Eijanaika, et pourquoi pas un chef d'oeuvre ?

Publié le par Nostalgic-du-cool

*Avec Ken Ogata (Furukawa), Shigeru Izumiya (Genji), Masao Kusakari (Itoman), Kaori Momoi (Ine), Shigeru Tsuyuguchi (Kinzo). * Musique de Shinichiro Ikebe*

                                      

Eijanaika (pourquoi pas / Et alors ?) est un film du japonais Shohei Imamura, décédé il y a peu. Sorti en 1981 sur nos écrans ce film retrace une partie de l'histoire du Japon en 1866, à travers une vision populaire. Populaire au sens noble biens sur. Dans cette période de trouble pour le pays (l'amiral Perry a forcé le Japon à ouvrir ses portes aux occidentaux deux décennies plus tôt, et l'influence occidentale est grandissante. Les chefs claniques, les grand commerçants, et ce sont souvent les mêmes veulent renverser le pouvoir et se l'approprier), on suit, à travers le regard de Genji (qui revient justement des USA) les métamorphoses qui ont touchées le pays durant les 6 ans de son absence, et celles qui risquent de le frapper dans les années à venir...

Les amateurs du réalisateur le savent, ceux qui ont lu mon article sur La ballade de Narayama pourraient le deviner. Imamura n'aime pas filmé une société par le haut, à travers ses élites sociales et économiques, il n'aime pas donner la vision du vainqueur, du dominant, mais plutôt celle du pauvre, de la base, du menu peuple dominé ou opprimé. Ainsi, dans Narayama contait il la vie et la mort de cette vieille femme, tenue par une coutume de se laisser mourir au sommet d'une colline. Il s'opposait ainsi à la vision de nombreux films de l'époque qui voyait dans la paysannerie une masse de passifs, voire d'assistés et de profiteurs (Par exemple, et même si ce n'est qu'en partie vrai, dans les sept samouraïs, Kurosawa présentait les paysans comme pas si pauvres qu'ils le laissaient paraître, et pas si dépourvus qu'ils voulaient bien le faire croire, opposant à leur couardise et à leur survie finale le courage mais le dépérissement de la classe des guerriers). Imamura est un peu à la cause du peuple ce qu'à été Mizoguchi à celle des femmes (voir flamme de mon amour), bien que plus moderne. Le film parle de et montre la multitude, la foule, cet objet méprisé à qui il rend ses lettres de noblesse.

La scène d'ouverture et celle de Genji revenant d'Amérique (ou il a passé six ans, en pleine guerre de sécession) et embrassant le sol de son pays, un peu à la manière de Kevin Costner dans Robin Hood. Comme ce dernier, il a une femme en tête. Plus précisément, sa femme. Ine. Il part la chercher dans son village après avoir rempli diverses formalités administratives, et apprend qu'elle est partie pour Tokyo (Edo à l'époque) afin de gagner sa vie. Un épisode nous renseigne un peu plus à ce sujet: Occupé sur son terrain à défricher une zone boisée, il se heurte à des hommes dirigés par le pouvoir local qui l'empêche d'exploiter comme il l'entend son propre lopin. Il se rend alors en ville pour retrouver sa femme et la convaincre de repartir de l'autre coté du Pacifique. Ce n'est donc pas le sable japonais qu'il a embrassé, mais le sable que sa femme a peut être foulé... C'est par amour pour elle, parce qu'il ne pouvait plus se passer d'elle qu'il est revenu dans ce pays qu'il avait juré de ne jamais revoir. Il la découvre dans un stand de danse, en train d'amuser une foule par des jeux plus ou moins érotiques, en tous cas méprisés par la morale. Dans une série de construction en bois qui semblent temporaires mais ne le sont pas, il assiste à de nombreuses scènes de la vie courante, entre les yakuzas et la population, entre les commerçants et les pauvres, entre les yakuzas et les seigneurs. Ces derniers ne sont pas rassurés, car un climat de révolte gronde, et les luttes entre gangs et factions sont en passe de passer de latente à patente...

 

                                                   

 

Et en effet, les "barons" yakuzas embauchent des hommes de mains pour cambrioler, inventent des combines pour arnaquer, etc... Les seigneurs luttent entre eux pour conserver le pouvoir ou l'acquérir lorsqu'il changera de mains, ce qui semble irrémédiable... Mais même les trafics et les complots de ces nobles ou riches commerçant sont vu par l'oeil de la base, des travailleurs.

Le film expose magnifiquement leur vie, leurs joies et leurs plaisirs, comme aller au bar ou au cabaret après une journée de travail pour se saouler ou voir des filles danser. Le tout sans le moindre mépris ou jugement de valeur, mais sans non plus magnifier leur situation ou justifier les exactions auxquelles ils se livrent.

La dernière partie du film, la plus belle et la plus rythmée se déroule pendant une fête, lors de laquelle le peuple, assemblé en une foule immense scande sans discontinuer le mot Eijanaika, en se dirigeant vers le coeur de la ville, tenu par les riches et gardé par l'armée...

Le film alterne ainsi scène de vie, de tensions entre les personnages ou de joie intense, et scènes de foules, de liesses ou de drames populaires. Toujours cette manière si "nature" de filmer (notamment des scènes d'amour qu'il affectionne tant, même si dans ce film il y en a moins que d'habitude).

Entre l'homme qui veut partir en reconquérant sa femme, et cette dernière qui veut bien le suivre mais ne peut se résoudre à quitter son pays, il y a une lutte permanente. Une lutte pacifique et psychique j'entend, entre l'amour au pays et l'amour d'un être. Où entre la fuite d'un pays et la compagnie d'une femme (pour Genji).

 Les femmes justement. J'ai parlé de Mizoguchi en début d'article, pour introduire une comparaison. Mais cette opposition était bien sur en partie inexacte, en effet Imamura montre aussi beaucoup les femmes, et les défends, tout comme Mizoguchi servait la cause d'hommes lorsqu'il plaidoyer pour la cause féministe. L'un n'empêchant pas l'autre... Imamura montre donc bien leur rôle déterminant dans la révolte, dans l'animation de la vie de la ville et dans leur rôle politique (terme pris encore en son sens profond de direction de la cité) auprès des hommes, dans le rôle de Ine auprès de Genji. La femme serait elle l'espoir du Japon en cette période de bouleversement ou l'homme semble perdu ?

 

 

Film assez sobre bien que coloré dans la première partie, la mise en scène devient flamboyante ensuite, comme pour mieux illustrer et soutenir la force de la manifestation populaire, comme pour ajouter des couleurs et du mouvement à la fête, les scènes de foule sont impressionnantes, on les dirait chorégraphiées figurant par figurant. Les scènes brillent, bougent, danses, virevoltent à nos oreilles. Le burlesque remplace le quasi tragique, le drôle cède aux discussions calmes ou à une bousculade... Les sentiments s'enchaînent mais ne se ressemblent pas. Tout comme ceux des protagonistes qui changent perpétuellement d'avis, sont prêts de s'embarquer et finalement participe à la fête, menant la foule devant le quartier interdit par les notables craignant une révolte. (Conclusion, à force d'interdire la ou ce n'en est pas le lieu, on finit par déclencher une révolte !).

 

 

Le film s'inscrit ainsi parfaitement dans la logique du réalisateur peux être un peu difficile à saisir d'emblée pour le spectateur européen, mais qu'on ne peut s'empêcher de ressentir tout au long de l'oeuvre, presque inconsciemment aurais-je envie de dire... D'un impression première de brouillon, on ressent vite une grande jouissance en regardant ce film, malgré sa longueur (150 minutes-2h30) et le rythme un peu lent du début, auquel succède néanmoins plusieurs scènes très rapides ! Enfin bref, monsieur Shohei Imamura maîtrise son sujet, il ne favorise jamais l'Histoire au profit de l'histoire, ne privilégie pas les grands aux insignifiants et mêle habilement film de masses et intrigue personnelle, déchirement intime (intérieur, intra couple) et scission au sein de la nation même.

Il ne faut pas oublier, en effet, que l'histoire se déroule juste avant la révolution Meiji, lors de l'intrusion culturelle occidentale. Période fondatrice pour le Japon s'il en est, et surtout cause de nombreuses controverses et approches: J'ai ainsi vu citer Samouraï, (Déjà décrit dans ce blog), mais on peut aussi mentionner Rebellion, ou Harakiri pour continuer avec Kobayashi. (Ou encore Narayama déjà cité, sur la condition paysanne et rurale, alors que celui ci (Eijanaika) traite bien plus de la vie urbaine). Mais la liste exhaustive serait énorme, tant cette période est appréciée des romanciers et réalisateurs, autant pour son potentiel tragique que pour des motifs politiques (si tant est qu'on puisse séparer les deux... dans une bonne tragédie j'entend !).

 Je me rend compte que j'ai déjà beaucoup écrit, sans pour autant évoquer une seule fois la performance des acteurs. Et que dire d'eux, sinon qu'ils sont très bon (ils doivent l'être, Allociné les connais tous, ce qui est rare !), puisqu'ils arrivent à se faire voir dans un film parlant d'une foule toute entière, qu'ils surnagent, voire marche sur l'eau à l'intérieur de la troupe de figurants et qu'ils arrivent à donner au film toute sa puissance, lui permettent de délivrer son message sans surjouer, sans trop se mettre en avant (ne l'oublions pas, ici les individus sont englobés dans une communauté, et même si elle ne les avale pas, loin de la, ils ne doivent pas la faire oublier en la voilant de leur jeu). très bonne distribution donc, juste, bien dirigé, multiple et complexe et qui s'étale sur plusieurs registre en même temps.

Le film est ainsi très dur à ranger dans une case, à classifier: lié au film historique (Jidai-geki) par son sujet, au film réaliste par son propos et au film d'amour par son histoire, il mélange les trois dans une fresque haletante du Japon d'en bas au crépuscule d'une ère du pays du soleil levant....

 

PS: L'épisode retracé dans le film a réellement eu lieu, entre les étés 1867 et 68. Il s'agissait de grandes fêtes populaire dans les rues, dans lesquelles on dansait et chantait après avoir acheté des amulettes porte bonheur. Des chercheurs y ont vu des "danses extasiés in situ" ou encore "de dangereuses manifestations organisées (comparées en cela à l'Okage mairi) ou encore un "comportement spontanément orgiastique et parfois destructif". La tendance depuis les années 30, alors que l'on y voyait surtout des superstitions sans buts ni sens politique est à l'interprétation de ces phénomènes comme "l'expression d'une opinion populaire" et la formation d'une culture du même nom. Il y aurait en effet beaucoup à dire d'un point de vue anthropologique sur ces manifestations plus ou moins spontanées durant lesquelles la religion se mêlait à une bonne part de croyance plus ou moins profonde pour donner lieu à une extériorisation des tensions et des sentiments, donc bien sûrement des opinions politiques. Mais ici n'est pas le lieu de cette analyse...

 Voici la chanson entonnée à la fin du film, et sa traduction en anglais.

Nishi kara chôchô ga tonde kite,

Butterflies come in from the west,

Kôbe no hama ni kane nuite,

Attracted to money in Kobe’s harbor,

Ei ja nai ka, ei ja nai ka!

Ei ja nai ka, ei ja nai ka!

Isn't that right? Ain't it the truth?


Nipponkoku e wa kami ga furu,


The gods will descend to Japan,

Tôjin yashiki nya ishi ga furu,

While rocks fall on the foreigners in their residencies,

Ee ja nai ka, ee ja nai ka! Ee ja nai ka, ee ja nai ka!

 

Ee ja nai ka, ee ja nai ka! Ee ja nai ka, ee ja nai ka!

 

 


Sari totewa, osoroshii toshi, uchiwasure,

But, then, it was frightfully bad year (1866) and best forgotten.

Kami no okage de odori, e ja nai ka,

Thanks to the kami we shall dance, right? Right, right on.

Nipponkoku no yonaori wa ee ja nai ka,

Remaking the world of Japan is right, too, no? Yes. Go for it!

Hônen odori wa medetai.

Congratulations are due on the good fortune of a bountiful harvest, so let’s dance on it.

 

Carcharoth

Puisque ce blog ne doit pas parler exclusivement de films, je me permet une petite incartade historique pour etayer ce que je disais plus haut quant à la réalité historique de laquelle est tirée le film. Je reproduis ici l'article exact du Dictionnaire historique du Japon, édité par la maison franco-japonaise de Tokyo, qui constitue la source francophone la plus complète en ce qui concerne l'hsitoire de ce pays. Si vous êtes intéressé par cette disicpline, je vous conseille l'excellent dictionnaire historique du japon, réalisé par l'univesité de Cambridge (ou Oxford merde je me rappelle plus, enfin bref des anglais !), en une dizaine de tome de 1000 pages chacun, ou chaque épisode et aspect est traité de façon complète par les plus grands spécialistes.

Voici donc la notice que l'on peut trouver dans ce dico: (J'ai supprimer les caractères japonais)

Eejanaika: On donne le nom d'eejanaika, eejanaika-odori (danss de l'eejanaika) ou yonaoshi-odori (danse de remise en état du monde) aux désordres d'inspiration politique et religieuse qui s'étendirent sur els derniers mois de l'année 1867. Cette vague d'enthousiasme eut pour origine la rumeur selon laquelle des talismans de papier (ofuda) du Kotai-jingu (sanctuaire de l'Ise-jingu) étaient miraculeusement tombés sur la ville de Nagoya. Aussitot des troupes se formèrent regroupants jeunes gens et vieillards des deux sexes qui se mirent à arpenter les rues en dansant de façon délirante, à l'accompagnement de flute, de tambourins et de shamisen, chantant des couplets vulgaires ou obscènes, qu'ils entrecoupaient du refrain ejanaika, forme dialectale de la région de Nagoya signifiant "n'est ce pas une bonne chose ?".

Ce phénomène s'étendit à partir de Kyoto et Osaka vers Nishinomiya, Awaji, Awa, Edo, Yokohama, Kofu, Matsumoto, Aizu, etc., à toutes les régions du Japon. Ceux qui étaient atteint par ce délire collectif se précipitaient vers les habitations-le plus souvent celles de propriétaires fonciers ou de grands commercants-dont on assurait qu'il y avait eu des chutes miraculeuses d'amulettes, de talismans, de statuettes ou images boudhiques, de flèches à empennage blanc, de céréales. Il entraient dans les maisons sans se déchausser, contrairement à l'usage, se faisaient servir du vin, riz et des mets, puis partaient en emportant vétements et aliments aux cris de: "N'est ce pas une bonne chose que de recevoir tout cela ?" ou "Hola, voici la restauration de notre monde, voici une année prospère !".

Malgré les interdictions du shogunat et des différentes seigneuries, le mouvement se développa jusqu'a la fin de l'année. Comme c'était précisement l'époque du renversement du Shogunat,  on a pu y voir des mouvements de réjouissance du peuple devant cette restauration (Yonaoshi). Ce mouvement n'a pas encore été clairement expliqué, mais nous mentionnerons néanmoins les thèses suivantes développées par les historiens.

1/ Le tout ne fut qu'un plkan destiné a cacher les préparatif du mouvement de renversement du Shogunat par les gens de Shinigawa Yajiro.

2/ Ce fut un plan préparé par les loyalistes afin de capter le mécontentement populaire et de l'utiliser au renversement du gouvernement Shogunal.

3/ Il s'agirait d'un mouvement de type des Okage-Mari, sanctuaire enthousiaste et spontané au sanctuaire d'Ise, mouvement qui serait lié aux croyances messianiques en le Boddhisatva Maitreya (Miroku Bosatsu), le bouddha du futur devant descendre sur terre pour sauver le peuple qui souffre.

4/ Il faudrait y voir une sorte de révolte paysanne (Hyakusho Ikki) dans laquelle les frustrations du peuple, ne pouvant s'exprimer de manière politique prire une forme religieuse.

Et voila.... La vision d'Imamura est assez syncrétique, même si j'ai l'impression qu'il penche un peu vers la dernière explication...

 



Publié dans Japon

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