The Host : desormais qui osera dire que le film de monstre est ringard? (Bong Joon ho)
Puisque Carcharoth vient d'évoquer l'excellent Memories of Murder de Bong Joon-Ho j'ai décidé de continuer sur sa lancée en abordant le troisième et dernier film de ce réalisateur : The Host. Ce réalisateur qui s'était fait une bonne réputation avec son précedent film n'a pas choisi la facilité pour son nouveau long métrage car il a décidé de s'attaquer à l'épreuve, ô combien périlleuse, de l'adaptation d'un genre archi-convenu à savoir le film de monstre. A l'origine j'avais des craintes concernant cette idée, le traumatisme de l'adaptation américaine de Godzilla par Emmerich en 1998 me hantait toujours, j'ai eu peur un instant de ne plus pouvoir dire pompeusement que Bong Joon-Ho incarnait l'un des réalisateurs asiatiques les plus passionants du moment. ( A ce sujet je vous conseille l'excellente rubrique : comment se faire passer pour un véritable amateur de cinéma sur le blog Cinégras)
Heureusement je me suis rapidement ressaisi au fur et à mesure que la sortie du film approchait, je me suis dit que cela ne pouvait pas être si mauvais car, tout de même c'est un très bon réalisateur, puis le personnage principal est interprété par le génial Song Kang-Ho ( Memories of Murder, JSA, Sympathy for Mister Vengeance) qui est certainement l'un des mes acteurs préférés. Puis mes derniers doutes se sont envolés quand j'ai vu la bande annonce qui d'ailleurs est très bien réalisée et bien pensée ce qui est assez rare, elle m'a fait passer d'un certain sceptiscisme à une impatience enthousiasmée. Enfin je suis allé voir le film dès sa sortie, en V.O bien sûr et la ça a été l'eblouissement, pour moi ce n'était pas un film d'horreur/monstre mais LE film de monstre, la nouvelle référence.
Le film réunit tous les ingrédients pour en faire un chef d'oeuvre : un scénario solide, un casting impeccable, une réalisation excellente, une bonne musique, des effets spéciaux très réussis et une petite touche de génie du réalisateur pour lier tout cela en un grand film. Aussi la grande réussite du film est d'avoir réussi à s'affranchir de son genre pour faire quelque chose de nouveau, il a su en élargir les frontières tout en restant fidèle au style. Ce film est enfin génial car il présente de multiples facettes et offre de nombreuses interprétations. Il mèle habilement horreur, thriller et satire politico-sociale sans jamais alourdir le rythme. Le ton est tantôt triste, tantôt burlesque, tantôt stressant ou oppressant tantôt émouvant, parfois militant mais jamais ennuyeux. Bref ce film à lui seul offre un univers avec son style et ses références, c'est pour moi l'apogée d'un réalisateur de génie, quoi que cela ne m'etonnerait pas qu'il réussisse à aller encore plus haut.
Tout d'abord The Host c'est un monstre, c'est bête (quel jeu de mots!) à dire, mais c'est indispensable car bien souvent c'est à travers la méchanceté, le charisme de son adversaire que le héros se révèle pleinement. Ici c'est un monstre assez surprenant que nous offre le réalisateur. En effet c'est une créature assez difforme, mi-terrestre mi-aquatique, dotée d'une longue queue grâce à laquelle il capture ses victimes qu'il stocke dans son estomac en attendant de pouvoir les déguster tranquillement. La force des concepteurs est d'avoir réussi à faire une créature à la fois vraisemblable et originale qui se démarque de ses congénères par le fait qu'à la différence des Godzilla et King Kong ce n'est pas une créature si imposante que ça, elle ne mesure pas plusieurs mètres par exemple. Le réalisateur a fait appel à la société d'effets spéciaux Orphanage qui a travaillé sur des blockbusters comme Sin City ou Harry Potter et la coupe de feu. Au délà de la réussite technique, la Bête est magnifiée par une mise en scène qui la filme de façon floue préservant ainsi son aspect mystérieux et inquiétant. Sa silhouette est insaisissable car elle apparait soit à travers des mouvements saccadés de la caméra lors des scènes de panique, soit dans l'obscurité des égoûts où elle se terre.
Cependant The Host c'est aussi un grand casting pour faire face à la Bête, seulement ici ce ne sont pas des personnages stéréotypés au courage exemplaire mais de véritables anti-héros. Le père magnifiquement interprété par Song Kang-Ho est carrément un loser, il tient un petit snack avec son père. C'est un esprit simple dont les principales préoccupations sont dormir et faire plaisir à sa fille qu'il adore, il est méprisé par son frère et sa soeur qui le considère comme un raté et un assisté (en effet la majeure partie du travail est effectuée par le grand-père!). Sa soeur est interpretée par Bae Doona (Sympathy for Mister Vengeance) c'est une personnage original, en effet elle est une championne de tir à l'arc, c'est une personne douce et appliquée mais elle est d'une lenteur exaspérante ce qui fait que sa famille la surnomme "la Tortue". Le frère, joué par Park Hae-Il (Jealousy is my middle name, Memories of Murder) est le seul de la famille à avoir fait des études, pour autant il ne trouve pas de travail, c'est un personnage entier et colérique (l'inverse de sa soeur). Le grand-père (Byeon Hie-Bong) est l'élement modérateur de la famille, c'est le sage qui assure la cohésion de cette famille avec sa petite fille, une collégienne (Ko Ah-Sung) qui est adorée par tous les membres de la famille. Ce sont ces deux derniers qui maintiennent l'équilibre de cette étrange famille, alors quand l'enfant va être enlevé c'est tout le groupe qui va être ébranlé et qui va décider de tout faire pour la sauver. L'interprétation des acteurs est excellente, ils jouent avec justesse leur personnage, lui donnant toute sa dimension, revelant qu'il ne sont pas aussi lisses qu'en apparence. La palette d'émotions qu'ils réussissent à jouer est impressionante, allant du rire aux larmes, ils dévoilent toute la sensibilité, l'humanité de leurs personnages.
Comme je l'ai vaguement évoqué en décrivant la famille, la trame principale est relativement simple. Le film s'ouvre par une scène où l'on voit des scientifiques américains verser dans l'immense fleuve Han qui traverse Séoul des produits toxiques, par la suite on comprend que cette pollution a donné naissance à la Bête. Cette ouverture annonce le message écologique qui va être distillé à travers tout le film. Des années plus tard cette bête tapie dans l'eau fait surface et se lance dans une sanglante chasse à l'homme où elle capture, sous les yeux impuissants du père, la jeune fille. La famille est anéantie, d'autant plus que le père dans sa fuite saisit la main d'une personne qu'il pense être sa fille mais quelque mètre plus loin il s'apercoit de son erreur tandis que sa fille est happée par la queue du monstre. A ce moment l'équilibre de la famille est sur le point d'être brisé et cela donne une scène toute particulière à la fois triste et burlesque où les membres de la famille pleurent la perte de l'enfant tout en invectivant copieusement ce pauvre père et tout cela au milieu du capharnaüm d'un camp de rescapés rempli d'agents d'etat en combinaison de protection et de journalistes (voir photo ci dessus). La famille est alors placée sous surveillance constante, en isolement pour avoir était en contact avec la bête (surtout le père) et c'est dans ce lieu improbable que le groupe va se ressouder echaffaudant un plan pour s'évader et aller sauver le membre manquant de leur famille. L'element déclencheur est un bref coup de fil de la jeune fille assurant qu'elle est en vie, coincée dans les égoûts : en effet le monstre a pour habitude de regurgiter ses victimes vivantes pour les manger plus tard. Il s'ensuit une chasse au monstre mémorable ménée par cette famille atypique qui maladroitement mais avec détermination tente de trouver une piste menant au repère de la Bête. A travers les epreuves, les personnages vont dévoiler leurs qualités, leur courage mais surtout leurs sentiments en se découvrant les uns les autres.
le scénario est en fait comme les personnages du film plus fin, en effet derrière une apparence lisse se cache une véritable profondeur, une densité insoupçonnée. Certes l'histoire semble simple mais en réalité elle est assez complexe car multiple, l'histoire se situe sur plusieurs plans, dans plusieurs lieux qui traitent d'aspects bien différents. Ainsi si c'est dans les égoûts et aux abords du fleuve que l'on assiste aux scènes d'horreur, ou de combats entre l'homme et la bête, c'est dans la ville qu'est plutôt developpé l'aspect thriller du film car là, c'est l'Etat qui recherche la famille de fugitifs. Finalement l'histoire se révèle riche, il y a des rebondissements qui sont d'autant plus surprenants que l'on s'attend aux rebondissements classiques de films de monstre, mais là on est déstabilisé. De plus quand on connait le cinéma coréen on sait qu'il n'est pas friand de "happy end" ce qui laisse entier le suspense quant à la fin, qui d'ailleurs est assez ambigüe. D'un côté il y a la bataille brutale contre la Bête qui finalement est le fruit de l'inconscience des hommes et de l'autre il y a le combat plus subtil de quelques individus contre un système, une machine d'état qui veut donner l'illusion qu'elle contrôle une situation qui lui échappe. Bref c'est ce qui fait toute la subtilité et la profondeur de The Host c'est un enrobage d'évidences qui cache un coeur de doutes et de remises en question sur l'environnement, la société.
Enfin The Host est le laboratoire où Bong Joon-Ho s'est livré à diverses expérimentations cinématographiques pour se fabriquer un univers qui lui soit propre. Tout d'abord la manière de filmer est innovante, je n'avais jamais vu un film de monstre montré comme ça, dés le début il ose montrer la créature (alors que d'habitude il faut attendre la moitié du film pour voir enfin la créature), mais en même temps il la filme de telle manière qu'on ne la distingue pas clairement, elle demeure insaisissable soit mouvante, soit dans la pénombre. Puis il fait appel à Lee Byung-Woo qui compose une musique efficace qui évite d'être trop mielleuse ou agressive pour accentuer les effets classiques du genre (musique stressante quand le monstre apparait, puis son sirupeux lors des retrouvailles). Aussi c'est le film des rencontres improbables entre angoisse et burlesque, entre drame et thriller, entre écologie et mutant. Le réalisateur nous plonge dans les différents genres, ainsi on passe du tragique au loufoque sans presque s'en rendre compte. La grande maîtrise technique et stylistique (photo magnifique, mise en scène impeccable...) du réalisateur finit par créer une confusion des genres, des codes assez ennivrante. Les différents sens du titre évoquent bien la multiplicité du film, en effet, selon le réalisateur, la double signification du terme The Host renvoit à différents aspects du film . La première est "organisme vivant qui héberge un parasite" ce titre renvoit plutôt aux notions d'environnement, de biologie ou de mutation. Alors que le second sens du mot est "personne qui offre l'hospitalité" cela renvoit plutôt à l'aspect socio-politique du film. Aussi étrange que cela puisse paraitre Bong Joon-Ho réussit à insérer dans un film de monstre une critique de la société. Il dénonce le manque de respect de l'environnement, l'arrogance des Etats Unis qui s'ingèrent sans scrupule dans la crise, mais aussi il dénonce plusieurs aspects sombres de la société coréenne.
Bref The Host c'est l'audace, l'originalité et la fraicheur d'un réalisateur qui se confronte à un genre moribond et vieillot qui semble avoir été usé. Cela donne du neuf, du beau, du culte!
Nostalgic Du Cool
Pour ceux qui souhaitent se replonger dans l'univers du film je vous conseille le site officiel qui est très bien réalisé.