L'empereur et l'assassin, la naissance tragique de la Chine par Chen Kaige.
Lempereur et lassassin (Jing Ke ci Quin wang), Chen Kaige, Chine, 1998.
Fresque Shakesperienne
De Chen Kaige, la dernière impression que javais était Wu Ji. Autrement dit quelque chose de pas très bon, dun peu raté, de trop ambitieux et pas assez original, dune pâle réponse aux assauts de Yimou et Hark sur la citadelle du Wu Xia. Cest donc avec une certaine appréhension que je commençais à regarder ce film, et ce malgré les autres excellents films réalisés par Kaige (Adieu ma concubine, ). Heureusement jallais très vite être rassuré devant cette fresque historique shakesperienne.
Lhistoire se confond avec lHistoire : le film retrace en effet lunification sous la férule dun unique monarque du territoire chinois. Cette période est surnommé celle des « royaumes combattants », car elle voit les anciennes provinces de la dynastie Zhou sentre attaquer, puis être envahies par larmée des Qin, qui parvient à simposer pour une courte période et à débuter la construction de la grande muraille. Le royaume Qin, bien quau départ assez mal placé pour établir sa suprématie sest vite montré supérieur suite à de nombreuses réformes, uvres de législateurs talentueux, alors que les autres saffrontaient et saffaiblissaient. Cest malgré tout ce qui arrivera aussi à lempire Qin, qui succombera au bout dune génération, au profit de lempire Han, qui dura quatre siècles.
Le scénario est donc assez simple : le roi de Qin souhaite unifier la Chine afin de stopper les guerres qui ravagent le pays et la population. Aidé par une amie denfance qui croit en lui, il va imaginer un plan : faire venir un assassin pour tenter déliminer le monarque, puis se servir de ce prétexte pour faire tomber le plus puissant des royaumes adverses, et espérer que les autres suivront comme des dominos, afin déviter tueries et longs combats. Mais le pouvoir, lambition, la cruauté, lamour, les secrets de palais et bien dautres choses vont venir fausser la donne et modifier la configuration du pseudo-attentat.
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On a la tous les éléments nécessaires à une tragédie historique, un grande fresque épique. Je dis fresque, mais quest ce quune fresque ? Un tableau, en général très long qui décrit une quantité de chose (« vaste peinture murale » selon le little bob). Et ça, Chen Kaige semble lavoir bien compris. Son film dure 2h50. Ça cest de la fresque.
Mais revenons à notre film. Signalons tout dabord quil se sert de la même période que Hero de Yimou, sortit 3 ans après lui, et ayant touché un bien plus large public, malgré sa qualité selon moi moindre et son ton plus nationaliste
Bref, les Royaumes Combattants inspirent les réalisateurs chinois. Il faut dire que le premier empereur en est issu. Mais ne nous attardons pas trop sur lhistoire poussiéreuse, puisque Kaige na fait que sen inspirer, et nous reparlerons de lidéologie plus tard. On va commencer avec Shakespeare. Jai osé lier son nom et son génie à ce film, et je ne suis pas le seul. Il suffit de regarder les références du film cité par Imdb : Le château de laraignée, autrement dit le Macbeth version Kurosawa. Si les deux films nutilisent pas du tout le même arrière plan historique et scénaristique, les protagonistes eux, se ressemblent beaucoup. Souverains torturés, idéalistes un temps puis rattrapé par le pouvoir et ses affres, en conflits avec leur mère, avec leurs femmes, trahis, assassinés (ou pas), aux destins tragique. Et si je refusais cet adjectif à la Cité Interdite de Yimou, je laccorde bien volontiers à LEmpereur et lassassin. Gong Li officie dans les deux, avec un talent égal et une grâce jamais démentie. Elle est juste passée avec les ans du rôle de fiancée à celui de mère. Lempereur et lassassin cest un peu limage du yin et du yang. Sans lun, lautre ne peut exister. Lempereur, sil est maître de son royaume est aussi un terrible assassin, tandis que le meurtrier, sil na pas son pareil dans lart de tuer, nest maître que du cur de sa dulcinée, celle la même qui était promise au premier
Le personnage de Gong Li, Dame Zhao, est le pivot du film, le lien entre les deux parties, le moteur de lhistoire. La caméra et le film tournent autour delle et de son visage, qui très vite présente deux faces différentes. Lune est vierge, pure et dune beauté diaphane, lautre est marquée au fer pour tromper les adversaires du roi quelle sert un temps
Et ce dautant que la réalisation nest pas celle surexcitée- de Tsui Hark, mais composée de plan fixes, de longues scènes et de lents mouvements. Doù la durée. Doù latmosphère pesante, ettoufante de la vie de cours qui se dégage du film. Le destin semble avoir suspendu son vol au dessus du ciel des héros, et tenir les ficelles bien en main.
Ainsi, Chen Kaige, via de long mono (et dia-)logues, passent de lHistoire aux scènes de cours, de ménage, à larrière cours de lhistoire, aux complots, aux amours, aux épisodes chassés des annales. Des relations personnelles et intimes à lédification dun empire il ny a quun pas. Un pas qui dure presque 3h, mais qui les vaut amplement.
Par sa mise en scène posée, le réalisateur se démarque de la mode nouvelle, se classant sans hésiter parmi les « classiques », les traditionnels. Plans fixes, mouvement lents, même les combats sont tournés de façon calme, même si ceux-ci sont fulgurants et violent : le décalage entre le montage lent et la rapidité des affrontements les rends encore plus spectaculaires et surtout différents de ce quon peut voir souvent, que ce soit à Hong Kong ou au Japon. Les combats singuliers sont dailleurs bien rares, hormis ceux de lassassin. Les scènes de batailles sont collectives, gigantesques, épiques, à limage de la chine et de limportance des enjeux. Ce sont des sièges, des chevauchés, des bataillons de centaines de milliers dhommes qui saffrontent.
Mais ce nest pas pour autant que la place faite à lindividu est inexistante. Ce nest pas du Chang Cheh, ou lHomme (qui est parfois une femme, ou 14) se sacrifie pour lEtat et lEmpereur, nest rien face au sacré de lempire. Ici, même si cette dimension nest pas absente, et commence en fait à naitre historiquement (à lépoque aucune religion nest officielle ou répandue sur tout le territoire, cest donc lappareil détat qui sert de lien « sacré »), on assiste à laccomplissement de destins individuels, à des caractères et des personnes qui se cotoient et se heurtent. Un roi, une princesse, un roi ennemi, des sujets, une administration, une reine mère, un fidèle serviteur qui tente un coup détat. Moi je dis, on dirait un Roi lear, un MacBeth ou un Henry V. De plus la démarche se veur clairement similaire à celle dun tragédien. Lhistoire nest pas respcté à la lettre, elle sert juste de cadre pour mettre en scène des personnages, archétypiques et tragiques, aux destins exceptionnels, et dont les caractères sont intéressants.
Le roi de Qin par exemple, dont on connaît le passé par les récits quen fait la Dame de Zhao, est un être idéaliste, bon et généreux, mais que le pouvoir semble avoir corrompue, à la limite de la folie, qui plonge la Chine dans un bain de sang et dans des guerres terribles pour lunifier et assurer sa prospérité. Son rêve sest transformé en cauchemar pour les habitants. La dame de Zhao, a elle quitté son royaume natal pour suivre le roi, quelle aime et dont elle partageait lidéal. Elle va jusqu'à se mutiler pour servir son dessein. Mais la folie et la violence quelle lui découvre au cours des guerres la retourne complètement et annihile son amour, qui soriente vers Jing Ke, lassassin repenti, prêt lui aussi à shumilier pour sauver un enfant. A propos de cet homme, une petite anecdote qui offre une poste de lecture : Sous les Han (la dynastie qui renversa celle de Qin), un jeune homme, futur grand général, déjà habile à lépée se fit un jour arrêter dans le rue par un groupe dhommes faisant partie dun gang, qui linsultèrent et le provoquèrent. Mais plutôt que de céder à la violence et corriger les malfrats, fit ce quils lui demandèrent, et passa sous les jambes du chef, endurant lhumiliation. Cette histoire sert toujours dexemple aujourdhui, car lers accomplissement de cette homme par la suite furent grand (il aide le pouvoir à établir la première grande dynastie chinoise). Or la même scène se répète au début du film entre Jing Ke et un tenancier dauberge torturant un jeune mendiant qui la volé. Le parallèle est tentant entre ce grand homme darme qui édifia une dynastie et cet assassin qui failli en renverser une, tout deux très humble
Lhistoire de cet assassin et son lien avec la Dame Zhao raccroche encore une fois les grands évènements à lhistoire personnelle. Cet assassinat a en effet modelé la Chine, car de lui a dépendu lunification des 7 royaumes.
Cela me permet de ricocher sur les motivation (ou pas) idéologique du film. Pour voir nu exemple de ce quon peut tirer dun simple Wu Xia, voir ici à propos dHero. Je ne me livrerais pas à ce genre danalyse car ce nest pas le lieu et que le film ne sy prête pas. On peut simplement évoquer quelques lignes de lecture. J.-P. Dionnet établit le rapprochement dans lintroduction du film entre le Roi de Qin et Mao Tse Tung. Il ne faut en effet
Pas oublier que cinéma et politique, surtout quand le premier touche un tant soit peu à lhistoire, sont très liés en Chine. Un dernier exemple avec Lust, Caution dAng Lee, qui montre par ailleurs une évolution des mentalités et des pratiques, mais passons. La comparaison entre le grand timonier et le premier empereur de Chine est valide et pertinente dans le sens ou les deux ont unifiés des territoires qui jusqu'à présent échappaient effectivement au contrôle de létat central. Les 7 royaumes pour le premier, les provinces externes (Mongolie, Tibet, ) pour le second. Tout deux se sont servis de discours humanistes mais on aussi causé de très nombreuses catastrophes démographiques, sans parler des conflits internes. Et puis lun et lautre ont instaurés une religion dEtat, un culte de la personnalité très poussé. Chen Kaige nous montre donc en fait peut être sa vision de la Chine actuelle et de ses dirigeant, au fond pas si différents des fonctionnaires impériaux dil y a 2200 ans. Mais ce qui lui plait avant tout, avant laspect héroïque et chevaleresque que se plaisait à exacerber Yimou, (quitte à servir une idéologie très nationaliste et proche du régime de Pékin) ce sont les hommes, leurs passion et les vissicitudes de leur vie, leurs déchirements intérieur, leurs choix cornélien, etc
Tragédie moderne plus que film chevaleresque (cest dailleurs pour cela que ce film ne peut pas être considéré comme un Wu Xia, sans oublier le manque de combats), LEmpereur et lAssassin montre la cruauté du pouvoir, le cynisme nécessaire à lédification de grands empires, la solitude des rois (Pascal, quand tu nous tiens !), leurs tiraillrements intérieurs (ce que ne montre presque jamais lhistoire politique et évènementielle, écrite a posteriori), et offre donc au final un film plus humain et réaliste que Hero, qui parle de la même période mais sur un ton bien différent. Ces deux films sont opposés et complémentaires sur le fond et la forme, et encore une fois cest Gong Li qui fait le lien entre les deux (Mariée à Yimou, elle joue dans le Kaige ). On aperçoit aussi le réalisateur en conseiller du roi, qui est lui interprété par lexcellent Li Xuejian (bien pls contrasté et saisissant que Chow Yun Fat dans la Cité Interdite). Chen Kaige avait par ailleurs déjà joué dans une fresque de ce genre sous la direction de Bertolucci (Le dernier empereur, 1987).
Les décors eux aussi sont grandioses, le palais est somptueux, les batailles se déroulent sur de grandes plaines, avec force fumées et charges de chars, et servent parfaitement le film.
Composé de discours, de dialogues et de plan fixes, il se démarque de ses « concurrents » par sa forme et parait moins ancré dans la réalité politique chinoise du moment, même si indirectement il en parle aussi, comme nous lavons vu. Plus calme et posé, plus classique, il renoue avec la tradition du film historique chinois en éliminant presque le coté propagande. Chen Kaige y est à laise et montre létendue de son talent de directeur tout au long des 2h48 que dure le long métrage. Il tentera un passage à la modernité avec Wu Ji, qui utilise encore des vieilles légendes mais avec une forme résolument Kitsch et encore plus surfaite que celle de Yimou. Cela reste pour moi un échec, qui devrait convaincre le réalisateur de rester dans ce quil sait bien faire. Lent, « papoteux », ce film nen est pas moins passionant, avec un casting de très haute volée et un air de tragédie très réussi !
Alors ne boudez pas Kaige comme la critique intello le fait depuis sa palme dor (alors quauparavant le cercle des initiés branchés se plaisait à le citer et à ladmirer), et voyez ce film vraiment bien meilleur que Wu Ji
La fiche Imdb.
Carcharoth.