« Vengeance » de Johnnie To : Johnnie et Johnny
« Vengeance » de Johnnie To : Johnnie et Johnny :
« Vengeance » : le mot est lancé, clair et net, tranchant comme une lame de rasoir, impitoyable. Johnnie To est aux commandes. Le cinéaste hongkongais, sur une excellente lancée depuis le diptyque « Election », suivi par le stylisé et puissant « Exilé » et par le sombre et ambiguë « Mad Detective » a décidemment choisi d’orienter ses polars vers des contrées plus sombres, violentes, troubles et angoissées qu’auparavant, étoffant son propos de films en films, le tout soutenu par la puissance stylistique de sa mise en scène et le rythme ébouriffant de sa narration….
Le nouveau venu « Vengeance » rien qu’à son titre très évocateur, permet d’emblée de le situer dans cette continuité, celle d’un film à la morale trouble, à l’atmosphère âpre et instable, bref, une œuvre de chair et de sang, de cris et de larme, impitoyable…qui nous présente à la surprise générale un certain Johnny Hallyday coté casting, dans le rôle principal d’un père, Francis Costello, ancien tueur professionnel de la mafia, qui se rend à Hong Kong pour venger le meurtre brutal de sa fille et de sa famille ! Que l’on aime ou pas Johnny Hallyday, cette nouvelle très étonnante avait quand même de quoi surprendre et inquiéter mais aussi de quoi titiller notre curiosité car c’est la première fois que To fait appel à un acteur occidental dans ses films, et aussi parce que jamais on aurait pensé que ces deux là se croiseraient un jour dans leur carrière ! Mais soyons honnête, d’une certaine manière Johnny Hallyday a quand même une gueule à faire du cinéma, et plus encore, à jouer des grosses brutes dans des polars comme ceux de Johnnie To (du moment qu’il ne parle pas ou peu) ! Donc la nouvelle, aussi étonnante soit-elle, n’était pas non plus totalement inquiétante…
Le film retrace donc le récit d’une vengeance, celle de Francis Costello, dont le massacre de sa famille par des hommes de mains pour une raison inconnue, va le pousser à reprendre les armes (lui qui avait raccroché pour ouvrir un restaurant en France)…Cependant le vieux bougre ne sait pas par où commencer et arrive en plein Hong Kong complètement paumé, désarmé au beau milieu de cette citée bouillonnante et sombre, baignant dans une atmosphère moite et arrosée par une pluie torrentielle…Celui-ci retrouve sa fille à l’hôpital (interprétée par Sylvie Testud pour l’anecdote), unique survivante du massacre qui l’implore de la venger, elle et les siens…ce qu’il compte bien faire. Mais le problème est qu’il est un étranger total dans cette ville, totalement seul, sans indices et sans idées des coupables…C’est alors qu’il va croiser par hasard une bande de tueurs (interprétés par les traditionnels Anthony Wong, Lam Suet et Lam Ka-Tung déjà vu dans d’autres films de Johnnie To) à qui il va demander de l’aide. En échange de leur soutien, ils seront payés et recevrons le restaurant de Francis à Paris. Or, il s’averre que le patron de ces trois tueurs, n’est autre que le commanditaire de l’assassinat de la famille de Costello, George Fung. Parallèlement, on découvre aussi que Costello est en train de perdre lentement la mémoire des suites d’une ancienne blessure à la tête. Mais si l’on oublie tout, à quoi bon se venger ?
A priori malgré quelques idées très intéressantes (notamment l’amnésie progressive de Costello) force est de constater que ce n’est pas le scénario le plus inspiré de Johnnie To, ni même le plus original, l’ensemble de l’intrigue ne rappelant que trop bien un certain « Exilé », avec toujours cette traditionnelle peinture de la fratrie masculine, de ces milieux virils violents et machistes avec des flingues et qui se tirent dessus à tout va…On peut même retrouver une certaine récurrence dans les rôles, notamment ceux d’Anthony Wong, Lam Suet, Lam Ka-Tung et surtout celui de Simon Yam, interprétant George Fung, personnage qui rappelle trait pour trait le boss Fay d’« Exilé »….ainsi, on a la ferme et dérangeante impression de revoir une deuxième fois un Johnnie To qui a déjà été fait…et en mieux. Aussi « Vengeance » dans son ensemble devient un film un peu lassant et vain, qui pue la répétition, alors qu’au contraire celui-ci semblait annoncer une continuité et un approfondissement conséquent dans l’œuvre de To (thématique d’abord, et aussi une atmosphère beaucoup plus chargée encore qu’avant, c’est-à-dire plus crépusculaire, plus noire). Serait-ce le signe d’une perte d’inspiration ? C’est bien possible. Mais le pire n’est pas encore là : parce qu’en plus de réexploiter des situations et des intrigues déjà vues, le film souffre par moment d’une mise en scène bien trop lourde et trop stylisée (gunfights à répétitions filmés au ralenti : au 4ème on commence un peu à en avoir marre), et surtout d’un rythme totalement chaotique et affreusement inégal de sorte que le film alterne quelques séquences brillantissimes d’invention et de poésie (la fusillade de nuit dans la forêt, éclairée par la lumière vacillante de la pleine Lune) et des longueurs disséminées dans tout le film qui font que la mayonnaise ne prend pas vraiment. En gros, le film n’arrive pas à démarrer, comme si Johnnie To s’était pris les pieds dans son propre tapis, dans son propre style, dans sa propre oeuvre. D’où un film « mort né » dont il ne ressort que la frustration d’une œuvre un poil gâtée, qui, si elle pouvait être intéressante au premier abord, finie totalement dénuée d’intérêt pour le spectateur qui n’attend plus que Costello se venge une bonne fois pour toute et que le film se termine…
Ainsi, si avant d’aller voir « Vengeance » on avait une confiance quasi-aveugle en Johnnie To, et bien on en ressort un peu angoissé et inquiet pour le devenir du cinéaste de Hong Kong, qui signe ici il faut le dire un film assez bancal…D’autant plus qu’il ne faut pas ici jeter la pierre à Johnny Hallyday, qui incarne un Costello crédible, qui a de l’épaisseur, et il faut le dire une certaine classe. Ce qui en fait au final le seul véritable intérêt et la vrai surprise de ce long métrage, où la superstar française présente une nouvelle dimension de sa personnalité, loin des concerts immenses et populaires de son métier de chanteur, mais avec ici une dimension beaucoup plus intime, fragile, sensible et en même temps aussi violente et instable. Aussi on retiendra cette scène très touchante où Costello et ses hommes retrouvent les assassins de sa fille, lesquels sont en train de pique-niquer avec leur famille dans la forêt. Les hommes savent pourquoi Costello et ses acolytes sont là, en train de les observer au loin. Aussi les enfants de ceux-ci leur font partager leur repas et s’en vont. On ressent ici en cet instant toute l’intensité dramatique du film, de sorte que cette séquence est la seule parfaite et digne d’intérêt de « Vengeance » : Costello doit-il pardonner ou doit il poursuivre son acte vengeur, quitte à précipiter la spirale de vengeance dans un cercle infini ? Car s’il tue ces hommes, il ravagera leurs familles autant qu’il fut dévasté lui. Aussi le propos de « Vengeance » prend toute sa dimension ici : les hommes sont trop occupés à s’entretuer de manière absurde alors que le salut et la seule source de bonheur résident dans la famille, celle justement pour laquelle on est près à tout les sacrifices, à dépasser toutes les limites…Aussi se forme ici une nouvelle thématique chez Johnnie To qui est celle de la famille, mais non pas la famille mafieuse comme c’était le cas avant, mais ici la famille de sang, et plus au-delà encore, le thème de la Femme, de la Mère.
On connaissait les films de Johnnie To comme étant des films mettant peu en avant les femmes, de sorte que les personnages féminins étaient très souvent anecdotiques et faisaient plus figure de remplissage qu’autre chose…Ici la femme trouve sa pleine incarnation dans le personnage de cette mère qui élève sur une plage au milieu de nulle part une dizaine d’enfants. Cette dernière est dévouée tout entière au bonheur de ses enfants et recueille Costello et ses hommes lorsqu’ils doivent se réfugier. On ressent encore une fois chez Costello ce tiraillement entre poursuivre sa vengeance (au risque de perdre son âme et son humanité), ou trouver la paix, le réconfort et la rédemption au sein de cette famille qui est prête à le recevoir et à l’aimer. Le salut vient par la Femme, la famille, par l’amour dévoué et désintéressé pour sa famille, seule raison de vivre, et seule raison de tuer. Cet archétype de la Mère (presque sainte comme la vierge Marie) est largement tirée du western où la femme, « la Madone », est toujours une alternative pour le Cow-boy face à son existence misérable, violente et son errance sans but, où il ne trouve pas de place sur Terre.
Aussi on finit par comprendre que « Vengeance » est en fait un film dont l’enjeu est bien plus différent que celui des précédents polars de Johnnie To, et se situe dans une exploration plus intime, posée et émotionnelle qu’avant (déjà peut-être amorcée par « Exilé » justement qui se démarquait par une certaine poésie et une vraie mélancolie, comme le chant funèbre qu’est « Il était une fois dans l’Ouest », western de Leone)…Et on comprend que c’est justement cette nouvelle expérimentation qui entraîne ce défaut de rythme du métrage dont on parlait plus haut, parce qu’elle est totalement nouvelle pour le metteur en scène. On peut donc apercevoir en « Vengeance » ce qui peut être certainement un film moyen marquant une perte d’inspiration chez To, mais aussi sans doute ce qui est un film de transition vers quelque chose de nouveau à l’avenir dans l’œuvre du hongkongais.
Pour la suite, comme on dit « qui vivra, verra ».
Ichimonji