Le sabre infernal, un conte envoutant par Yuan Chou.
Le sabre infernal (The Magic Blade / Tien ya ming yue dao), Yuen Chor, HK, 1976.
Un conte chinois fabuleux et truculent.
Lecteurs, je sentais en vous une certain lassitude : encore et toujours des films de kung-fu dirigés par Liu Chia-Liang, avec au moins un de ses frères à lintérieur et qui tournait toujours plus ou moins autour de Shaolin. Alors voila un peu de changement : oui le film est toujours produit par la Shaw Brothers, oui il date de la même époque mais à la différence de ceux dont je parlais précédemment, il ne sagit plus du réalisateur phare de la société et il ne sagit plus de film de kung-fu mais du wu xia pian à proprement parler, de film de cape et dépée avec un soupçon de légende, de magie, de fantastique. Le scénario provient tout de même de personnes conues : On Sito (La mante religieuse) et Kuang Ni (les 8 diagrammes de Wu-Tang) participent à lécriture, alors que le roman qui leur sert de base à été rédigé par celui qui est peut être le plus grand pourvoyeur de la Shaw, à savoir Ku Lung (ou Gu Long).
Ce film se rapproche donc bien plus des autres adaptations de roman daventure chinois (comme la légende du lac, inspiré du roman fleuve « Au bord de leau ») -ou encore de Wu Xia plus contemporains, comme Hero ou The Blade (inspiré en partie de ce film, mais on en reparlera) que des films de kung-fu produit par la Shaw. Le ton, les combats, la réalisation ne sont pas les mêmes.
Les réalisateur dailleurs est un spécialiste du genre (Le Tigre de jade, Death Duel, Intimate confession of a chinese courtesan pour ne citer que ces grands classiques, dispersés au milieu de ses 125 films ). Yuen Chor (ou Yuan Chou) est aussi lun des plus grands noms de la Shaw dans son domaine, du moins un de ceux dont les grands classiques sont disponibles en France. Fils dun grand acteur cantonais, cest naturellement quil a intégré la Shaw, « native » de cette ville (bien quinstallée à HK à lépoque). Néanmoins sa filmographie, immense comme je lai rappelé (125 films environ en 35 ans de carrière) ne sarrête pas la : Thriller, romances, drames, il a touché un peu à tous les genres avant de se consacrer presque entièrement au wu xia entre 1975 et 1985. « Le sabre infernal » se situe donc plutôt au début de cette période, juste après son premier immense succés dans le genre : « La guerre des clans ». Le titre donne dentrée le registre du film. En anglais (enfin disons le titre anglais de la version HK) cela est encore plus évident, puisque il appuie sur laspect « magique » du sabre (en VO, cela se voit encore plus, puisque les caractères qui composent le titre signifie respectivement : « Le ciel », le « Clair de lune » et «le Sabre »). Lhistoire est assez simple dailleurs, mais comme dans tous les contes, elle appelle à des réflexions plus lointaines.
Fu Hong Hsieh est un sabreur solitaire, réputé pour son honnêteté, sa bravoure, son sens de lhonneur et son immense talent. Il y a un an de cela, il avait battu Yan Nan-fei lors dun duel. Ce dernier revient cependant à la charge, convaincu quil est le meilleur bretteur de la Chine (et par conséquent du monde) et donc quil doit battre son adversaire, le seul à lui avoir résister jusquà présent.
Le combat commence de façon assez équilibrée, les deux styles assez différents se bloquant (la luminosité de Yan Nan-fei sopposant à la rapidité de celui de Fu Hong) mutuellement. Mais laffrontement est interrompu par lirruption de deux tueurs, les meilleurs du royaume, qui veulent les assassiner. Se défaisant facilement de leurs adversaires en faisant front commun, les deux hommes décident de remettre à plus tard leur rivalité pour aller se reposer et réfléchir sur le pourquoi de leur agression, et surtout pour eux deux, qui a priori ne sont pas alliés mais ennemis. La raison qui leur semble la plus probable est quils sont les deux seuls à pouvoir battre maître Yu, le roi des arts martiaux.
Lauberge dans laquelle ils sont en train de discuter savère très vite pour Fu Hong être un nid de piège, les autres clients étant des tueurs ayant piégés leur nourriture. Ils séchappent par une fenêtre attaquant au passage les faux chalands, en reconnaissant plusieurs comme étant des tueurs à gage au service du fameux maître Yu. Ils se réfugient donc dans lendroit le plus sur quils connaissent, le pavillon de mademoiselle « Cur clair-de-lune » où celle-ci leur conseille de se rendre au manoir du paon afin de récupérer les plumes du même oiseaux, arme destructrice permettant de détruire maître Yu, et surtout de lempêcher de sen emparer, car cela ferait de lui le maître incontesté du monde des arts martiaux, qui sombrerait alors dans le « mal ». Le gardien du manoir ne voit aucune objection à remettre aux deux guerriers les plumes, puisquil vient de recevoir une lettre de menace de Yu, et quil verrait sa mort dun bon il. Mais une fois la salle secrète ouverte, un sbire de Yu, déguisé en garde sempare du coffre contenant les plumes et tente de senfuir, empoisonnant le gardien au passage. Grâce à une ruse de ce dernier (sapparentant à celle de « La lettre » dE. A. Poe), les deux « gentils » parviennent à entrer en possession de larme et sen serve pour tuer dun coup tous les assaillants du manoir (même si le gardien meurt, demandant aux deux homme de protéger sa fille, qui les suivra jusquau bout de laventure). {SPOILERS}Ils partent alors en quête du repaire de maître Yu, afin de léliminer. Sur le chemin, ils croisent et affrontent les cinq tueurs à gage du roi des arts martiaux : Poème Tang, Peinture, Luth, Echec et Epée. Ces noms étant bien sur issus de leur passion pour un autre domaine que le meurtre.
Après les avoir tous vaincus, Fu Hong, qui sest retrouvé seul après la mort hypothétique (du moins la disparition) de son ami Yan Nan-fei rentre enfin dans le manoir de maître Yu, et est surpris dy trouver Cur-clair-de-lune, qui se trouve être en fait la maîtresse de Yu. Fu Hong, après une nuit de repos ou il se refuse à Cur clair de lune et sentretient avec la fille dont il avait la protection (capturé juste avant par les habitants du manoir), il combat à nouveau les champions de Yu, puis le démasque, et découvre stupéfait quil sagit de Yan Nan-fei. Il parvient, comme lan passé, à le dominer et le tue. Mais le véritable maître Yu apparaît alors, puisque Fu Hong refuse le titre de meilleur combattant et de roi des arts martiaux. Le vieil homme lui explique son projet : se faisant vieux, il cherchait un remplaçant. Il pensait lavoir trouvé en la personne de Yan Nan-fei jusquà ce que ce dernier se fasse battre par le sabre de Fu Hong. Lui ayant accordé un an de répit pour sentraîner et battre Fu Hong, Yu a de nouveau était déçu et cherche donc à attirer le combattant, tout en lui faisant apporter les plumes de Paon, qui feraient de lui un in détrônable roi des arts martiaux.
Mais Fu Hong, peut intéressé par la gloire, les richesses et la compétition (qui mène dans ce domaine à la mort) préfère sen aller, ce qui provoque la colère de Yu qui préfère tuer ce potentiel rival que de le laisser partir. Il utilise alors la dernière plume de Paon (il ny en avait que deux) pour lattaquer, mais découvre que ce dernier connaît la seule parade : un tissu que lui a remis la fille e lancien gardien du manoir du Paon, quil a protéger au péril de sa vie. Le combat à lépée sengage alors, et se termine par la victoire de Fu Hong, grâce à son sabre qui projette sur Yu qui senfuyait à laide dune chaise protégée par des barreaux en bronze indestructibles. Laissant là le vieillard, ses richesses, sa gloire et ses femmes, il reprend sa route solitaire.
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Le résumé est assez minable, mais rendre compte de la truculence et de la densité du récit, ainsi que de lambiance très spéciale du film était quasi impossible. Cest dailleurs la première chose de laquelle nous allons parler, puisque parait-il- il faut toujours commencer par le plus difficile. Lambiance donc, le registre dans lequel le film sinscrit est assez mouvant. Il sagit dun film dépée, un Wu-xia costumé qui vire parfois au film dhorreur, au film fantastique ou romantique.
De nombreuses scènes sont tournées la nuit, ce qui rend lambiance assez pesante, sombre, un peu surréaliste ou du moins insaisissable. Lalternance entre combat relativement réalistes et affrontement plus baroques, multicolores, plein deffets spéciaux rend la catégorisation impossible. De plus, au film daction-aventure classique vient se greffer une partie psychologique, romancée qui voit le héros livrer à la jeune femme quil protège ses tourments et ses déboires amoureux passés. Enfin, le twist final et les discussions presque philosophiques de la fin donne au film un caractère protéiforme.
Dominent tout de même deux impressions : celle du fantastique et celle du conte. Il y a en effet une quête, des gentils et des méchants, des épreuves, des combats chevaleresques et une fin heureuse pour le héros. Ne manque que la princesse, que lon pourrait à la limite voir en la personne de Tsao Yu-chen (la fille du gardien du manoir au paon, que doit protéger le héros). Le fantastique est présent dans les combats (où sont utilisées des armes peu conventionnelles), dans les personnages qui ne semblent pas très réels (les tueurs à gage aux noms inspirés par leur fonction : « vieille-diablesse », etc ) et dans lambiance un peu onirique qui se dégage du film à cause de la photo. Enfin, comme je lai déjà dit le titre cantonnais, très poétique, appelle intuitivement une vision lyrique du film. Et puis le fantastique nest-il pas le registre toujours accolé aux contes ?
Intéressons nous à présent aux personnages, et plus particulièrement bien sur au héros de ce film : Fu Hong Hsieh. Son costume, avant même de lire le livret du DVD, fait penser au « manchot » de Sergio Leone et interprété par Clint Eastwood dans « Et pour quelques dollars de plus ». Le fascicule lui évoque le protagoniste de « Lhomme sans nom » (et rappelle aussi fort à propos que ce Western spaghetti est lui-même inspiré de Yojimbo, dA. Kurosawa !). Bref ce héros est une figure connue, celle du solitaire ténébreux, mélancolique dont la vie a été brisée par une femme, par la recherche de la gloire, de labsolu (absolu talent, maîtrise de lépée, reconnaissance ). Autre influence, cette fois ci dans lautre sens et que jai déjà évoquée au début de larticle : The Blade, de Tsui Hark. Il me semble en effet que lépée de Fu Hong ressemble étrangement à celle du héros du film culte de Hark : courte, brisée, pas très tranchante mais ultra rapide, et détail ultime, reliée à son possesseur par une chaîne. Il apparaît donc que ce film a de ce point de vue était la source principale dinspiration concernant le héros et son arme dans the Blade
Sa philosophie elle aussi nest pas très académique et inhabituelle pour un héros, même si la figure du désabusé a déjà était utilisée la aussi. Il agit en effet sans motifs apparents. Lors de son premier combat face à Yan Nan-fei, il lui dit ne plus se rappeler pourquoi il doit le tuer ; plus tard il rapporte à Yu-Chen avoir pris la route et beaucoup combattu pour chercher la gloire, se faire un nom mais nen avoir tiré quamertume et désillusion. Il semble donc assez misanthrope, même sil nhésite jamais lorsquil sagit de porter secours aux plus faibles, mais il le fait sans arrière penser, sans chercher une récompense, simplement parce que cela lui semble être son devoir.
Face à cet anti-héros, il y a Yan Nan-fei, habillé dune robe blanche et or qui reluit, et qui combat armé dune longue et fine épée. Il a un haut rang et cherche à prouver quil est le meilleur (ce pourquoi il est Yu, comme lexplique Cur clair de lune), tout en ayant lui aussi des principes. Au début du film, on pourrait le prendre pour le héros à cause de cet air altier, de ce costume reluisant et de son combat pour le bien, face à Yu. Il sefface néanmoins petit à petit au profit de son compagnon. Son double jeu et son statut de « Yu » font de lui un personnage intéressant et complexe. Désigné par le « vieux Yu » pour lui succéder, il na été défait que par Fu Hong et a par la même perdu son statut de meilleur combattant. Il combat pour la gloire et les richesses, et pour le statut de « roi des arts martiaux ». Sa philosophie et donc sensiblement différente de celle de Fu Hong, bien plus matérialiste en tous cas.
Revenons à présent sur le fameux maître Yu. Tout au long du film il est présenté comme le mal, le mauvais mais lexplication finale de sa femme nous révèle une nature bien plus complexe et surtout fluctuante, mouvante. « Maitre Yu » nest en effet quun nom donné au meilleur combattant. Cest ainsi quaprès avoir battu Yan Nan-fei, Cur clair de lune installe Fu Hong face à un miroir et lui dit : « voici maître Yu ». De même, Yan Nan-fei à le masque de maître Yu jusquau moment ou Fu Hong le tue et brise le masque, lui enlevant ainsi son statut de meilleur combattant. Le nom « Yu » est donc attaché à ce statut et va de lun à lautre selon les circonstances. Fu Hong, pour le tuer doit donc non seulement devenir le meilleur, tuer ceux qui prétendaient au titre, mais aussi le refuser et le laisser enfermer dans son manoir, la ou personne ne saura le trouver. Combat plus moral que matériel donc, que remporte le héros qui sen va aussi solitaire quauparavant.
Le film, qui mise bien moins sur les combats que sur le scénario et lintrigue (qui se suffisaient à elle-même dans le livre où les affrontements étaient minimalistes) se devait donc de présenter un casting convaincant. Et cest aussi loccasion pour Ti Lung (Le bras de la vengeance, La rage du tigre, Duo Mortel) et Lo Lieh (Le retour de lhirondelle dor, Les exécuteurs de Shaolin, La 36ème chambre de Shaolin, ) de prouver quils ne sont pas que de bons combattants. On remarque aussi les deux présences féminines, deux grandes actrices de la Shaw : Li Ching et Lily Li. Cette fine équipe convainc et sert parfaitement le scénario.

Nous avons donc un ici un film dans la plus pure lignée du wu xia, qui lie combats très bien chorégraphiés (pas par le réalisateur, qui nen est pas spécialiste, mais par Tang Chia (qui secondait Liu Chia-Liang avant quil ne soit réalisateur) et Huang Pei Chih) et intrigue habilement menée, avec un retournement final assez spectaculaire et des explications plus intéressantes que ce à quoi lon pourrait sattendre. Lambiance est très spéciale, envoûtante, tout comme les acteurs ce qui donne au final un très bon film qui ravira les fans de ce genre ainsi que tous ceux qui ne sont pas allergiques aux films dactions et de sabre.
Carcharoth.
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