Souffle de Kim Ki-Duk, une intense bouffée de poésie.
2007 aura été une année prolifique pour Kim Ki-Duk. Après Time, brillante réflexion sur la jalousie et l'apparence, sorti il y a quelques mois durant l'été, le chef de file du cinéma indépendant coréen revient avec Souffle une fable improbable et poétique sur l'histoire d'amour folle entre un condamné à mort et une femme au foyer. Tourné en 10 jours avec un budget minuscule le film a tout de même réussi à être en compétition officielle au Festival de Cannes. C'est d'ailleurs déjà le quatorzième film du réalisateur en 10 ans de carrière, beaucoup lui reproche ce rythme soutenu de réalisations, certains critiques estiment que cette "célérité" des tournages gâchent les films qu'ils considèrent trop brouillons voire baclés, ce fut le cas de Souffle assez mal accueilli par la presse. Toutefois on peut rétorquer que par ce processus les films du réalisateur gagnent en sincérité, ce sont des premiers jets, des oeuvres brutes, sans concession car c'est ainsi que filme Kim Ki-Duk. C'est un réalisateur entier, véritable, s'il tourne vite c'est qu'il a peu de moyens et qu'il souhaite faire ce qu'il veut et non les projets pré formatés des grosses boîtes de production. Alors certes on peut reprocher à ces films de laisser un goût d'inachevé, d'avoir peut être été tournés trop vite cependant on ne peut pas dire que les histoires ne sont pas refléchies ni que la démarche artistique toujours originale n'est pas affirmée.
L'histoire est simple, Jin est un jeune homme qui attend dans le couloir de la mort son exécution, en proie à une immense angoisse face à cette mort programmée et inéluctable il tente plusieurs fois de se suicider. Yeon est une femme au foyer, mariée, un enfant, elle se sent pourtant profondément seule, son mari l'a delaissée et la trompe assez ouvertement, c'est donc une femme blessée, bafouée qui va progressivement devenir fasciné par ce mystérieux condamné à mort qui fait la une des journaux par ses tentatives de suicide. Comme lui, elle est prisonnière, non d'une cellule matérielle avec barreaux et gardiens; mais elle est enfermée dans la solitude, elle est isolée au milieu des siens. Comme lui elle a perdu confiance, elle est oppressée comme le dit très bien Kim Ki-Duk "ne pas être dans le couloir de la mort ne veut pas dire que l'on respire librement". Un jour elle décide de le rencontrer se faisant passer pour sa petite amie elle réussit à s'introduire dans la prison et face à cet homme desespéré qui n'attendait plus rien de cette vie et qu'elle n'a jamais vu elle demande simplement : "Dites moi si je peux faire quoi que ce soit pour vous... tout ce que vous voulez." L'homme plongé dans le mutisme à cause de la blessure à la gorge qu'il s'est infligée se contente de sourire, mais ce n'est pas un simple sourire, c'est un sourire de bonheur, de vie, elle a réussi à réinsuffler une lueur de vie et d'espoir à cet homme, illuminant son quotidien morne desormais il n'est plus seul avec la Mort il l'a elle. Alors ces deux êtres solitaires et en perdition vont se retrouver à travers cette histoire d'amour impensable au dessus de laquelle plane un implacable couperet.
Il s'ensuit une série de rencontres surréalistes, c'est dans une salle confinée de la prison, en présence d'un gardien et constamment surveillée par une caméra que le couple va se retrouver. Malgré l'impossible intimité, l'éxiguité du lieu, Yeon va réussir à sublimer l'endroit, faisant de cette salle de la prison un lieu d'évasion, de liberté. En effet chacune des rencontres va correspondre à une saison, chaque fois la jeune femme porte une tenue différente et recouvre les murs d'immenses posters representant des paysages correspondant à la saison choisie. Grâce à ce simple subterfuge elle transforme le lieu, elle ouvre la perspective, les murs dépouillés de la prison sont remplacés par une nature génereuse et colorée (cela m'a fait un peu penser au clip de Yaël Naim que vous pouvez voir ici). Cerise sur le gateau, chaque rencontre est agrémentée d'un rafraichissant karaoké où notre héroïne déclame sous les yeux emerveillés du condamné des chansons un brin desuètes. Ainsi l'espace d'un instant une poésie brillante prend le pas sur la monotonie les esprits se libèrent, s'évadent même si les corps restent entravés, comme le dit Yeon : "je suis devenue une brise, j'ai disparu" en effet pendant ces rencontres les personnages sont libres car ils sortent de leur prison de solitude. D'ailleurs il faut souligner la très belle mise en scène de ces passages avec une belle lumière jouant sur les contrastes entre la tenue terne de Jin et les couleurs vives des posters. Puis la façon subtile de filmer la sensualité mélée de maladresse qui se dégage des etreintes amoureuses compliquées par les menottes et le gardien, comme souvent Kim Ki-Duk rend les images plus parlantes que les mots.
Cette rencontre est une sorte de second souffle pour ces êtres qui semblent à bout, dans l'impasse, l'un car il voit la mort en face, l'autre car elle est progressivement rongée par la solitude, la colère, l'ennui. Pendant un moment ces deux êtres vont respirer, vivre à l'unisson le souffle de l'un entretenant la flamme de vie de l'autre. Ce n'est plus un amour destructeur comme dans Time que le réalisateur souhaite nous montrer, mais cette fois un amour salvateur, regénerant par lequel les protagonistes vont reprendre goût à la vie. Certes le cadre est sombre, c'est une prison glauque où chaque fait et geste est constament épié, certes cet amour est condamné à court terme mais finalement cette atmosphère oppressante ne vient elle pas souligner avec force la profondeur de cette relation? N'est ce pas car elle est dénuée de sens, de logique que cette histoire nous touche?
Mais cet amour si pur n'est pas du goût de tout le monde. En effet cette histoire n'est pas une tendre valse à deux, mais une ronde à 4 personnes avec un arbitre : le directeur de la prison qui observe tout via les caméras. C'est un personnage étrange dont on ne distingue jamais le visage toujours dissimulé dans l'ombre, grâce à son pouvoir omniscient tel un marionnetiste tire les ficelles de ces quatre êtres égarés sur son territoire. Il joue un peu le rôle du Fatum, du destin dans les Tragédies classiques, car contrôlant le déroulement des évenements il fait ou défait les relations au gré de sa volonté autorisant ou non les visites.
Comme nous le disions cette relation concerne quatre personnes. D'un côté il y a le mari de Yeon qui se rend compte à travers cette relation adulterine à quel point il a fait souffrir sa femme et aussi combien il est attaché à elle, de l'autre il y a un jeune prisonnier homosexuel qui s'est épris du beau Jin, tous deux voient d'un mauvais oeil cette relation qui éloigne d'eux leur partenaire. Ainsi tandis que le jeune prisonnier tente de détruire toutes les traces du passage de Yeon pour rester le seul être à se préoccuper de Jin, afin entretenir son desespoir qui est la cause de leur relation. Le jeune marié lui, passe d'abord par la colère essayant d'empecher sa femme de revoir le condamné, puis il comprend qu'il doit la laisser terminer cette passion, cette parenthèse, il doit la laisser libérer le souffle qu'elle a formé avec cette homme s'il veut la récupérer, il doit la comprendre, la pardonner. Le réalisateur etend alors sa reflexion sur l'amour vers ces amours contrariés mais différents, vers ces deux hommes qui ne peuvent qu'assister impuissant à la passion unissant Yeon et Jin. Mais pendant que le jeune homme rejette cet amour en bloc , essayant d'empêcher Jin de la revoir, le mari comprend progressivement qu'il doit accepter cette relation pour la revoir. C'est en fait la différence entre l'amour exclusif du jeune homme qui entretient jalousement une relation à sens unique et l'amour sincère du mari qui désire récupérer sa femme, l'un souhaite forcer l'amour l'autre souhaite le faire renaître. Voila pourquoi leurs réactions sont si différentes, seul celui qui aime véritablement peut accepter et pardonner, celui qui est animé d'un amour dévorant mais unilatéral qui trouve sa source dans le desespoir de l'autre ne peut comprendre. Pour pardonner il faut comprendre et accepter les sentiments de l'autre et non pas les nier, c'est pourquoi la relation des deux prisonniers est achevée par cette passion tandis que le couple peut la surmonter.
Bref comme toujours dans l'oeuvre de Kim Ki-Duk le film est protéiforme il aborde de multiples thèmes qu'il réussit à décliner avec subtilité décrivant la passion intense et absurde comme l'amour profond et compréhensif en passant par la fascination dévorante et autodestructrice. En permanence sur le fil du rasoir entre amour et violence, Souffle est une oeuvre forte et émouvante, un film de paradoxes où les robes d'été se portent en hiver, où la fantaisie vient s'immiscer dans la réalité la plus noire, où le pardon vient côtoyer la jalousie, où de la passion vient renaître l'amour. La réalisation malgré son apparente simplicité révèle encore une fois la grande maitrise du réalisateur qui sait sublimer la trivialité du quotidien en jouant sur une poésie étrange et envoûtante capable de transformer le couloir de la mort en lieu de rendez-vous galant.
Mais surtout la force du film vient de la prestation époustouflante de ses acteurs qui bien que silencieux sont plus parlants que beaucoup, à commencer par l'excellent Chang Chen immense acteur qui a tourné avec de très grands (Wong Kar-Wai, Hou Hsiao Hsien) qui campe à merveille ce prisonnier mutique ( mutisme compréhensible quand on sait que l'acteur ne parle pas le coréen ) malgré ce rôle sans parole il est extrêmement expressif tout en restant sobre réussissant à jouer sur une palette d'émotions très large, il fait preuve d'un magnétisme fou à la fois fascinant et mystérieux, il habite son personnage le rendant paradoxalement impénétrable et fragile. Toutefois son pendant feminin n'est pas en reste, en effet la surprenante Ji-A Park ou Zia est émouvante dans son rôle de femme blessée, tantôt ténebreuse et fragile, tantôt forte et lumineuse, elle ne laisse pas indifférent. Avec grâce et subtilité elle oscille entre tristesse infinie et joie rafraichissante, dévoilant les multiples facettes de son personnage, elle aussi, exerce sur nous une certaine fascination, sa troublante beauté nous désarçonne et on peine à distinguer la part sensible de celle mystérieuse. Enfin malgré son rôle en retrait Ha Jung-Woo s'avère très bon lui aussi avec le personage du mari livrant une interprétation sincère et juste, suivant bien l'évolution de son personnage passant de la place de bourreau à celle de victime. Enfin il faut dire un mot de la musique entêtante qui nous berce tout le long du film avec ses chansons d'amour un brin démodé qui viennent apporter une touche de douceur. D'ailleurs grâce à Tik&Gra j'ai découvert que la chanson de fin est une reprise de tombe la neige d'Adamo donc devant une telle maitrise musicale je ne peux que vous conseiller d'aller lire sa critique.
Bon avant de laisser la parole à mon acolyte je dirais qu'en ces temps de débats sur la pollution et sur la qualité de l'air je pense qu'il est bien utile d'aller prendre une grande inspiration de poésie, de venir respirer un moment à l'unisson avec les êtres déchirés de Souffle, au sortir la qualité de l'air ne sera certes pas meilleure mais on respirera mieux !
Nostalgic Du Cool
Souffle (Soom / Breath), Kim Ki-Duk, 2007, Corée.
14ème film de Kim Ki-duk, Souffle, qui sort quelques mois après Time, est en quelque sorte une continuation de ce dernier. Il nous rassure sur le syndrome « LArc », en effet, la dernière fois que Ki-duk avait sorti un long métrage peu de temps après un autre (lArc après Locataires), celui-ci était un bon ton en dessous. La, KKD a pris du galon et nous sert coup sur coup (effet de la distribution française aussi, les dates de sortie coréenne étant espacées de 8 mois) deux très bon films. Deux nouveaux films, qui ouvrent (sûrement, mais lavenir nous le dira) une nouvelle période dans la filmographie de lartiste. Après sêtre attaché à décrire le monde des exclus, des marginaux dans un style très violent, puis doux et mutique, il sattaque à présent à la haute société, ou à la classe moyenne (Time). Ici les héros font de la sculpture, du piano, habitent de grands lofts avec des baies vitrées immenses. Bien sur le bas de léchelle sociale est toujours présent, en la personne de Jin, prisonnier et condamné à mort. Les thèmes, même si on note quelques persistances, évoluent de pair avec la classe sociale des personnages. Problèmes de couple, de confiance en soi et en son conjoint, infidélité, quête dun sens à son existence, etc On est loin de « Crocodile » ou de « Bad Guy », certains regretteront peut être ce décalage « bourgeois » du réalisateur, mais il couvre en cela toute la société à travers ses films, ou presque
Grâce à lexcellent et non-spoilerisé (éhhé ce qui naurait pas été la cas avec moi, mesurez votre chance les amis !) résumé de Nostalgic, on va pouvoir passé directement au vif du sujet. Pardonnez par avance les redites, inévitable puisque nous écrivons quasi simultanément et que jai la flemme de lire et de ré-écrire, en réaction. Alors je vais me la jouer gros démago, mais voila, on va se la faire pure, innocente et sans coupure, aucunement lié à ce quaura écrit mon collègue, en gros tout linverse dun article qui aurait pu être écrit à quatre mains.
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La jalousie, un souffle qui nous épuise. Le pardon, un souffle qui nos soulage
Lespoir, un souffle quon retient. La passion, un souffle quon libère.
Laffiche du film donne dentrée les quatre points cardinaux du film. Cette phrase est létoile que nous, marins voguant sur le film, allons utiliser pour nous repérer. Elle donne les quatre valeurs cardinales, les quatre sentiments autour desquels sarticulent les personnages du film. Tour à tour jalousie, espoir, passion et pardon. Espoir et passion étant interchangeable, selon que lon interprète passion dans son sens amoureux, ou dans son sens « souffrance » (Je rappelle que lorsquon parle de passion du christ, cest à son agonie quon fait allusion). Alors bon, je vais faire court, pour être lu. (Oui, je me mets aux concessions.) Souffle est encore un film métaphysique, sur les choses de la vie, surtout sur lamour certes, mais à travers lui on peut toucher à tout. Par exemple, aux conditions de détention, à la peine de mort. Ce film continue Time, ou plutôt est une sorte de variation, dans la mesure ou comme lui il parle du couple, de sa résistance au temps et aux coups durs, tout en ajoutant dautres éléments, dautres pistes, que jai commencé à évoquer plus haut. Il réutilise aussi sa passion des saisons, dont il a déjà fait un film et quil insère pour déclarer lamour de Yeon à Jin. Cette dernière qui interprète des chansons et shabille en rapport avec la saison évoquée par les tapisseries, nous offre un modèle de ce quest un utilisation réussie du chant dans un film, le contre exemple facile étant les chansons damour, mièvre et fade à coté (dans labsolu aussi, nen déplaise à MG et DZ, qui de toutes façon ne liront jamais cet article !). Mais je mécarte ! Parlons un peu, en vrac, de Jin Jang, qui est en fait un peu le représentant extrême de ce que nous sommes tous : des condamnés à mort. Il vit par bouffée, lorsque il embrasse Yeon et regarde ses photos, et meurt de temps en temps, lors de ses tentatives de suicide. Muet, désespéré, il revit grâce à lamour, à la passion, même si cette dernière est factice, puisquelle naît en quelques heure et sans mots ou presque. Il vit de cette illusion tout comme sa partenaire qui sen sert pour rebondir dans sa vie de couple.
Encore une fois les cadres et les plans sont réalisés et dessinés comme des toiles. Ils sont très beaux, fluides, ils senchaînent comme leau coule. Esthétiquement donc, cest encore une réussite. Comme le titre lindique, le film sapparente à un poème, tant sur lesprit quavec lapparence. On dirait une toile impressionniste, en plus froid et cruel. En effet le film ne ressemble pas tant à la réalité quil en donne la sensation. Il ne se situe pas au niveau intelligible mais au niveau des sensations*. La ou les Gras ont retenus Adamo, je préfère entendre Beethoven et sa magnifique sonate Mondschein (au clair de lune), bien plus proche de lesprit décrit juste avant. Froide, triste mais envolée et géniale. Comme jai déjà eu loccasion de le rappeler, tous les grand génies sont tristes, mais, comme le disait Leopardi : « ce que l'âme contemple dans la réalité l'afflige et la tue, ce qu'elle
contemple dans les uvres de génie qui imitent ou évoquent d'une autre manière la réalité des choses, la réjouit et lui redonne vie ».
Beethoven, et dans une moindre mesure Kim Ki-duk réalisent cet exploit.
Je suppose que Nostalgic aura parlé des acteurs, très bon, surtout Chang Chen qui ne parle pas un mot de coréen.
Voila, je crois quon peut conclure ce court rapport dimpressions fugitives sur Souffle : Film poétique, fable philosophico-existentialiste. Calme, froid, cruel mais magnifique, il touche le spectateur comme tous les derniers films de Ki-duk, qui saffirme à nouveau comme un artiste complet, majeur en Corée et dans le paysage mondial du cinéma. Inspirez un bon coup et plongez dedans !
PS : bon le coup de la spontanéité et de la simultanéité est un peu tomber à leau vu la date ou notre double critique parait. Mais je suis une indécrottable flemme, alors je mets tout de même ce qui était prévu à lorigine
Voila, jespère que la lecture a été bonne, pardonnez les redites
*Voir Platon, Timée
Carcharoth