Kaojikara, un court qui en dit long...
Kaojikara, 2007, Eric Dinkian, France.
« Kaojikara est un terme japonais qui désigne une personne au visage si particulier quil provoque une forte sensation physique à celui qui le contemple. »
Extrait de la BA
Nous avons limmense honneur de vous présenter ici, sur asiaphilie, un article sur un court métrage français, tourné en japonais et que vous pouvez retrouver depuis Mai (2008) sur le DVD de Nightmare Detective, la dernière sortie française du génial Shinya Tsukamoto. Cet article fait suite à un mail reçu où lauteur nous présentait son uvre, aboutissement dun très long travail, et, se présentant comme un lecteur de notre blog nous proposait de découvrir son film. Cest donc avec empressement que je suis allé vers le site du film, où sont présent non seulement le court, mais aussi de nombreux bonus et interview qui aident à bien saisir lampleur du projet et à mieux connaître les protagonistes.
Tout de suite, on comprend pourquoi la maison dédition du DVD (CTV) a placé le film en bonus de celui de Tsukamoto. Outre le fait quil soit tourné exclusivement en japonais, on y retrouve les même techiques du travail de limage et les mêmes thèmes, le même style un peu effréné, très underground et indépendant.
Avant daller plus avant je vais comme à mon habitude essayer de résumer brièvement lhistoire, sans pour une fois tout dévoiler :
Une jeune femme, japonaise (les personnages nont pas de prénoms) vit en France avec son copain. Un matin, elle se réveille et se rend compte que ce dernier a perdu son visage, et est devenu agressif. Elle lui échappe, et se met à courrir dans la rue. Mais tous les passants quelle croise ont subit la même transformation. Terrorsiée, elle fuit à travers la ville
Kaojikara sinscrit dès le départ dans le registre du fantastique (le terme fantasmagorique est même utilisé par la décoratrice pour qualifier se scréations), du paranormal et de létrange. La chambre dans laquelle se réveille lhéroïne est sombre, les tons rapellent ceux de LOrphelinat, les murs sont drappés de pourpres, de longues robes pendent, un mannequin étêté sert de lampe et une étrange petite poupée semble lorgner la scène du coin du lit. Puis vient le premier choc, lagression de la jeune femme par son ami, au visage indéterminé. Les effets spéciaux employés pour loccasion sapparentent à ceux utilisés par Tsukamoto dans Tetsuo par exemple, à savoir la retouche image par image. Chaque visage à ainsi était zébré, flouté, distordu, rendu inidentifiable, anonyme.
Cette étrange maladie semble sêtre propagée à toute la population, et seule la jeune femme, étrangère, a gardé ses trais normaux. Déjà prévenue par sa mère lors de son départ du pays du soleil levant, cette dernière se retrouve ainsi encore plus différente au milieu de lanonymat général et de la ressemblance des autres. Ces autres, ces « dissemblables » deviennent très vite un enfer pour elle. Erant seule dans la rue, elle est prise en chasse par un homme qui tente de lui transmettre létrange phénomène
Le fantastique apparaît aussi dans lalternance de la couleur et du noir et blanc, par une musique oppressante qui remplace de nombreux dialogues. Les personnages sont ainsi bien souvent muets, et seule la jeune femme, par la voie off ou ses rares prises de paroles viennent sonoriser lespace. (Hopla, vous vivez lécriture de larticle en direct, sans retouche ni rien, je viens de lire linterview du réalisateur pour SciFi Universe et il cite justement lOrphelinat, youhouuu). De plus, la sono du film est très particulière comme lexplique les différents membres de léquipe lors dun bonus, elle est totalement artificielle et en aucun cas réaliste puisquil fallait créer une ambiance spéciale, un fond sonore qui agisse autant que limage « pour nous rapprocher petit à petit de lhéroïne » et de son malaise.
Au niveau de limage justement, on a toujours un noir et blanc en extérieur, au grain épais et contrasté, encore une fois à la Tetsuo (un peu plus stylisé et pro tout de même), et de manière plus générale toutes les couleurs sont retravaillées, ce qui explique avec les effets images par images la durée de la post production (2 ans, alors que le tournage à duré 6 jours). Le tout, produit dun travail acharné et titanesque dune équipe de potes (comme on peut le voir dans le bétisier que je recommande au passage) donne un résultat superbe, très aboutit et intelligent.
La réflexion sur laltérité saute en effet aux yeux dès le début, annoncée par la voie off qui explique le contexte psychologique de la jeune femme, en conflit avec sa mère au sujet de son départ à létranger. Puis ce sont tous ses visages, qui la rendent unique et la font se sentir rejetée, mais finalement lamène à se questionner et à découvrir autre chose
Enfin, le film comprend une partie chorégraphiée, puisque le copain de la jeune femme, devenu sans expression ne peut plus communiquer que par son corps, ce qui n'est pas sans donner une touche de plus à l'aspect étrange du film, en ajoutant à sa densité et à sa qualité d'ensemble.
Bref Kaojikara est un court métrage très prometteur, très soigné dans sa forme et plus quintéressant sur le fond, influencé par les cinémas asiatiques et fantastiques et qui me fait dire que les meilleurs réalisateurs en France sont peut être à chercher du coté des festivals de courts, puisque nous avions déjà parlé de lexcellent Rage de Nicolas Bruneaux, et maintenant de celui-ci, vraiment plus libre, plus expérimental et osé (ce en quoi il se rattache encore au ciné japonais, en ébullition permanente avec des trublions comme Miike, Tsukamoto et Wakamatsu) que les longs métrages quon nous propose dans les salles obscures de lhexagone. Cest donc avec un grand plaisir que je vous redirige vers le site du film, ou vous pourrez juger vous-même du travail accompli par léquipe bénévole et passionée de cette uvre à budget zéro.
Pour voir le film, cest par ici.
Linterview du réalisateur chez SciFi Universe (SFU)
Les films de Tsukamoto et Miike sur le blog : Tetsuo et Tetsuo II, Tokyo Fist, Bullet Ballet, Gemini, Denchu Kozo, DOA I, II et III, Ichi the killer, Triad society trilogy (I, II, III), Bird people in china, Gozu.
Carcharoth.