Quand l'Embryon part braconner (1966) :Série Wakamatsu

Publié le par Nostalgic-du-cool

Série de films de Koji Wakamatsu :

 

 

J'entame avec cet article une petite série d'article sur Koji Wakamatsu et ses films. Ce sera l'occasion de rappeler la sortie des coffrets consacrés au réalisateur chez Blaq Out, et de reparler de l'affaire de censure autour de L'Embryon part braconner.

 

 

Le projet pour l'instant se veut modeste et le but est de parler de ces trois œuvres :

L'embryon part braconner (1966) ; Va, va vierge pour la deuxième fois (1969) et Les anges violés (1967).

 

D'autres viendront sans doute, notamment les derniers sortis et le documentaire sur le FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine).

 

Commençons avec l'Embryon part braconner, troisième film de Wakamatsu produit par sa propre compagnie. C'est pour lui une période prolifique, qui durera jusque dans les années 70, où il tourne plusieurs films par an avec des budgets ridicules (quelques milliers d'euros). L’Embryon n'échappe pas à la règle. L'idée en vient à Wakamatsu un jour de pluie en réaction à un film choc d'Atsushi Yamatoya qu'il a produit la même année. Le réalisateur veut alors « se prouver quelque chose » et demande à son complice Masao Adachi de l'aider à écrire un scénario. Le film est ensuite tourné en 5 jours dans l'appartement de Koji, en huis clos (afin de recréer sur le « plateau » l'ambiance du film). Le réalisateur fait lui même la cuisine et l'équipe dort sur des futons. On comprend que les acteurs, pourtant semi-amateurs soient si efficaces dans ce film !

 

L'histoire, basique, est celle d'une jeune fille cédant aux avances de son patron qui l'amène chez lui et l'y enferme durant de nombreux jours, lui faisant subir des sévices psychologiques dominateurs et des jeux sexuels sadiques. Il l'identifie à son ancienne femme qui s'était faite faire un enfant par insémination puisqu'il se refusait à procréer, sans doute à cause de son impuissance et à un fort complexe d’œdipe. Mais l'emprisonnée se révoltera, l'esclave sexuelle se libérera et la domination s'inversera...

 

 

On connait ce film surtout pour l'affaire qu'il a suscité lors de sa sortie en salle dans notre pays. Interdit aux moins de 18 ans par la Commission de classification, il se voit assimilé à un film pornographique auprès du grand public, est privé d'une éventuelle diffusion télévisuelle et est considéré dans le petit paragraphe explicatif fourni par la Commission comme une œuvre basé sur la misogynie, l'apologie de la violence et le sadisme dans les relations entre hommes et femmes. Nous allons voir qu'il n'en est rien et qu'une vision plus réflexive permet de donner au film une profondeur que peut être on ne soupçonne pas tous à première vue.

Wakamatsu a décidé de faire des films après avoir fait un court séjour en prison (il faisait auparavant parti des yakuzas) qui lui a donné une rage contestataire peu commune, tant par sa force que par sa pérennité. Son plus grand plaisir était alors de pouvoir tuer cinématographiquement des flics sans aller en taule ! D'ailleurs son parcours politique est intimement lié à sa filmographie. Si Wakamatsu a commencé à faire des pinku par esprit de rébellion, et puis parce que ce genre très marginal à l'époque correspondait à son style (et aussi par goût sans doute), il a mis très peu de temps à intégrer à ses films une dimension politique et en général bien plus large que le simple érotisme. Car les autorités japonaises, policières et culturelles n'ont jamais cessé de mettre des bâtons dans les roues de Wakamatsu, qui s'est alors en quelques sorte réfugié dans ce genre provocateur et secondaire qu'est le pinku-eiga. Et puis pour lui qui déclarait « Un film, ce sont avant tout des images. Je n'aime pas que mes films comportent trop de dialogues. J'exprime mes convictions à travers la manière dont je compose mes plans. » il faut bien dire que le pinku, avec ses nombreuses scènes à caractère érotique et la durée généralement courte de ses films est idéal pour cette conception du cinéma, où l'image et la mise en scène sont primordiale et vectrices d'idées.

A l'écran cela saute aux yeux, la photographie et l'image sont très travaillés, alors que les dialogues sont peu nombreux et servent peu. On connait les personnages via des flashbacks, ou par des gros plans sur leur visages qui permettent de bien saisir leurs émotions. Les quelques mots prononcés sont tout de même importants. On comprend en effet grâce à eux que l'homme-violeur a été quitté par sa femme car il ne voulait/pouvait pas lui donner d'enfant, qu'il a toujours reproché à sa mère de l'avoir mis au monde et qu'il souffre à son égard d'un amour/répulsion maladif. Psychologiquement malade et instable il assimile sa pauvre employée à sa femme et lui reproche, l'assimilant du même coup à sa mère (et à toutes les femmes) de donner la vie sans y réfléchir, sans se rendre compte à quel point c'est horrible et irresponsable. Son déni du corps féminin est tel qu'il n'arrive pas vraiment à violer la femme, mais l'oblige à se comporter comme un animal domestique, essayant de la « dresser ». Ce sont la je trouve les scènes les plus choquantes du film qui part ailleurs ne montre « ni parties génitales ni pilosités suspectes » (selon les codes de la société japonaise chargée de censurer les films). Il alterne avec ces actes cruels par une complète soumission à cette femme, s'infantilisant lui même et lui jurant qu'elle est la seule femme pour lui. Au bout de quelques temps de ce régime la jeune femme tente de s'échapper, et le peut vraiment mais arrête son geste : a quoi bon fuir cet appartement et cet homme-esclavagiste ? Après tout il en est de même dans son travail et sa vie se dit-elle... Dans cette petite phrase se trouve peut être la plus grande provocation du film, sa réplique la plus contestataire.

 


Le titre, assez énigmatique, s'explique assez vite par la mise en scène, avec des plans appuyés sur le ventre de la jeune femme, que malaxe et frappe Sadao ; on voit aussi sur la seule décoration de l'appartement un ventre de femme, les images de fœtus sont récurrentes dans les scènes violentes et la chambre où se déroule la majeure partie du film ne peut que faire penser à une sorte d'utérus, surtout filmé de l'extérieur comme une chrysalide par Wakamatsu. Ce dernier innove avec ce film et ouvre la voie à une sorte de nouvelle vague underground du cinéma japonais, à coté des Yoshida, Teshigahara ou Imamura qui formerait la partie « éthiquement correcte ». Même si ces derniers étaient à l'époque considérés comme rebelle, on ne peut comparer leur révolte à celle de Wakamatsu qui n'a jamais cessé de contester violemment la société nippone.

De la contestation et un message politique radical, on en trouve aussi dans le final : La femme parvient à se libérer et poignarde violemment son tortionnaire. Pour Wakamatsu, si l'on se souvient de la citation sus citée, le parallèle est clair : La violence est nécessaire à la révolution et au progrès social réclamé à grand cris à ce moment là par la jeunesse estudiantine nippone.

Et après tout c'est peut être cela qui n'a pas plus à nos grand pontes de la classification cinématographique, plus que les scènes de violences faites à la femme.



On le voit, ce film d'à peine plus d'une heure est riche et dense, il recèle plus qu'on ne pourrait le croire à la lecture de son synopsys. Les conditions de son tournages, l'engagement et la personnalité de son réalisateur ne laisse pas de doute quant à puissance politique qu'il dégage, puisque Wakamatsu lorsqu'il réalisait ces pinku pensait plus à la politique qu'à la sensualité, et ça n'en est que plus intéressant pour nous !





Carcharoth




Publié dans Japon

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