L'idiot, comparaison du roman de Dostoievski et du film de Kurosawa
* L'idiot. Roman de Dostoieivski écrit entre 1867-et 71, sans doute un des plus grand, décrit comme "une tragédie biblique" par Michel Guérin. L'auteur y raconte l'histoire du Prince Mychkine, un "Idiot". Ce dernier a en effet étant enfant, contracté de nombreuses crises d'épilepsie et en est ressorti amoindri mentalement. Après un très long séjour en Suisse (toute son adolescence), le voila de retour en Russie, à Petersbourg, se rendant chez sa seule famille avéré: Les Epantchkines. Dans le train, le voila qui fait un mauvais rêve: Il se réveille et lie connaissance avec Rogojine, un homme qui vient toucher un héritage avec la ferme intention de s'en servir pour conquérir Nastassia Filippovna, une jeune femme magnifique dont il est amoureux. Il rencontre aussi Lebedev, un fonctionnaire spécialiste de l'interprétation de l'Apocalypse de St Jean... Arrivé dans sa nouvelle "famille", le voila qui recroise le visage de la belle Nastassia: Gania, le secrétaire du Général Epantchkine, est en voie de mariage avec elle. Le fait qu'il la connaisse déjà, à peine arrivé dans la capitale impressionne au plus au point la maisonnée, qui apprend avec au moins autant de stupeur que Rogojine le malappris est de retour, armé de cette nouvelle fortune... Comme je l'ai dit, Le prince (Mychkine) est vite accepté par cette famille: il est en effet parent de la femme du général, Lizaveta Prokofievna, de plus, une fortune lui tombant sur la tête très rapidement, cela aide à l'intégration... Il est en tous cas vite présenté à la maisonnée: Le général, sa femme, et leurs trois filles: Alexandra, Adelaïda et Aglaïa. Il y a Gania aussi, le secrétaire. Ils appartiennent tous au même monde de la haute noblesse ou bourgeoisie Petersbourgeoise du XIXème siècle. On décide d'installer le prince dans les appartements de Gania, qui loue des chambres chez sa famille. Ce dernier joue sa vie le soir même, chez ladite Nastassia, qui doit donner une réponse à sa demande en mariage (accompagnée, et c'est la sa motivation principale, par une coquette dot de 100 000 roubles). Alors que la famille de Gania est en train de se déchirer autour de ce sujet (menant à la honte de la famille selon sa soeur et sa mère), voici qu'apparaît, figeant l'idiot, Nastassia Filippovna, afin de faire connaissance avec sa peut être future belle famille: l'auteur en profite pour fixer son caractère, montrer sa cruauté et les passions qu'elle suscite. Elle invite le prince à sa soirée, mais voila que surgit, suivit de sa troupe d'hétéroclites poivrot, Rogojine le sombre, passablement éméché, insultant son rival: il promet le double de la dot pour se marier avec elle. Voila donc le décor planté: la soirée peut commencer. En effet, comme dit plus haut, ce soir la La Belle fête son anniversaire, et va en profiter pour annoncer sa réponse: tout le beau monde est invité. Tous essaient de détendre l'atmosphère, de faire comme s'ils n'attendaient pas cet unique événement, mais quand enfin il se présente, tout et tous s'arrêtent, et les attentions se portent vers Gania, le prince, Totsi (l'homme qui offre la dot, ayant entretenu Nastassia pendant la plus grande partie de sa vie): La jeune femme, émue par un récit que vient de lui faire Lev Nikolaïevitch, lui demande de transiger sur son avenir: se marier, ou refuser ? Lui, candide, bon, choisit en connaissance de cause le refus, le refus de la superficialité, de l'ambition, de l'avilissement pour cette femme qu'il considère comme pure. Scandale, débats, mais encore une fois, re-voila Rogojine, avec ses 200 000 roubles. Et Nastassia de changer d'avis; elle ne partira pas avec le prince, mais avec ce parvenu que tout le monde méprise: pour couronner le tout, et choquer l'assemblée, elle jette l'argent au feu et demande à Gania d'aller le chercher pour se payer sa désillusion. Fierté / réussite monétaire, celui ci ne craque pas et laisse l'argent brûlé ("L'hystérique" le sortira alors du feu pour le lui donner, en récompense de son courage). Le récit oublie de nous raconter les événement des 2 mois qui suivent, mais Rogojine et Mychkine subissent les aléas du caractère de leur bien aimé, qui fait des aller retour entre eux...
La suite de l'histoire se déroule donc à Pavlosk, dans les datchas des Epantchkines, de Lebedev, de Gania: Le prince y est venu officiellement pour se reposer de ses crises, les autres familles pour profiter du beau temps. Entre le "divertissement" provoqué par l'agonie lente d'Hyppolite, un jeune Phtisique, et les frasque de Nastassia (elle aussi, ici, quel hasard), une relation se lie entre le Prince et la cadette des filles du général, Aglaïa, la plus belle mais aussi la plus moqueuse, que Gania aime en secret, mais qu'elle a rejetée à cause de son ambition "amorale". On apprend vite que l'amante du prince et de Rogojine envoie des lettres à la jeune Aglaïa, la pressant de se marier avec Mychkine, pour leur bonheur à tous les deux. Présentation à la famille, déclaration, bonheur des deux amants... Mais La jeune fille veut savoir, elle veut comprendre sa rivale: ils vont donc chez Nastassia. Une dispute éclate, Le Prince est sommé de choisir entre c(s)es deux femmes: déçue par son hésitation, Aglaïa s'enfuit, le prince commence à la poursuivre, l'ayant choisie, mais L'autre s'effondre, annihilé par le choc: Lev Nikolaïevitch s'arrête donc pour la secourir et la ranimer: la mariage est annulé, Aglaïa le rejette ainsi que sa famille. Nastassia le convint de se marier avec elle, ce qui doit avoir lieu une semaine plus tard... Le jour J, elle aperçoit Rogojine dans la foule, lui demande de l'emmener, et s'enfuit... Le prince part à sa recherche, et la retrouve, dans la maison de Rogojine, ce dernier la veillant: Elle est morte, poignardée. Autour de ce cadavre tant chéri et haï, les deux hommes vont sombrer dans la folie, l'un finissant au bagne, l'autre complètement idiot dans une pension.
Je suis désolé par avance du résultat indigne de ce résumé, car synthétiser l'oeuvre magistrale de Dostoievski en une page est impossible: s'il a écrit 1000 pages, c'est qu'il lui fallait 1000 pages. Je suis donc assez honteux de l'aspect de cette chose, et surtout d'avoir été obligé de sauter pas mal de nombreux récits subalternes au récit, mais faisant pleinement partie de l'histoire, et surtout de l'ambiance que dégage le livre. Mais je l'ai fait avec, en perspective (Nevski ah ah (rire gras)), la comparaison du film de Kurosawa.
Perspective Nevski
Comparaison succincte que voila:
Pour commencer, premier point intéressant: Le récit commence bien dans un train, mais un train japonais bien sur, dans une période bien définie: l'immédiat après guerre (51 ?) et encore mieux, Mychkine (en plus du fait qu'il ne s'appelle Kameda) ne revient pas de Suisse, mais d'un camp de prisonnier ou il a failli être exécuté, peur terrible ayant causée son idiotie (Fait intéressant à noter, en1849, Dostoïevski avait été gracié sur son poteau d'exécution par Nicolas III: il connaît donc ce sentiment mais ne l'a pas utilisé dans son roman pour expliqué la candeur de son personnage (qu'il veut "l'homme bon par excellence"), Kurosawa, lui, le fait. Puisque Dostoïevski est son auteur préféré, je suppose que c'est en connaissance de cause). Joue ensuite le fait que la version diffusée ne dure "que" 166 min, celle de départ durant bien plus de 4h... Il y a donc eu des coupes, qui ne dépareillent pas l'histoire ni le film, mais qui, par rapport au roman, réduisent la trame du récit. Ainsi, tous les éléments tournant autour du général Ivolguine (que je n'ai pas mentionné dans le résumé, mais qui est le père ivrogne et mythomane de Gania) et d'Hyppolite sont éclipsés. De même, à la fin, il n'y a pas de mariage ni de volonté de mariage entre Nastassia et le Prince, elle est tuée par Rogojine après s'être évanouie et ramené a Pétersbourg. Plus loin encore dans le récit, lorsque les deux hommes passent de raison à folie, Rogojine semble bien plus atteint que le prince, qui garde son air illuminé habituel, alors que dans le livre ils perdent la raison ensemble, entendant le spectre de la morte au même moment.
Pour continuer avec l'esprit du Prince, dans le roman il est profondément religieux, orthodoxe fervent, haïssant les catholiques qui ont selon lui favorisés l'éclosion du nihilisme en accaparant le pouvoir temporel, délaissant le spirituel : Dostoïevski (très croyant à cette époque) prête ses mots à Mychkine: (La Russie est en effet proche de la date ou elle expulsera les Jésuites de son sol.). Chez Kurosawa il a perdu cette foi : Lorsque Rogojine lui demande s'il croit a Bouddha (forcément, on est au Japon), il répond gêné:" Non, pas trop...". Exit la religion donc ! Hormis ces quelques changements, ou coupures plutôt, le réalisateur retranscrit l'histoire très fidèlement en adaptant quelque peu à l'époque et au pays bien sur, mais les dialogues par exemple, ne sont presque pas réécrit: j'ai reconnu de nombreux passages, et c'est vraiment (je trouve) une très bonne chose. Une des seules coupes (que je présume, peut être me trompe-je totalement) qui est visible, c'est lorsque Kameda attend Ayako dans le parc et qu'il rêve: on ne voit pas se rêve, ce qui empêche de bien comprendre la scène: on le voit juste se réveiller, mais pas parler en dormant, etc... Une autre scène manquante selon moi, est celle ou le prince fait tomber le vase chinois alors qu'il est présenté comme le fiancé d'Aglaïa (Ayako Ono). Le thème de la prophétie auto réalisatrice est absent. Il y aurait des milliers de petits fait à relever, mais ce serait fastidieux et inintéressant: l'adaptation est magistrale, malgré les quelques éléments que j'ai pu noter. Comme le dit très bien Charles Tesson dans l'édition Mk2, il ne faut pas chercher Dostoïevski dans ce film, il faut le laisser venir, et alors on le voit la où on s'y attend le moins. Ainsi, il n'y a presque pas de comparaison utile à faire: l'ambiance du roman est totalement rendu, ainsi que son message général (On ne peut bien sur pas parler de drame biblique chez Kurosawa), c'est à dire la vision humaniste des personnes propre à Dostoievski, sa capacité à creuser la personnalité des gens, à faire de la psychologie... Bien sur, Kurosawa nous donne ici son interprétation de l'oeuvre, mais elle est tellement magistrale, qu'on ne peut la critiquer sur le fond. Quelques détails sur la forme donc, comme je l'ai dit plus haut, mais rien de grave...
Parlons un peu des acteurs: Je m'attendais à quelque chose un ton en dessous du livre: il n'en est rien ! Sauf peut être pour Yoshiko Kuga (Ayako/Aglaïa), toute jeune actrice, ayant un peu tournée pour Mizoguchi, dont l'interprétation m'a peu emballé, enfin moins que celle des autres. Mifune, découvert par Kurosawa, est vraiment un génie une foi que l'on a vu ça: il EST Rogojine. Il faut dire que c'est pour lui un rôle de composition: Roublard, noir, etc... Il est merveilleux. Masayuki Mori joue lui l'Idiot (Kameda), et son visage reflète parfaitement le sentiment que dégagent les actions du prince dans le livre: un mélange de grande bonté, de sagesse et de naïveté. Finissons pas la cerise sur le gateau: Setsuko Hara (Taeko Nasu/ Nastassia Filippovna) est de une très belle, sombre à souhait, donc ressemblante en tous point à l'héroïne du livre, mais son regard est pénétrant, beau et terrifiant, noir et lumineux, profond et luisant... Son rire et ses postures sont tout à fait ce que je m'imaginais en lisant: alternant entre la folie et la raison, le rire et les larmes, et mêlant souvent les deux. (elle a notamment tourné plusieurs films avec Ozu...)
Enfin, la neige, omniprésente, peu rappeller à juste titre la Russie, même si elle n'est pas présente dans le roman. L'aspect froid, lui, oui...
Encore un point: la colorisation tentée par les éditeurs est minable, heureusement le film n'et fait pas les frais, mais la pochette est tout simplement saccagée par une espèce de pseudo modernisation des images qui en fait, les défigurent !
Voila euh, pour finir, dans un essai d'ouverture, j'oserai dire qu'aprés les guerres de 1905 et 1945 qui ont opposés le Japon et la Russie (deux grands du cinéma: Eisenstein,...), ce film est un rapprochement parfais entre ces deux cultures.
Une ou deux bonne citations: "L'amour abstrait de l'humanité est presque toujours de l'égoisme"
"Mettre à mort un meurtrier est une punition sans commune mesure avec le crime qu'il a commis"