Jours d'hiver, un poème collectif mis en image.

Publié le par Nostalgic-du-cool

Jours d’Hiver, 2003, Kihachiro Kawamoto, Projet international (Japon, Chine, Russie, Canada, Tchéquie, Belgique).




 

Film de saison, sans doute distribué à cette date pour cette raison puisque sortit en 2003, soit il y a près de 4 ans, Jours d’Hiver est un film rafraîchissant. Il est né de la volonté de deux hommes, Alexander Petrov et Kihachiro Kawamoto, tout deux spécialistes de l’animation. Le premier, auteur russe souhaitait depuis longtemps adapter au cinéma un renku de Bâsho (L’idée était aussi bien sur présente dans l’esprit de l’auteur japonais !). Mais la forme assez spéciale de ce récit le gênait (nous verrons pourquoi lorsque nous expliquerons ce qu’est un Renku). Aussi l’idée germa-t-elle dans l’esprit de son comparse japonais de confier la réalisation à de nombreux animateurs différents, ayant chacun leur style et leur vision personnels.

 Mais avant de s’enfoncer dans les méandres d’une description fastidieuse, expliquons le Renku. Depuis que Lalanne s’y est mis, tout le monde ou presque sait ce qu’est le Haiku, ces courts poèmes (17 mores, équivalent (pas du tout en fait, mais il faut bien trouver une comparaison) à nos syllabes) très symboliques. Et bien le Renku est une sorte de jeu, de joute au sens ancien (Grèce ancienne, voir agôn) entre poètes. Le premier, le maître, compose un haïku. Le deuxième doit reprendre la dernière « phrase » et en créer deux autres, idem pour le troisième, etc…  Dans la quasi-totalité des articles de presse sur ce film, on pouvait voir une comparaison avec le jeu du cadavre exquis. A cette différence près, que contrairement au jeu européen, le poème japonais doit à la fin donner une histoire, suivre un certain fil, avoir du sens, et non pas ressembler à un poème surréaliste manqué ou à une suite de phrase absurde. L’impression qui s’en dégage à première vu n’en est pourtant pas très éloignée…




Matsuo Bâsho

 

 Mais revenons au film, ou plutôt au moyen métrage, puisque le film dure moins d’une heure (en salle il est accompagné d’un extrait de documentaire sur le processus créatif autour de ses auteurs). Le renku de Bashô (1644-1694 ; considéré comme le créateur et maître absolu du haïku et par conséquent du renku), dont j’aurais aimé ici reproduire de large extrait s’il n’était introuvable sur le net (ndc, seulement en anglais, peut être une traduction à venir), est composé de 36 strophes de trois vers chacune. Donc, 36 réalisateurs différents. Entre chaque court métrage, la strophe qui vient d’être illustrée, et celle qui arrive.

 Ah ! Avant de parler poésie, un peu de prose : voici les participants au projet :

Yuko Asano

 Mark Baker

 Katsushi Bowda

 Jacques Drouin

 Hal Fukushima

 Taku Furukawa

 Seiichi Hayashi

 Norio Hikone

 Co Hoedeman

 Tatsuya Ishida

 Azuru Isshiki

 Yuichi Ito

 Kihachiro Kawamoto

 Yôichi Kotabe

Yoji Kuri

 Keita Kurosaka

 Masaki Mori

 Noriko Moritomo

 Tatsutoshi Nomura

 Yuriy Norshteyn

 Fumio Oi

. Reiko Okuyama

 Aleksandr Petrov

 Bretislav Pojar

 Wang Bai Rong

 Raoul Servais

 Tatsuo Shimamura

 Shinichi Suzuki

 Isao Takahata

Koji Yamamura

 Reiko Yokosuka

Maya Yoneshô

 Fusako Yusaki

 

Vous remarquerez la présence de Takahata, des studios Ghibli, de Servais (Raoul, pas Jean Claude le dessinateur de BD) et de quelques autres noms connus par les amateurs d’animation. Dans un souci d’éclectisme et de diversité, Kawamoto a confié de nombreux segments à des réalisateurs européens et à deux canadiens. A noter, pas d’américain dans le lot. Un maître des marionnettes, mais pas de dessinateur de comics. On ne s’en plaint pas.

Voici l’introduction du récit qui vous donnera déjà un aperçu du style, avant une hypothétique (et de toutes façon mauvaise) traduction des vers de Bashô.

 

*Les pluies du long voyage ont détruit mon chapeau de

paille et les tempêtes chaque jour ont déchiré mon vêtement.

Pourtant familier de Dame Misère, je me sens plus

que pitoyable. Me souvenant soudain du grand poète qui

parcourut jadis les chemins de cette province où il composa

des vers insensés, je me mis à écrire...*




 

 Le film se compose donc en une succession de saynète très courte, à l’image des haïku. En fait il se décompose en 36 films, puisqu’il n’y pas aucune linéarité entre eux, qu’ils sont séparés par les vers, et que les styles sont radicalement différents. De prime abord, les scènes ne semblent pas liées, surtout si l’on ajoute à ça le temps d’adaptation à la forme très particulière du récit, mais aussi à l’univers de chaque dessinateur. Ce n’est donc en fait (pour ma part, je suis peut être lent, et surtout pas habitué à l’animation) après le film, quand on y réfléchi mieux, quand les lumières se rallument et que film à bien infusé dans le cerveau bouillant, qu’on l’apprécie. Le style artistique diffère beaucoup, mais on retrouve une grande homogénéité dans la narration. Toute la virtuosité de Basho et de ses amis (avec qui il rédigea le poème à l’age de 41 ans) transparaît à l’écran, illustrée par les animateurs, qui donne un nouveau souffle, une nouvelle vie et peut être un sens différent à cette œuvre. Aucune parole dans aucune des saynètes, seulement de la musique, parfois classique, quelques fois modernes, souvent triste mais à l’occasion joyeuse, tout passe par l’image, la réalisation, le symbolisme mais surtout l’ambiance et les évocations du film. Puisque les styles sont très hétéroclites, je ne vais pas vous soumettre à l’épreuve du commentaire linéaire de chacun d’entre eux.


Les marionettes de Bretislav Pojar.


On passe du baroque au gothique, en passant par le symboliste, l’épuré, l’ironique, le carrément cynique, le sobre, de la peinture à l’huile aux images de synthèses en passant par le pastel ou la sculpture sur pâte à modeler, ainsi que la confection d’image en plaque de fer… Modes de créations très différents donc, mais toujours utilisés avec virtuosité. Les amateurs du style vont se régaler, ceux qui connaissent un peu la poésie japonaise aussi, en tous cas ceux qui ne sont pas contre les adaptations, forcément assez libre (puisque la haiku a pour principe d’aller à l’essentiel, à la substance, laissant l’imagination faire le reste, usant parfois d’ellipses…) des œuvres. On sourit souvent, on rie un peu, on réfléchi beaucoup, on imagine des sens, on se rappelle de rêves, d’images, d’émotions, et le film réussit donc à atteindre son but. Seul défaut à mon goût, les intervalles un peu répétitifs ou une voix récite les haïku alors qu’ils sont affichés à l’écran, et ce entre chaque poème…

 Pour en revenir à ma première phrase, ce film est joli, enfantin, neuf, plein d’idée, de créativité, de spontanéité, de poésie et de lyrisme. Sans nous plonger dans de profondes réflexions, il a le don de nous faire léviter, de nous donner l’impression de beaucoup réfléchir sans trop y penser.

A voir, pour tous ceux qui sont de grands enfants.

 

Interview du réalisateur ici

 

  1. Vers fous. Dans les rafales desséchantes un promeneur- Combien proche de [Chikusai] je suis devenu.
  2. Qui est ce ? [Sasanqua] aspergeant au dessus d’un chapeau de pluie.
  3. Faisant, le maître de l’aube primitive construit une brasserie.
  4. Un cheval roux secoue la rosée de sa crinière.
  5. Herbes coréennes, les longues et fines lames sans couleurs
  6. Dans la lumière éparpillée, moissonnant le riz dans les champs.
  7. Ma masure- Où j’offre l’hébergement au héron.
  8. Devant se cacher jusqu’à ce que les cheveux repoussent.
  9. La souffrance de la déception. Elle résiste en pressant ses seins secs
  10. Par un inaltérable temple (Stupa) sanglotant avec le cœur lourd.
  11. Une silhouette dans les premières lueurs de l’aube brille comme un feu.
  12. Une maison vide les occupant sont partis de misère.
  13. Dans un champ de blé la fenêtre Koman ( ?) jetant, cela quitte
  14. Un homme arrache le bateau de la brume. Est il boiteux ?
  15. Au crépuscule regardant de coté la fine lune.
  16. Réservé par un tribunal à une rue de voisin médisants.
  17. Questionnant à la seconde none à propos des cerisiers en fleur du palais impérial.
  18. Papillon dans les mauvaises herbes. Elle pleurait un coup sur le nez.
  19. Un palanquin. Derrière un bambou apparaît légèrement un visage.
  20. Maintenant il est temps ! Relâchant une flèche du ressentiment.
  21. Un pin à la mémoire d’un bandit. Ployé, cassé par le vent.
  22. Pendant un moment qui dura un ruisseau de Sogi (poète japonais. Ruisseau=poème ?).
  23. Otant son chapeau de pluie pour se tremper dans les pluies du Nord.
  24. Séparant des plantes d’hiver fanées un seule endive.
  25. Tessons blancs cassés ou os de quelqu’un ?
  26. Divination avec os de sèche dans un pays barbare.
  27. Je ne peux résoudre le mystère de demain. Un coucou.
  28. Une longue nuit pour consommer une urne d’eau automnale.
  29. Au presbytère de Li-po, le contempleur de lune japonais.
  30. Un joueur de luth mettant un ibiscus dans sa coiffure.
  31. Une offrande pour les traces d’un bœuf mort. Herbes au crépuscule.
  32. Portant sur la tête un panier de saumons.
  33. Mes prières à l’étoile de l’aube pour être enceinte.
  34. Aujourd’hui est arrivé la cérémonie du sourcil pour la plus jeune sœur.
  35. De la baignoire émane un voile de gaze de fleurs de Siga.
  36. Le chemin reflète les ombres de glycine.

 

Hopla. Une traduction plus qu’approximative et très maladroite (trop rapide) des 36 strophes du Renku. A noter qu’à travers les images utilisées pour représenter ces mots, les réalisateurs ont glissés quelques clins d’œil amusant. Le plus gros d’entre eux : Pour le ver 35, Koji Yamamura a plagié le célèbre tableau de Botticelli « la naissance de Vénus » (repris d’ailleurs aussi dans « les aventures du baron de Munchaüsen » de Terry Gilliam.). D’autres images évocatrices dans le dernier court métrage, celui de Kawamoto, qui referme l’œuvre ouverte par son ami Nortsein.

 Voila, j’espère vous avoir donné envie de découvrir ce film atypique, merveilleux, poétique accessible malgré les apparences et qui permet à un large public de découvrir le travail impressionnant d’artistes méconnus mais talentueux.




La naissance de Vénus, Botticelli, 1485

 

Fiche Wiki sur le poème ici. Je serais ravi si des anglophones me proposaient des traductions plus heureuses de certains (ou de la totalité) vers. Ça serait le pied (waf le jeu de mot !).




Encore un petit dossier sur le film, pour les intéressés, par la



Carcharoth



Publié dans Japon

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