L'arc, une parabole mystique et musicale.

Publié le par Nostalgic-du-cool

L’Arc, Kim-Ki Duk, 2005. Avec Yeo-reum Han (jeune fille), Seong-Hwang Jeon (vieil homme) et Si-Jeok Seo (l'étudiant).

 

TFM Distribution

 

 

L’arc, the bow ou encore Hwal en VO, est le film le plus hermétique que j’ai vu de Kim Ki-Duk (KKD dans la suite de l’article), le plus étrange, le plus mutique, mystique, et on pourrait continuer la liste des adjectifs de cet ordre pendant quelques lignes ! Il n’en constitue pas néanmoins une étape importante dans la filmographie du réalisateur. 12ème film de ce dernier, il constitue la transition violente entre la période muette de Locataires / Printemps, été, (…), et printemps et celle que l’on peut commencer à discerner au travers de Time et de Breath, qui apparemment est relativement « parlant ». En ayant été jusqu’au-boutiste dans son « obsession » mutique, il semble s’être lassé, ou avoir dépassé cette période et ce style, pour revenir à quelque chose de plus « classique » tout en écartant la violence de ses premiers films. Troisième période donc ? Peut être, mais après tout qu’importe les classifications avec KKD, ses œuvres sont toutes assez différentes, même si on peut les regrouper en sélectionnant quelques critères, les différencier avec d’autres, et ne voir qu’un ensemble assez homogène en ne voyant que certaines thématiques. Par cette phrase assez alambiquée, j’essayais de montrer la diversité et la richesse des 13 (14 en comptant Breath, qui sort dans un peu plus d’un mois, mais a déjà été présenté à Cannes) films du réalisateur Coréen.

 Ceux qui ont déjà vu quelques films de KKD connaissent son penchant symboliste, sans doute hérité de sa formation de peintre. Et bien ce penchant est ici exprimé à fond. On a rarement vu un film dont l’histoire est aussi ténue, le récit minimaliste et les dialogues… inexistants ! Le titre par exemple, ne nous renseigne pas beaucoup sur l’histoire que je vais brièvement résumer dans les lignes qui suivent :

 

 

 Tout d’abord, ne vous étonnez pas si je n’emploie aucun prénom. On ne connaît pas ceux des personnages. L’une est « la jeune fille », l’autre « le vieil homme », et le troisième « l’étudiant ». Avec ces trois la, et le groupe de pécheur qui vient de temps à autre sur la barque du vieux, vous avez tous les personnages du film. Personnages humains s’entend. Vous avez aussi le triptyque amoureux autour duquel tourne le film. La jeune fille a 16 ans, elle a été recueillie enfant par le vieil homme qui l’a élevé sur sa barque, au large de la cote, loin du monde, depuis la disparition de ses parents. Lui seul fait les aller retour avec le continent, ramenant parfois des pêcheurs qui viennent profiter de la richesse halieutique (on dit merci aux options de géo de ses amis pour cet adjectif qui en jette un max !) du coin ou mouille l’embarcation. Le vieil homme compte les jours. Il barre chaque soir la case correspondante sur son calendrier, en attendant d’arriver au 17ème anniversaire de la jeune fille. On pourrait se dire « Il est impatient de fêter cet événement ! C’est un bon père ». Mais non. Il attend ce jour car c’est l’âge minimum autorisé par la loi coréenne pour se marier. Il souhaite en effet s’unir avec le jeune être qu’il ne semble avoir recueilli qu’à cet effet, la traitant comme une enfant, l’infantilisant un maximum. Remarquez je suis injuste avec lui. Il s’en sert aussi comme médium. Mais pas un médium classique avec boule de cristal, attention ! Il a installé une balançoire le long de la coque où est peint un bouddha.

 

 

 

Pendant que la fille s’y balance nonchalamment, il s’éloigne de quelques mètres à bord de son petit bateau à moteur (qui lui sert pour faire les liaisons avec la terre ferme), bande son arc, et tire en direction de la jeune fille. Puis il rembarque, la jeune fille s’approche de lui, chuchote quelques mots à son oreille, et il énonce une phrase énigmatique à celui qui a demandé « l’oracle » à cette drôle de pythie. Mais ce petit quotidien, ou tout le monde semble heureux (même si le bonheur de la jeune fille semble un peu « idiot » ou candide) est bouleversé le jour on un pêcheur amène son fils à bord, et demande une séance de divination. Le jeune homme, de l’age de la fille, a peur pour elle, s’en éprend, revient pour la voir plusieurs fois, et l’amour semble devenir réciproque, même si la communication est minime entre les deux êtres. Une chose bonne à savoir à propos du vieux. Il est jaloux. Horriblement jaloux. Si on prend son partis on pourrait dire qu’il est protecteur et qu’il tient beaucoup à la jeune fille. Ainsi, chaque fois qu’un des pêcheurs tente d’y toucher, ou de lui parler un peu trop, il voit très vite se ficher près de lui une flèche, décochée avec un dextérité qui coupe toute envie de recommencer à flirter. L’arc d’ailleurs n’a pas que ces deux fonctions de dire l’avenir et de dissuader les prétendants, il sert aussi d’instrument de musique aux deux habitants du bateau, qui en y ajoutant astucieusement un tambour (comme caisse de résonance) en font un de leur seul loisir. Enfin, je me suis un peu écarté de la romance des deux insouciants avec toute cette musique, mais on y revient. Le jour où le vieux s’en rend compte, il se met évidemment dans une colère noire, et menace le jeune pêcheur et son père qui quittent le bateau aussi sec. Mais cela ne décourage pas le jeune, qui part à la recherche des parents de son aimée, qui apparemment ne sont pas mort, et souhaite s’en servir comme d’un appât pour attirer l’objet de son désir sur la terre ferme, la où son prétendant de vieux ne pourra plus rien faire… Ce dernier barre alors les jours du calendrier à raison de 2 par jour, puis 3, puis 10, puis toute un page d’un coup afin d’arriver plus vite à la date tant attendue. Mais entre temps, le jeune homme, tel un prince de conte de fée est venu chercher sa belle et la libérer du dragon pour qu’il vivent heureux et aient de nombreux enfants au cours de leurs longues années de vie. Mais KKD ne réalise pas des romances à l’eau de rose. Alors que le bateau s’en va, le prétendant laissé pour compte s’attache à l’amarre et se laisse étrangler… Ce que ne supporte pas la jeune fille, dont on voit à l’occasion tout l’attachement (l’amour ?) pour le vieil homme. Elle oblige le jeune à faire demi tour et à sauver son rival. Le jour du mariage est alors atteint, et en bonne et reconnaissante fille qu’elle est, la voila devant l’autel, très kitsch, très beau, dans sa robe somptueuse, à dire oui à son vieil homme préféré. Mais une fois la cérémonie finie, elle reprend son histoire avec le « prince charmant » la ou elle en était, c'est-à-dire la fuite. Cependant elle n’oublie pas ses devoirs conjugaux. Le mariage est donc consommé, à distance (un flèche monte dans le ciel, et retombe entre les deux jambes de la jeune fille au moment ou elle jouit), entre un vieux qui est mort, et une fille qui est défloré et a un orgasme sans que rien de physiquement décelable ne se produise. Scène assez impressionnante et troublante pour des esprits cartésiens comme le mien. Voila, le film est finit. Un oiseau vole, le vieil homme est mort, après avoir accomplit sa volonté, il laisse finalement l’oiselette quitter le nid est s’envole pour les cieux…

 

Bon, pour les costauds qui seraient toujours la, quelques explication complémentaires… Alors par quoi commencer ? Le titre peut être, l’arc, et sa symbolique. Ses trois fonctions d’abord, évoquées plus haut : instrument de la divination, instrument de musique, et instrument de défense. Il assure le pain quotidien au « couple » (puisque les séances de balançoire mediumique ne sont pas gratuites), il assure leur loisir (au singulier à dessein) et leur protection. Bon comme c’est du KKD et pas du Miike, je me hasarde à des projections symboliques de la signification de l’arc. Symbole sexuel féminin peut être pour l’arc, masculin pour la flèche ? Bon, pas convaincus ?

 L’arc permet aussi, en projetant un flèche à quelques centimètres de la fille de se projeter dans l’avenir, comme le projectile, d’accélérer un peu sa perception du temps et d’être prescient…

 On peut enfin y voir, dans sa forme même, une parabole, dont les extrémités seraient reliées par une fine cordelette. (Parabole d’ailleurs épisodiquement coupée par un flèche. Il faudrait pouvoir faire un dessin pour que je me fasse comprendre éhéh !) Reste à déterminer ce que sont ces deux extrémités ! L’amour et la jalousie ? Homme et femme ? La jeunesse et le grand âge ? La terre et l’eau ? Le film serait une parabole dont la fille serait la clé pour qu’elle dévoile tout son sens ? L’amour serait la flèche ? L’arc, si on pense à cupidon, serait le symbole de l’amour ? Pourquoi pas après tout, chacun y voit ce qu’il veut, comme dans un conte très ancien, ou serait contenu toute la sagesse du monde. Peut être était ce la l’ambition de KKD (je me trompe sans doute, et il doit me contredire dans un interview qu’il a peut être accordé à propos du film, mais je n’ai rien cherché de tel, pour rester « innocent » face à ce film), réaliser un conte parabolique, dans le style des philosophes taoïstes des siècles passés, que l’on ne comprend peut être pas, mais qui nous enseigne tout de même bien des choses…

 

 

 Concernant les relations entre les personnages et les éléments, j’ai essayé de les représentés schématiquement sur ce dessin, avec les grandes lignes de séparations (noires), les relations amoureuses (en rouge), les relations tout court en noir aussi, et les oppositions / rapprochements en gris (respectivement verticalement / horizontalement). J’espère ainsi vous éviter la lecture de longues phrases verbeuses et pas très « rentables » en thermes (terme bien sur, mais petit jeu de mot au sujet de l’omniprésence de l’eau dans le film) de compréhension.

 Je vais tout de même essayer de faire remarquer, comme je viens de le signaler dans la parenthèse, l’importance de l’eau dans ce film, et plus généralement dans tous ceux de KKD. Il suffit de voir le dernier. Où se passe certaines des scènes les plus émouvantes ? Où sont prise les plus belles photos du couple ? Sur l’eau. Autre film : L’île. Je pense que le titre parle de lui-même. Nouveau film : Printemps, été, automne, hiver et… Printemps. Où est le temple, lieu central du film : au milieu d’un étang. Et la liste de s’arrête pas la. L’eau est donc l’élément central de l’œuvre de cinéaste coréen, très empreint de bouddhisme, et donc attaché au cycle de l’eau, à sa symbolique, à la vie qu’elle représente, etc…

 

 

Dans ce film elle est aussi l’élément qui sépare, qui isole, qui créée le huis clos. Bon et puis l’eau c’est beau, et ça coûte rien. Je n’ai pas le budget sous les yeux, mais KKD n’a pas du casser le cochon pour ce film. Le troisième de l’année tout de même. Samaria et Locataires l’ayant précédé. Deux succès. (Et la tout le monde se dit : « oui et lui alors, succès ? Chef d’œuvre ? Ou alors film à éviter ? Suspense, vous le saurez à la fin) Mais revenons à l’histoire plus simple et parlons un des relations étrange qu’entretien la jeune fille avec les deux hommes de sa vie. Amour paternel pourrait on dire avec le vieux, amour un peu candide, idéalisé avec le jeune. Même si encore un fois ce ne sont que des suppositions, puisque les dialogues sont somatiques. Sans bouche ni corde vocale quoi. Et aucun n’est ventriloque. Quant à ce que ressent le vieux pêcheur pour la fille qu’il a recueillie, on est tenté de croire à la lubricité d’un pervers au début, mais la suite nous prouve l’inverse. Elle constitue un peu son « œuvre » (métaphore de KKD enfantant ses films ? sauf que lui ne met pas 16 ans ! Il aurait plutôt tendance à arracher les pages du calendrier mois par mois ! Bon je m’arrête un temps avec les interprétations fumeuses !), il est prêt à mourir lorsqu’elle l’abandonne avant son mariage, et disparaît de sa vie dès le mariage consommé… Il ne voulait peut être que la primauté ? On n’a en tous cas jamais l’impression durant le film (sauf peut être à l’extrême fin, lorsqu’il consent à la laisser partir) qu’il la considère comme une personne intelligente, l’infantilisant sans cesse : Il la lave lui-même, etc…

 Les relations sont de toutes façon laissées à intentionnellement dans le flou. Les mauvaises langues diront que c’était pour économisé sur le papier et le scènar’, les autres se feront à cette idée et accepteront le film tel quel, recourant peut être à ce que j’ai dit sur les contes pour se convaincre… (Et étaler leur culture, la vanité est pour moitié dans ce qu’on dit)

 

 

Pour conclure, on retrouve dans ce film les thèmes de prédilections du réalisateur que sont l’amour, la jalousie, la solitude et l’exclusion. Réunis ici dans un univers très spécial, calme au possible. Le film est d’ailleurs fortement déconseillé aux personnes ne supportant pas la contemplation ou l’inaction au sens hollywoodien du terme. Car de l’action il y en a, mais pas à la façon Terminator. Sûrement pas le meilleur de KKD, bien trop mystique et hermétique, il n’en reste pas moins regardable, d’abord pour pouvoir se la ramener dans les dîners mondains, et ensuite pour mieux comprendre l’évolution du réalisateur, ou tout simplement pour occuper le temps, se calmer, se plonger (le terme est parfait pour décrire l’impression produite) dans l’univers du Kim KI-Duk. L’Arc est lent, l’arc est le plus souvent immobile, oui, mais il peut réussir à faire vibrer en vous certaines cordes profondément enfouies, longtemps après. Sinon, passez votre chemin, vous y resterez insensible et risquez de vous ennuyez. Jetez vous sur les premiers ou les derniers films du réalisateurs, ils sont bien plus accessible, mais aussi plus crus (pour les premiers, Time est assez policé, quoique…). Si la flèche de KKD vous trouve, vous n’êtes pas prêt de vous en libérer. Car d’un harpon il vaudrait mieux parler.

 

PS : quel lyrisme ! Ça va en faire rire plus d’un ! Ah ah, à commencer par moi !

 

 

Oups. Je me suis lyriquement envolé, mais j’ai oublié quelque chose d’important. J’ai dit que le film était muet, mutique, etc… Ce n’est pas réellement le cas. Leur moyen de communication, leur medium pour rester dans le ton, est la musique. C’est comme cela que le jeune homme aborde la fille, grâce à son baladeur et à la musique qu’il écoute. Ou en lui faisant écouter le bruit de son sang dans une conque géante (et oui les enfants, ce n’est pas le bruit de la mer !). En contrepartie elle joue de l’arc (la musique est celle que j’ai mis en haut de l’article. La BO a été composée avec une sorte de contrebasse ou de violoncelle je crois…). De la même manière son futur époux lui déclare tous les jours son amour grâce à cet instrument, par lequel ils semblent échanger leurs pensées et leurs émotions. Enfin voila, la musique, le seul langage vraiment universel, est aussi le seul à être utilisé dans ce film, ou presque. Avis aux mélomanes…

 

 

Carcharoth

 

Voila, maintenant regardez la note: 3. Et oui, car KKD n'a pas fait trembler la petite corde au fond de moi, même si ce n'était pas loin. Il n'a pas réussi l'ambition que je lui ait prétée c'est à dire atteindre la sagesse d'un conte populaire sans age. Son cinéma a pêché par présomption, par manque de maturité. Dommage, mais je ne lui en tient pas trop rigueur, a posteriori, puisqu'e j'ai adoré Time.



Publié dans Corée

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article