Shaolin contre Ninja, une histoire de couple sur fond de dispute d'arts martiaux.
Shaolin contre Ninja (Heroes of the East / Zhong hua zhang fu), Liu Chia-Liang, 1978, Chine.
Un mariage face aux arts martiaux, où une rivalité sino-japnaise pas si évidente.
Me voila lancé : deuxième film de la Shaw en deux jours, deuxième apparition de Gordon Liu, qui tient ici le rôle principal, une deuxième fois dirigé par son frère, Liu Chia Liang (le véritable nom de Gordon Liu est en effet Liu Chia-Hui). Lequel enchaîne les films : lannée précédente (1978), il a réalisé La mante religieuse et La 36 chambre de Shaolin, deux films dont jai déjà parlé ici, et dont vous savez par conséquence quils sont très bon. Et bien je dirais quavec ce film on peut observer une évolution ternaire vers un genre plus tourné vers la comédie et lhumour. Si la chambre de Shaolin est en effet sérieux, Shaolin contre ninja parait bien plus « comique », alors que La Mante religieuse permet de faire la jonction entre ces deux penchants. Je rassure tout de même les fans de la 36ème chambre, ce film ci ne tombe pas dans lexcés ou la « kung-fu comedy », mais présente juste des traits différents avec une base identique aux films antérieurs de la Shaw Brothers. On est donc loin de Jackie Chan, et de mon point de vue, tant mieux.
Lhistoire, bien sur, est assez simple : HE Tao est un jeune homme dont le mariage est arrangé depuis lenfance avec la fille dun partenaire commercial japonais de son père. Yumiko, sa future, est donc japonaise.
Elle pratique aussi tous les arts martiaux de son pays. Très belle, elle plait à Tao qui consent à se marier, et découvre peu après les talents de sa femme. Cette dernière juge les arts martiaux chinois désuets et inefficaces, et propose donc à son mari de linstruire. Ce dernier, lui aussi pratiquant assidu, lui fait la demande inverse, jugeant pour sa part les techniques japonaises violentes, sans grâce, basées sur la brutalité et non la finesse. La controverse prend des proportions de dispute, les époux en viennent à se mesurer les armes à la main. Malgré sa bonne technique, Yumiko perd, et bafouée, décide de retourner au Japon pour se perfectionner dans lart du ninja, que son époux déteste tant pour sa fourberie. Ce dernier, inspiré par son domestique, envoie une lettre de défi à sa femme, lui demandant de revenir pour se mesurer à nouveau à lui. Sil perd une seule fois, il promet de sincliner. Le professeur ninja de la jeune femme, épris delle depuis longtemps, décide den faire une cause nationale et den profiter pour récupérer Yumiko.
Il amène donc son grand maître, ainsi que six camarades spécialistes chacun dun art martial national pour défier le mari. Sen suivent donc sept confrontations, toutes remportées par Tao, qui finalement se réconcilie avec les combattant japonais, reconnaissant leur force et leur maîtrise et redonnant à son défi sa simple et originelle nature, c'est-à-dire la volonté de faire revenir sa femme, quil aime. Le film se conclue donc sur un mutuel respect et une noble amitié entre les combattants.
Avec ce film, Liu Chia-Liang réussit un beau challenge : équilibre entre comique et sérieux, entre combats et scènes de vie, scènes de ménages ou discussions. Il ne tombe pas dans le piège de lhistoire délaissée au profit dune succession sans fin de combats, et surtout, alors quil semble jouer tout le long avec, il ne sombre pas dans léternelle rivalité avec le Japon, ses murs, ses arts martiaux, ses valeurs et le lots de préjugés qui vont avec.
Un petit point sur les acteurs pour commencer : ils ne sont pas exceptionnels, et encore une fois pour la plupart ce sont plus des combattants que des comédiens, sauf peut être Gordon Liu (qui avec le temps a pu se perfectionner), Yasuaki Kurata (le plus chinois des acteurs japonais, ou linverse ) et aussi Siu Tien Yuen (le maître de Tao), ancien du théâtre de Pékin. Bref ce ne sont pas des interprétations de génie, mais encore une fois ça tient la route, ça suffit. Et comme niveau combat, la qualité et linventivité sont la (Oups, jallais oublier linterprétation géniale mais discrète, puisque déguisée et « grise » du réalisateur himself : Liu Chia-Liang joue en effet le maître de la « boxe ivre » !)
Reprenons un peu les équilibres dont nous avions parlé. Dès le début du film, il en est question : dans un « choc des cultures » il faut trouver un équilibre. Mais le premier que javais cité nétait pas culturel, il se situait au niveau du registre du film. Pas tout à fait sérieux, mais pas aussi orienté vers le comique et la comédie burlesque que les films de kung-fu qui le suivront, Shaolin contre ninja slalome un peu entre ces différents genres, parvenant au final à trouver son chemin avec brio. Au début assez drôle soppose des disputes assez virulentes, des combats très sérieux et une fin qui lest tout autant, même si elle est joyeuse. Bien sur, il faut un personnage comique, et comme assez souvent cest le valet, le domestique fidèle, ingénieux, mais un peu niais parfois et surtout roublard. Il apporte cette touche de comique dans des situations qui ne le sont pas a priori, et fait sourire à chaque apparition. Souffre douleur, intermédiaire maltraité par le mari et lépouse à chaque dispute, il permet aux confrontations de garder un caractère léger, ou au moins de les empêcher de sombrer dans le dramatique. Car en effet, Yumiko a un caractère bien trempé, et nadmet jamais sa défaite, défendant jusquau bout son pays, ses coutumes et ses arts. Elle aime néanmoins son mari et lui est fidèle, même lorsquelle est au Japon et sentraîne avec Takeno, le maître ninja.
On en vient donc logiquement aux combats : cest lun des points forts du film. Il suffit de citer deux noms : celui de la Shaw, et celui de Gordon Liu pour être certain quils sont dune qualité irréprochable. Bien sur pour un aficionados du katana, ils ne sont pas réalistes puisquune épée chinoise serait sans doute coupée en deux par un sabre nippon au bout de trois coups. Mais la nest pas vraiment limportant dans ce film. Les combats sont épiques, ils sont longs, ils sont beaux, les bruitages sont dépoques et rajoutés en post-synchronisation, ça rebute peut être un peu au début, mais au bout dun temps dacclimatation ils paraissent normaux, en tous cas ils participent au charme un peu rétro de ces films. Les lames sifflent toujours, les coups de poings et de pieds font un bruit mat, etc
Complètement faux, mais tellement plaisant ! Tous nos bruitages actuels lors des combats et des gunfights viennent et sont inspirés de la. De plus, ils servent une histoire, et ne sont pas juste des démonstrations de force, même si lenchaînement des combats par Tao y ressemble un peu vers la fin, tant les transitions entre chacun deux sont minimalistes, voire inexistantes.
Cest peut être le point faible du scénario : cette succession de combats, même sils sont variés, très bien réalisés et quils sintègrent parfaitement à lhistoire puisquils font partit du défi peut paraître un peu longue et trop développée. Tao y affronte successivement le sabre dun bretteur spécialiste du kendo, les coups dun karateka, la lance dun combattant, les dagues dun guerrier, le nunchaku dun simili-Bruce Lee, les prises dun judoka et pour finir la fourberie et la ruse du ninja. Les armes et techniques sont ainsi toujours différentes, et cela permet de montrer lextrême diversité des arts martiaux et laspect complet de la formation chinoise, face à la spécialisation japonaise. On touche donc la au dernier point : le jeu avec les différences sino-nipponnes.
Tout le film est en effet axé sur cela. Ainsi, dès le début on se dit quon va assister à une sorte de « Fureur de vaincre » avant lheure, une destruction progressive de tous les art martiaux japonais par un seul combattant chinois.
Mais non, comme Bruce Lee qui avait intégré les styles japonais à sa technique, Liu Chia-Liang prouve quil existe bien plus de liens que de différences. Et pourtant, dès le début du film, lhistoire joue sur les différences : la mariée est habillé en blanc (couleur de mauvais présage en chine), elle ne sagenouille pas face au père, mais reste droite, elle sentraîne tous les matins au karaté en kimono, ce qui laisse entrevoir à tous ceux qui passe par la (domestiques surtout) des morceaux de son anatomie (le fantasme chinois nest apparemment pas celui de linfirmière nue sous sa blouse, mais de la japonaise nue sous son kimono !), ce qui gène son mari, pour qui la pudeur est essentielle. Les autres oppositions concernent la façon de manger (agenouillé pour la japonaise, assis pour le chinois car seul les condamnés à mort mangeait agenouillés !), les murs en général et surtout sur les armes et les techniques de combat. Linsulte suprème est faite à Yumiko lorsque Tao qualifie lart ninja de fourbe et bas. (Ce qui est par ailleurs lopinion quen ont les samouraïs, puisque la bassesse est exclue du Bushido ). Le film est donc entièrement marqué par ces oppositions, ses incompréhensions (le samouraï vaincu offre son sabre à Tao, qui ne le comprend pas et loffense ainsi gravement) qui sont dépassés à la fin par une réciproque admiration, conquise par des combats loyaux (ou équitablement roublards : le judoka qui arrive à minuit alors que les défis sont limités à un par jour pour laisser le temps à Tao de se reposer. Pour se venger, celui-ci senduit dhuile, empêchant ainsi le combattant de le saisir fermement ) et par des valeurs et des traits de civilisations communs.
Toutefois, et cela semble évident, le film est loin dêtre neutre, même si jai voulu insister sur ce point qui me semblait important : Le chinois est seul, mais maîtrise chaque discipline mieux que les japonais : cest lopposition entre léclectisme shaolin (ou du kung-fu en général) face à la spécialisation japonaise. Débat universel et actuel : alors que la spécialisation pourrait (et devrait selon notre logique) dominer largement des bases dans toutes les disciplines, cest la complémentarité et dadaptabilité des savoirs martiaux qui sort ici vainqueur des confrontations. Autre opposition qui subsiste tout de même dans le film : Celle entre le rationalisme que revendique Yumiko et le respect des règles, de la droiture et des conventions que prône Tao. Bien sur il y a la petite phrase glissée par le chinois à la fin du film : « Ce nest pas le stade suprême (parlant dune technique de combat très élevée). Le stade suprême, cest la vertu. Vous êtes daccord avec moi ? (signe dapprobation de Takeno) ». Mais cela ne résorbe pas lidée générale qui ressort du film et qui serait dailleurs plutôt opposée à ce que lon pourrait penser. Car en effet nest ce pas les samouraïs qui placent la Voie et la droiture au dessus de tout ? Ici non, ce sont les chinois, par opposition aux ninjas, qui représentent le machiavélisme (au sens vrai, c'est-à-dire que la fin importe plus que les moyens, la victoire plus que la technique employée) face à la voie, au combat pour la beauté du geste
Pour finir jaimerai tout de même conclure sur une touche dharmonie. Le nom du héros ( HE Tao) na sûrement pas été choisit par hasard: voici ce quon peut lire sur le Tao :
« Comme le Bouddhisme, la philosophie du Tao est basée sur le principe du Yin et du Yang. Jour-nuit, masculin-féminin, chaud-froid, etc, se nourrissent l'un l'autre et sont des polarités complémentaires d'une même énergie.
Le perpétuel mouvement entre ces polarités est à l'origine de la principale caractéristique du monde matériel: l'impermanence »
Et ceci, nest ce pas le sens de la fin du film ? Lharmonie, la complémentarité et surtout la tolérance. Voila qui renvoie, avant même quelle ait été formulée, la théorie dHuntington* au placard.
Shaolin contre Ninja est donc, comme le montre mieux son titre original (Heroes of the East, les héros orientaux) lhistoire comique et profonde à la fois dune rencontre entre différentes cultures, qui se traduit par de magnifiques combats et une morale de tolérance et douverture.
Carcharoth
*Le choc des civilisations, Foreign Affairs, 1993.