Guerre des Gangs à Okinawa, un Fukasaku inspiré qui inspirera !

Publié le par Nostalgic-du-cool

cycle 
 
 cinema japonais

Bon cycle japonais oblige, il fallait bien que j'évoque Kinji Fukasaku qui figurait parmi les réalisateurs de mes films japonais preferés. Un homme qui va réanimer le Yakuza-Eiga (le film de yakuza) en lui donnant un nouveau style plus dur, noir, amoral, fait de violences stylisées et de mises en scène nerveuses. Guerre Des Gangs à Okinawa réalisé en 1970 vient par sa réalisation moderne, son caractère osé (avec une violence inouïe pour le tout début des années 70) et sa vision pessimiste de la société japonaise post-seconde guerre mondiale, commencer à dynamiter un genre vieillissant plus en adéquation avec la réalité contemporaine. Un pur chef d'oeuvre de film noir à l'humour grinçant, à la morale nihiliste, sur des yakuzas d'un autre temps qui ne trouvent plus leur place dans une société en manque de repères. Un film qui va marquer des générations de cinéastes comme Takeshi Kitano (dont Fukasaku a plus on moins lancé la carrière en le laissant réaliser Violent Cop) l'influence se ressent nettement dans la manière dont Kitano filme la violence de manière très soudaine et brutale comme le maitre, aussi on peut penser à Takashi Miike, qui lui aussi esthétise la violence avec un cinéma fortement marqué par la présence de yakuzas. Ou encore plus lointain on a Quentin Tarantino qui s'est plusieurs fois inspiré du réalisateur, par exemple dans Kill Bill 1 on peut voir pas mal de clins d'oeil aux films noirs japonais des années 70, où aussi le personnage de Hattori Hanzo habite si je ne m'abuse à Okinawa.



Un cinéma violent mais critique, qui s'attache toujours à faire un portrait sans concession du Japon d'après guerre. Guerre Des Gangs à Okinawa filme la vie d'hommes qui ne se reconnaissent plus dans la société moderne et dans ses nouvelles valeurs. C'est au travers du prisme étrange des malfrats que le réalisateur s'attache à nous montrer sa société car mine de rien leur business se calque sur la vie économique. Finalement qui mieux que la mafia doit voir venir les évolutions de la société? Avec habileté Fukasaku s'amuse à détourner les codes du genre (comme l'image du yakuza fier et valeureux, incarné ici par l'impassible héros portant jour et nuit lunettes noires) qu'il maitrise si bien, pour nous donner un film amer à l'ironie drôle voire insolente montrant la paradoxale montée en puissance d'un clan que l'on sait quasiment dés le début perdu d'avance. Un film plein d'amertume, avec des yakuzas traditionnels déracinés, de fureur, avec des combats incessants, où l'honneur yakuza cotoie la corruption du monde moderne, où la fierté se défend dans le sang, où Okinawa, île hors du temps, se fait le théâtre d'antihéros tokyoïtes égarés dans un monde qui n'est plus le leur.


Gunji l'impassible chef yakuza avec son eternel paire de lunettes noires.

"De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace" la phrase de Danton décrit bien l'intrigue voire même ce film qui s'amuse à jouer avec les conventions du genre. Comme le film se découpe en 3 parties équilibrées nous allons nous contenter de suivre le découpage du récit pour évoquer les multiples richesses de l'oeuvre tout en essayant de ne pas faire de Spoilers :

1ere partie : Notre histoire Après 10 longues années, Gunji un yakuza à l'ancienne sort de prison, l'univers qu'il a cotoyé a bien changé, les docks qu'il contrôlait jadis avec son clan sont méconnaissables, les règles ne sont plus les mêmes, ce n'est plus le chaos d'après guerre qui règne, desormais c'est l'ère de la corruption et des ententes politiciennes. Gunji a tout perdu, son clan a disparu, sa femme est partie, il s'est fait avoir en beauté comme on dit. En effet tout est la faute d'une puissante famille dirigée par le chef Oba qui a voulu s'implanter sur son territoire. Pour se faire, elle a monté le clan de Gunji contre un autre gang, évidement cela s'est règlé dans le sang, le boss de la famille (je rappelle que les yakuzas s'organisent en "famille") de Gunji a été assassiné. Ce dernier, dans un sursaut d'orgueil, fait seul une descente chez la famille adverse et achève le chef de celle ci s'assurant ainsi une jolie peine de prison. Oba a ainsi fait place nette, se débarassant de deux clans gênants, et a pris le contrôle de la ville. Toutefois Gunji dans son malheur il peut compter sur quelques fidèles de sa bande aux noms très expressifs (le Requin, la Gachette, l'Ancien). Seulement que peuvent faire une poignée d'hommes face au puissant mais detesté Oba? C'est là que Gunji va réaliser son premier tour de force, il va aller voir Oba, malgré le fait qu'ils se detestent cordialement, les yakuzas n'en ont pas moins des conventions. Face à son ennemi et à ses gardes, au lieu d'essayer de se rallier à lui (ce qui serait le plus logique) sans se laisser démonter il va lui demander dédommagements pour la guerre qu'il a déclenchée et devant tant de cran Oba va cèder. Cependant Gunji ne va pas s'arrêter à ce coup d'éclat car il va venir s'interposer pour proteger son ancien ennemi, un lieutenant du clan qui avait assassiné son chef, qui ici venait de tenter d'abattre Oba appliquant la maxime "les ennemis de mon ennemi sont mes amis". L'audace quasi suicidaire de Gunji a été payante mais desormais il est grillé il n'a aucune chance de se faire une place sur le territoire d'Oba il décide alors de s'expatrier avec sa bande vers Okinawa.



2ème partie Notre Arrivée à Okinawa. Ici il est important d'apporter des précisions sur l'archipel d'Okinawa à l'époque. C'est un coin à l'écart (voir la carte) qui a beaucoup souffert de la guerre, accusant par la suite un certain retard. C'est une région qui est donc restée plus longtemps traditionnaliste (même si il a une culture un peu différente, avec une autre langue étant l'une des rares minorités du Japon), c'est pourquoi nos héros s'y envolent, ils espèrent y retrouver certaines de leurs marques. Surtout c'est un lieu qui est resté très longtemps sous tutelle américaine, jusqu'en 1972, donc quand l'action se déroule les américains sont bien présents, ayant largement impregné de leur culture l'île. D'ailleurs nombre de traffics, notamment d'alcool se font avec les militaires américains. Notre bande compte donc bien se faire une place au soleil dans cett île qui leur rappelle bien l'âge d'or de leur clan, certes elle est contrôlée par divers petits gangs et truands mais nos Yakuzas s'ils sont peu nombreux ont de la ressource. Progressivement faisant preuve d'un culot monstre ils vont commencer à s'imposer, bien qu'ils soient à peine 10, qu'il ne possèdent pas beaucoup d'armes : ce sont des durs et ils ont suffisament d'expériences pour gèrer certains des tocards de l'île. Ils entament ainsi une ascension aussi fulgurante qu'invraisemblable et malgré leur petit nombre ils contrôlent certains secteurs. S'appuyant sur la force brute, l'arme classique du yakuza, Gunji use aussi de la menace, il a compris que desormais dans ce monde corrompu le chantage était une arme puissante et ceux qui refusent de faire affaire, il menace de les balancer. Toutefois rapidement les effectifs vont s'amoindrir, seuls contre tous ils vont devoir affronter le clan du terrible Manchot, un yakuza patibulaire et renforgné. Cependant même face à cet homme puissant ils ne se laissent pas démonter et même si la situation est desesperée ils n'abandonnent pas et cette témérité qui frise la folie alliée au grand sens moral dont fait preuve Gunji, vont impressionner le Manchot qui accepte de les tolèrer. Encore une fois le cran inouï de notre héros aura été payant.


au centre le Manchot interpreté par le génial Tomisaburo Wakayama héros de la Saga Baby Cart ( comme vous le voyez le film est en couleur mais j'ignore pourquoi les photos disponibles sont en noir et blanc)

3eme partie Notre Vengeance. A ce point du film il est difficile de ne pas spoiler pour faire bref je dirais que c'est la plus belle partie du film. Déjà visuellement on a droit à plusieurs chocs dont un final, en forme de reglement de compte, magistral. Ensuite au niveau de l'intrigue c'est la partie la plus intense, des 10 de départ ils ne sont plus que 4 mais ils n'ont rien perdu de leur determination. On pressent le dénouement tragique, en effet la bande d'Oba, le grand rival de Gunji s'interesse à l'île et compte bien s'en emparer et en même temps on ne peut s'empêcher d'esperer que cette bande de yakuzas fiers et désinvoltes face au danger puisse trouver un moyen de s'en sortir. C'est le tour de force du film qui atteint ici son apogée, car dés le début on ne voit pas comment ils pourront s'en sortir vu leur nombre et là alors que la situation est plus desesperée que jamais on ne peut s'empêcher de croire en un dénouement favorable. Fukasaku s'amuse à rendre ces personnages attachants alors que, rappelons le, ce sont des truands patentés, loin d'être tendres, ces hommes d'honneur (certes perverti) fiers et dédaigneux devant la mort deviennent en quelque sorte des héros ceux qui ne reculeront jamais, qui feront tout pour laver leur honneur et obtenir vengeance quel qu'en soit le prix. D'ailleurs les derniers plans assez théâtraux sur nos 4 yakuzas dans des postures expressives accentuent bien cet aspect héroïque.

Un très grand film excellemment réalisé, avec une mise en scène renversante, nerveuse et saccadée dans les scènes de violence brute et soudaine, totalement maitrisée dans les scènes plus sérieuses, voire quasi onirique dans les quelques scènes où les yakuzas s'ennuient (ce qui fait fortement penser à Sonatine de Kitano). On a droit à certains moments grandioses tel le combat final; ou lorsque les yakuzas déambulent dans les rues avec leur démarche de caïds. L'ambiance musicale est surprenante mais très bonne avec une atmosphère jazzy très américaine qui colle pourtant parfaitement. Un grand film de Yakuza Eiga entre classicisme avec la figure mythique du yakuza impassible au cran exemplaire et renouvellement avec une violence sourde, un humour caustique et une morale noire ancrant le film dans le réel avec un regard critique sur la société. Enfin le film est servi par des acteurs royaux je n'en citerai que deux mais tous sont excellents. D'abord on a Tomisaburo Wakayama impérial dans son rôle du Manchot, infirme et teigneux, à la fois terrifiant et fier. Ensuite il faut saluer le jeu fascinant de Koji Tsuruta qui incarne Gunji le stéréotype du yakuza courageux et obstiné, il donne toute cette noblesse si particulière qu'ont parfois les caïds.



Une dernière chose, je disais dans le titre que ce film sera une source d'inspiration pour d'autres réalisateurs. C'est particulièrement clair pour deux films. D'abord Reservoir Dogs de Tarantino qui s'inspire de l'univers sombre et assez macho de ces yakuzas, en particulier un plan vers la fin du film de Fukasaku ressemble à s'y méprendre au fabuleux générique de Reservoir Dogs (voyons celui la) où les personnages marchent de front sur la musique de Little Green Bag. En effet on voit Gunji en costard et lunettes noires, le visage fermée, avançant d'une démarche affirmée entourée de ses hommes de main, le tout filmé au ralenti avec la caméra s'arrêtant sur chacun d'eux, sur un fond très jazzy. Bref la ressemblance est troublante tant ces deux scènes sont classes. Ensuite et de manière encore plus évidente Guerre Des Gangs à Okinawa nous fait penser à Sonatine, qui également raconte une histoire de yakuza un peu au bout du rouleau qui va se mettre au vert sur Okinawa. On retrouve bien dans le deux la même démarche un peu autodestructice, les deux semblent mener des combats perdus d'avance en constant défi avec la mort. Puis à un autre moment les yakuzas inactifs s'ennuient au bord de leur piscine exactement comme dans SonatineKitano et ses compères désoeuvrés s'ennuient au bord de la mer.


Y'a pas une petite ressemblance entre Gunji et nos truands américains?

En conclusion vous vous rendez bien compte que si Guerre Des Gangs à Okinawa a inspiré des réalisateurs aussi prestigieux c'est qu'il doit présenter certaines qualités. Ceci je peux vous l'assurer : des qualités ce film en regorge, et surtout, marque des grands, il n'a pas du tout vieilli et demeure plus de trente ans après, un film moderne tant au niveau de la réalisation que de l'intrigue.

Nostalgic Du Cool




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