Denchu Kozo, l'aventure d'un poteau électrique qui éclaira son époque face aux ténèbres.
Denchu Kozo no boken, où l'aventure de Denchu Kozo, par Shinya Tsukamoto, 1987.

Tsukamoto est à cette époque jeune, il travaille dans la pub et enchaîne les boulots sans importance, consacrant son temps libre à sa troupe de théâtre amateur. Lune de ses pièces, Denchu Kozo, rencontrant un certain succès, lidée lui vient de ladapter pour le cinéma.
Ce nest pas réellement son premier film, puisquil en avait déjà tourné trois auparavant, dont deux sont aujourdhui inexploitable, pour cause de bande son illégale, le dernier étant The phantom of regular size (Futsu saizu no kaijin), un court métrage en couleur.
Denchu Kozo est un moyen métrage (45 min) qui raconte lhistoire dun jeune garçon mutant.

Kitaro est un effet doté dun poteau électrique dans le dos. On pourrait penser à une reprise des comics X- men, apparu à la fin des années 60 aux USA mais loptique et le traitement sont très différents. Ce personnage est dès le début montré comme un enfant rejeté car différent, maltraité par ses camarades et sans aucun doute malheureux. Il semble rabattre ses loisirs sur lélectronique. En effet, lorsquune jeune fille de son école laide à se débarrasser délèves moqueurs qui le harcèlent, il lui offre une « machine à temps » quil a fabriqué lui-même, et quil met en marche devant elle. Sa surprise est grande lorsque il se voir aspirer par une machine en ferrailles tourbillonnantes, qui lemporte dans un endroit inconnu, au beau milieu dune bagarre de rue entre trois punk-vampires et une prof. Aidant cette dernière, il sen fait une amie et une alliée, qui le recueille chez elle et lui explique la situation : le voila dans le futur, vingt-cinq ans après sa rixe contre le groupe délèves, le japon est dominé par les vampires, qui dirigent le pays de lécole ou résidait la prof.
Elle savait quil viendrait, car son mari, disparu depuis des années, lavait prévenue de la venue du « gamin-poteau », chargé de rétablir la lumière dans un monde menacé de lobscurité éternelle imposée par les vampires La prof entreprend donc dentraîner le jeune garçon, afin quil prenne conscience de ses pouvoirs et de son rôle. Pendant ce temps, les créatures qui contrôlent la ville ourdissent un plan afin de plonger le monde dans les ténèbres pour toujours, grâce à une bombe bien plus puissante que celle quils avaient employées pour prendre le pouvoir. Nommée Adam spécial cette arme est nourrie par une femme dont lénergie est pompée depuis son plus jeune age, afin de développer la bombe, qui ne sera prête quau moment ou la jeune femme deviendra adulte. Le moment est proche, mais les vampires sinquiètent, lingénieur a pris du retard, le jour fait de plus en plus souvent son apparition et les bombes adam Jr. sont en rupture de stock. La professeur et son jeune élève doivent passer à lassaut, et empêcher cette machine infernale dentrer en action.
Malheureusement les vampires se montrent les plus fort, et repoussent lattaque du duo, tuant la femme Le garçon se rend alors compte que ce nétait autre que Momo Sariba, la jeune fille qui lavait sauvé au début du film. Peut de temps après, son double apparaît, lui expliquant clairement son rôle : Il doit apporter la lumière à cette époque, et lempêcher de sombrer dans lobscurantisme. Une fois cela accompli, il devra alors se mettre en quête de son successeur, un nouvel homme-poteau électrique, qui pourra le remplacer dans la lourde tache déclairer le monde. Sa colère, sa peine de voir mourir son amour/prof laideront à se surpasser et à détruire les vampires ainsi que leur terrible arme . Puis, aidé par son double âgé et sa fille, il retournera à son époque, et expliquera a Momo ce quelle devra faire plus tard, bouclant le cercle du temps, comme il se létait dit à lui-même dans le futur

La machine et sa "nourriture"
Ce film, le premier (malgré ce que jai dit au début, on peut vraiment dire cela de ce moyen métrage, les autres nayant pas été distribués) de Tsukamoto, tourné en super 8, rassemble un peu tous les thèmes de son uvre future, et préfigure surtout le film qui le fera sortir de lombre quelques années plus tard grâce à la Mostra de Venise, Tetsuo. Monté, comme la précèdent film cité, avec sa compagnie « Kaiju theather » (théâtre de monstre), ce film est le produit de son époque, que ce soit le contexte japonais mais aussi mondial. JP Dionnet nous donne un exemple frappant de cela : Au moment ou Tsukamoto faisait ce film, Lynch terminait le script dun film (Ronnie Rocket ?) qui ne vit jamais le jour, et qui parlait dun enfant rejeté, mais qui découvrait un pouvoir qui lui permettait de se déplacer à travers les fils électriques, retrouvant ainsi le goût de vivre. Scénario très proche de celui de Tsukamoto donc. Autre attache filmique : La ressemblance avec Akira dOtomo, le célébrissime anime réalisé presque la même année, et dont le héros est lui aussi un mutant rejeté (On retrouve dailleurs une référence à ce film dans Tetsuo, puisque ce titreest le nom dun des personnages de lanime dOtomo). Enfin, le film est construit un peu comme un jeu vidéo, Tsukamoto le définissant lui-même comme du « vidéo théatre » : Les méchants, la gentille à aider, le héros à qui est confié une mission, etc Cétait en effet à cette époque au Japon la naissance de ce type de jeu.
Les acteurs, malgré leur amateurisme, sont relativement bons et efficace dans le film, ils ne sont pas très nombreux (hormis les trois enfants qui maltraitent le petit Hikaru et la jeune Momo, il ny a que les trois vampires dont lun est Tsukamoto- Momo adulte et Hikaru, qui seul traverse le film. Sans oublier « Eve », la femme qui « nourrit » la terrible Adam special), sans doute à cause des contraintes financières, mais parviennent à peupler lhistoire dune bien belle manière.
Comme dans son film suivant, le réalisateur use deffet spéciaux dhabitude réservés aux dessin animés, comme la réalisation de scènes images par images, notamment celle ou il y a des accélérations. Les autres trucages sont tous réalisés par le réalisateur lui-même, avec les moyens du bord. Le ciel obscurcit par exemple est vraiment horrible, et ressemble à du papier mâché ou à des décors des Monty Pythons. Idem pour les éclairs qui son attirés par la machine adam special, ils sont à peu prêt aussi bien fait que dans Conan le barbare, et moins bien que ceux du retour du jedi Le crépuscule est une lampe rouge allumée derrière la fenêtre, etc Mais la nest pas limportant dans ce film. Ce qui est intéressant, ce sont les thèmes abordés, la préfiguration de lunivers de Tsukamoto, sa créativité artistique, les emprunts aux cinéma de Lynch et Cronenberg.

Hikaru vieux transmet à son double le flambeau du Denchu Kozo
La musique, que lon aurait légitimement pu croire être de Ishikawa, est en fait de Kanaoka Obu (sauf celle du début de J.S. Bach, et celle du générique qui est de Bachikaburi) et rejoint en tous cas tout à fait lambiance que dégage le film. Stridente, métallique, punk, décadente, ultra rapide, elle accompagne nerveusement les efforts de nos yeux pour suivre les élucubrations du montage Tsukamotien, et ce sont par elle nos oreilles qui souffrent à leur tour dans ce monde si étrange et différent de celui de Walt Disney. Ici les mutations sont intérieures, mais se voient extérieurement. Chaque époque produit ses monstres. Ils apparaissent à la fin de chacune delle. Parmi eux, le Denchu Kozo est celui chargé déclairé le sienne, jusquà ce que la lumière revienne, ou quil trouve un autre homme-poteau électrique apte à le remplacer. Tsukamoto est bien le fruit de son époque (dailleurs comment pourrait il ne pas lêtre ?), désabusé, sombre, misanthrope ; il ne tombe toutefois jamais dans le pessimisme facile, le nihilisme, le rejet total du genre humain. Car même si lhumanité est laide, crâde, il laime, il aime ses monstres plutôt que ses héros parfaits, il aime ses femmes qui en sont le salut (encore un thème déjà présent dans ce film qui parcourra toute son uvre) et luvre dart. Il montre ainsi de nombreuses scènes érotiques, ou au moins sexuellement interprétables, chose qui surgira de plus en plus dans ses films, étant de plus en plus explicite, jusquà ce quenfin elle soit le centre de luvre, dans Snake of June (2004).
Quelque chose qui ne sera plus repris dans les films suivant (du moins ceux que jai vu), ou alors très partiellement et indirectement : La vision cyclique du temps, que lon a lhabitude de coller sur Kim KI-Duk par exemple, qui relève de la philosophie bouddhiste ou shintoïste au Japon. Dailleurs je suis tombé par hasard sur cet extrait du Kojiki :
« Lorsque le chaos commençait à se condenser », dit le Ko-zi-ki, « mais que ni la force, ni la forme ne s'étaient encore manifestées, et que rien n'existait qui fût nommé, rien qui fût fait, qui pouvait connaître sa nature? Cependant le ciel et la terre d'abord se séparèrent et les trois dieux procédèrent au commencement de l'agencement du monde; l'Essence active et l'Essence passive se développèrent alors et les deux Esprits devinrent les ancêtres de toutes choses. »*
Et bien que ce soit une surinterprétation abusive (pléonasme la non ? moué ) et due au fait que je venais de voir le film, il me semble intéressant de rapprocher les trois dieux des trois vampires, et les deux essences des deux protagonistes (Momo et Hakuri), car même si le sens du livre fondateur du Shinto ne peut pas être plaqué sur celui du film, on ne peut nier que cette religion, qui aujourdhui est plus une culture, un folklore, soit ancré dans le subconscient, linconscient de masse des japonais, dont celui de Tsukamoto

Le retour fracassant d'Hikaru dans son époque...
Bon, ce court métrage est donc un pur produit du réalisateur aujourdhui estampillé cyber-punk, mêlant délire cataclysmique, fantastique, SF, réflexion sur la décadence, le cycle de vie des temps dune société, et le rôle des individus dans tout ça. Pour ceux qui ont aimé Tetsuo, qui voulait que la manière de filmer de Bullet Ballet soit plus extrème, ce film est parfait. Les autres, ceux que Tetsuo a envoyé au lit avec des migraines ou qui trouvaient que la mise en scène des autres films de Tsukamoto était trop nerveuse, vous pouvez toujours essayer celui-ci, qui est un peu moins violent pour les yeux et les oreilles que son successeur (tetsuo), mais qui reste très spécial, même sil est en couleur et que lhistoire est plus compréhensible (presque normale, si ce nétait le traitement !). Cest en tous cas un très bon traitement contre le monotonie des films de chez nous (je sais de quoi je parle, moi qui vient de voir le film de la décennie, le chef duvre de C. Honoré, Les chansons damour (je vous conseille de cliquer sur le lien) et contre leur mièvrerie fade. Celui la vous fera voyager, il vous balancera même peut être contre un mur, le même que celui auquel se heurte Hakuri lorsquil termine son périple dans le temps, mais aura au moins le mérite de faire réagir vos neurones, vos yeux, vos tripes, vous dégoûtera sans doute, vous surprendra sûrement et vous clouera sur place à coup sur.
Malgré cela, on ne peut pas dire que ce film soit culte, ou génial, ni proche du chef duvre, ni même bon. Cest une expérience, un raccourci des idées de Tsukamoto, inclassable, donc ni mauvais ni bon, à prendre comme tel, à ingérer, de peur dexhaler -à force de trop voir et de trop avaler de merde mièvre et sans goût (vous voyez à qui je pense, « pauvre France »)- tel un Adam special une odeur méphitique de pourri, sans vie**.
Ah ! j'ai failli oublier quelque chose, comme souvent: la petite touche d'humour, en plein milieu du film, qui montre bien que Tsukamoto n'en perd pas le sens: Momo, lorsqu'elle décapite un vampire, l'attrappe, dribble avec telle un Michael Jordan et shoote dans la poubelle, en se servant du mur. Scène complétement surréaliste dans le contexte de ce moment du film.
*Merci à Imago Mundi pour la citation très bien tombée
**Car ce film la cest la vie, poussée au bout, dans les choses les plus terrible, avec son lot dirrationnel et de défaut, mais qui au moins, bouge.
Le trailer sur YouTube ici
Carcharoth