par moment. La mise en scène est très inventive, piochant dans le western, la sexploitation, le film de sabre bien sur. Misumi, pour illustrer les déplacements d'Hanzo le fait se déplacer face à une carte ancienne d'Edo par exemple. Il use aussi pas mal de plans multiples : dans un coin de l'écran un oeil de hanzo, le reste étant occupé par la carte qui défile. Puis apparait en bas un pied, puis tout le visage, enfin c'est Hanzo entier qui occupe tout l'écran, marchant dans la rue. Bref c'est très inventif, au moins autant que les pièges d'Hanzo dans sa maison, dont les murs sont truffés de piques et d'armes, les plafonds de filets et le sol de trappes. C'est cadré à la perfection, comme toujours avec Misumi, rythmé par une bonne musique un peu cartoonesque et par un montage dynamique. Le jeu de l'acteur principal est bien sur à la hauteur de sa réputation, même s'il en fait un peu beaucoup parfois, mais ça colle parfaitement au ton un peu parodique (voire complètement parodique !) du film et au caractère du personnage, très cabotineur, rebelle pour pas deux, qui semble adorer les confrontations avec les normes, valeurs, lois et hommes qui les représente. Pour seule preuve j'en veux le rire que provoque chez lui la découverte de l'intrigue de palais dans laquelle il vient de mettre les pieds. Et c'est ça le génie de Misumi et Katsu (qui produit le film lui même avec sa propre compagnie), nous faire aimer un flic pour son coté rebelle, je m'en-foutiste, rentre dedans, son coté cow-boy et franc du collier.
Hanzo est donc un film à part, une sorte d'inspecteur Derrick japonais, viril et érotique, qui se bat, qui plaît aux femmes, très bien interprété et mis en scène magnifiquement. Bref rien à voir avec la série de merde. Plutot un inspecteur Harry tout simplement teinté d'érostisme. Pour le reste, c'est le même genre. Jouissif, bourrin avec un arrière fond de critique sociale et d'humanisme assez intéressant même si habituel chez Misumi. A voir !
La fiche Imdb.
Carcharoth.