Ma Vie, de Shi Hui, 50 ans d'histoire pré-maoïste, ou le cinéma avant la dictature.

Publié le par Nostalgic-du-cool

 
Ma vie (Wo zhe yi bei zi), Shi Hui, Chine, 1950.


 
Voila un film que vous ne verrez jamais. Sinon, dites merci à la vie. Ceci dit je vais quand même vous en parler, il vaut le coup, hop, en avant... 
Voila un film classique de la Chine du premier communisme. Un film rare, indisponible en France, dont ne subsiste que de rares pellicules. Et pourtant c'est un grand et beau film, en noir et blanc, engagé, porté par un acteur-réalisateur au sommet de sa rage et de son talent. C'est un film d'une heure trente qui raconte 50 ans de l'histoire de la Chine. Peut être les 50 années les plus importantes de l'histoire du pays, si l'on excepte les dernières. Je n'ai pas spécialement envie de faire un long rappel historique, mais il est pourtant nécessaire de saisir un minimum l'histoire de la Chine de cette période pour comprendre le film.
  Comme le film s'occupe de la partie qui va de 1900 à 1950, je vais essayer de dégager pour vous quelques grandes lignes de cette période. En 1900 la Chine est un empire (Qing) affaiblit par les guerres que lui font ses voisins et les grandes puissances (on a tous vu dans nos livre d'histoire en première cette caricature des puissances occidentales se partageant le gâteau chinois) mais aussi par des dissensions internes et des revendications sociales qui vont croissantes. Inspirés par la révolution de 1905, les chinois du sud se révoltent, embrase une bonne partie du pays et établisse une république. C'est le guomindang qui dirige. Mais très vite els espoirs sont déçus, les puissants se sont placés, les anciens dignitaires gardent leurs privilèges et la corruption gangrène l'administration. Jusqu'en 1937 c'est une guerre civile quasi permanente, elle se déplace à travers le pays et évolue, mais le conflit couve toujoursà un endroit ou a un autre. Les japonais en profitent une première fois en 1931 et envahisse la Mandchourie, puis une seconde en 1937 en déclarant la guerre à la république chinoise. Suite à la guerre, la guerre civile continue entre Tchang Kai Shek et Mao, c'est à dire entre les républicains modérés (guomindang) armés par les USA et les communistes. Ces derniers, aidés par les paysans et les populations de l'intérieurs gagne la guerre et proclament la république populaire, Tchang Kai shek fuit à Taiwan avec un million de soldats et de cadres du guomindang, réorganisant l'ile à sa façon.

Voila voila, c'est de cette période très troublée comme vous avez pu le constater, que Shi HUI parle dans son film. Aussi le film ne respire-t-il pas la joie. Mais alors pas du tout. Ah, j'oubliais de dire que le scénario est une adaptation de Lao She. Il raconte la vie d'un homme, pauvre, issu d'un milieu modeste, qui au crépuscule de sa vie retrace son parcours, de ses 20 ans à ses 60 ans... Analphabète et sans relation, il ne trouve pas de travail dans la capitale, et sa femme attend un enfant. Son voisin lui propose alors d'entrer dans la police. Chose dite, chose faite, le voila au coin de la rue à régler les problèmes des gens. Mais quand éclate la révolte, il ne fait rien, et un petit garçon de son quartier meurt devant lui. De même lorsque les japonais viennent prélever sa belle fille pour l'emmener dans la légion de soutien moral aux occupants, il ne lève pas le petit doigt. Son fils par contre part rejoindre la VIIIème armée et faire la guerrilla. Son voisin tente aussi de dénoncer le traitre qu avait aider à tuer sa fille lors de l'occupation, mais ses contacts sont toujours en place et il le fait torturer. L'hiver 48 arrive, et il neige, il a froid, il a faim, il a été viré de la police, son ami révolutionnaire s'est fait exécuter, il s'adosse contre un poteau et expire... Mais l'espoir est la, Mao gagne et proclame le communisme.


  Bon le film à l'air de finir bien comme ça. Enfin  sur une touche positive. Comme ça ne me plait pas, je vais vous en raconter une bonne, que je tient de la femme qui possédait le film (ou dont l'assoc' parisienne possède le film)  et qui nous l'a présenté: l'acteur et réalisateur Shi HUI était donc assez proche des idéaux communistes et croyait en Mao. Il appartenait à une compagnie shanghaienne "culture" (Wenhua) intellectuelle et engagé en faveur des masses (pour utiliser un vocabulaire chinois actuel). Le film a été réalisé en 1949, année de l'avènement de Mao. En 1954, alors qu'il réalisait un autre film sur un bateau, dégouté par le tournant que prenait les évènement, et piégé par la propagande "communiste" il se suicide en se jetant à l'eau. Le peuple chinois, que l'on voit souffrir pendant 50 ans, n'en avait pas encore eu assez. Mais c'était déjà trop pour lui, donc plouf.

  Parlons un peu du film à présent. Il se déroule à Pékin, est parlant, en noir est blanc. Il y a alternance entre un récit à la première personne et des dialogues. Il permet au spectateur occidental de passer la tête par l'embrasure de la porte de l'Orient et de voir l'Histoire de Chine, ou plutôt l'histoire, via un point de vue intéressant et peu utilisé. Non pas un point de vue évènementiel, idéologique mais celui de l'homme de la rue. L'homme des villes, l'homme de la partie la plus troublée de la Chine, l'homme de Pékin, capitale de l'empire depuis 700 ans, cité immense et grouillante de vie. C'est un film bouleversant, atterant, qui ne fait pas pleurer mais laisse coller à son siège et qui passe très vite (Une heure quarante pourtant). C'est aussi un film qui prouve que l'on peut réaliser quelque chose de très bon avec rien. Le générique par exemple est un livre dont les pages sont tournés à la main, avec les noms écrits dessus. Les évènements sont localisés et annoncés sur une carte de la Chine en carton. Les moyens étaient dérisoire, sans doute équivalent à ce que connaissent les réalisateurs indépendants africains actuellement. Une caméra, quelques acteurs, une ville, un peu de musique et galope la pellicule. La photo, malgré l'âge, est réussie, très sobre mais efficace. Les acteurs, l'acteur devrais je dire sont excellent, issus du théatre (forcément pendant la guerre, on tourne peu, surtout ce genre de film) ils donnent toute la puissance de leur jeu au sortir de plusieurs années de souffrance et de disette cinématographique. Le thème du film... La souffrance d'un peuple, ses révoltes, ses illusions, ses déceptions. 1895, 1911, 1912, 1927, 1937, 1945 et finalement 1949... Le personnage vit tout cela, comme Shi Hui les as vécu, comme Lao She à vécu les épisodes allant jusqu'à 1930 (le livre date de cette époque, c'est le réalisateur qui a allongé le récit jusqu'en 1949). On comprend alors son désespoir, et partant de la le formidable espoir que représentait Mao, mais aussi la terrible déception qu'il fut. Et le suicide de Shi HUI. Le film, par ses questionnement sur la nature humaine et les vissicitude qu'il peut traverser m'a un peu fait penser dans le ton et l'âge à la condition humaine de Kobayashi. On y retrouve la même noirceur, concentrée cette fois sur la seule période de l'occupation japonaise, mais aussi la même foi que chaque acte a son importance et que rien n'est perdu. Coté chinois je vais avoir du mal a vous indiquer des pistes, je n'y connais rien. Si je suis J.-M. Frodon je devrais vous proposer Xie Jin et Fei Mu (printemps dans une petite ville, 1949). Enfin sans rien connaitre au cinéma de cette époque, sans m'y être jamais intéressé spécialement, convaincu d'avance que la pauvreté des moyens puis la censure maoïstes avait rendu les productions invoyables, j'ai été très agréablement surpris par ce film, tant sur la fond que la forme ; puisque c'est bien tourné, admirablement interprété, soigné et très intelligent, juste assez critique pour interpeller et pas assez partial pour énerver.

  Suite à la projection a eu lieu une petite discussion à l'extérieur de la salle en compagnie de la femme qui avait gracieusement prété le film et quelques personnes. En partant de l'histoire de la Chine et de ce qu'elle permettait de comprendre sur la situatino d'aujourd'hui, nous en sommes arrivé à parler de la France actuelle et de son immobilisme par rapport à la la RPC, sur la dépolitisation de la jeunesse, sur le cynisme et le refus d'avancer vers un autre système, sur le ton moralisateur employé envers la Chine, etc... Ma foi très intéressant, on devrait faire ça à chaque fin de séance éhéh. On mesure mieux avec ce film le bond en avant (le vrai, pas celui de la propagande) accomplit par cet immense pays en l'espace de 30 ans, alors qu'il était il y a peu un empire féodal. On pourra bientot parler de "miracle chinois".

  Pour conclure, et même si vous ne voyez jamais ce film (à moins que motivés vous le cherchiez en anglais sur le net ou dans vos médiathèques), il est bon de savoir qu'il existe. Je trouve.

PS: désolé pour l'absence d'image, mais vous vous doutez bien que c'est à l'insu de mon plein gré (éhéh).
 

La fiche IMDB


Carcharoth


Publié dans Chine et HK

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