Ran d'Akira Kurosawa : « L'Horreur...L'Horreur... »

Publié le par Nostalgic-du-cool

 

cycle cinema japonais

A l'occasion du cycle japonais Ichimonji décide de remonter à l'origine de son pseudo s'attaquant à un film de Kurosawa et pas des moindres, avec le grand Ran que Carcharoth avait déjà évoqué mais ou il se focalisait surtout sur la comparaison entre le film et le Roi Lear de Shakespeare.

 

1985, «Ran», («Chaos » en français) sort sur nos écrans. Cinq ans plus tôt, Kurosawa sortait «Kagemusha : L'ombre du guerrier» et reçut la Palme d'or à Cannes. Ces deux films, sortis consécutivement, peuvent se voir comme un diptyque saisissant sur le pouvoir, la guerre, l'homme et le chaos, la destruction, dont l'aboutissement douloureux est ce film-ci, « Ran », sorte de « Apocalypse Now » japonais, dont l'audace et l'ambition emportent le spectateur dans une vague de terreur et d'horreur absolues, le tout baignant dans un pessimisme des plus noir. Jamais Kurosawa n'avait atteint une telle extrémité dans la violence, tant dans les images que dans le propos, et une telle noirceur. De plus, ce film fut un très long et sans doute un très douloureux accouchement qui prit cinq années pendant lesquelles Kurosawa s'est inspiré de la tragédie « Le roi Lear » de William Shakespeare, et pendant lesquelles il a composé plan par plan (!) son histoire à l'aide de tableaux.


 

 Historiquement, « Ran » s'inscrit dans la longue période d'exil de Kurosawa vis-à-vis du Japon depuis l'échec de « Dode'skaden » et sa tentative ratée de suicide. Le film est produit par le producteur français Serge Silberman (alors que « Kagemusha » bénéficia du parrainage de Francis Ford Coppola et George Lucas).

  Il est facile de penser que « Ran » est l'aboutissement suprême et l'expression parfaite de cette période noire, de cette traversée du désert, et le témoignage d'un homme qui a profondément et douloureusement perdu la foi en l'être humain et en l'humanité. L'oeuvre se veut un horrible cri de désespoir, de colère, et une condamnation violente de l'Humanité.


   L'histoire est la suivante : Au XVIème siècle, le vénérable seigneur Hidetora Ichimonji, chef de guerre impérieux las de guerroyer et de gouverner avec force sur son domaine, décide de léguer son royaume et la direction du clan Ichimonji à ses trois fils, Taro, Jiro et Saburo, lors d'une chasse au sanglier faite en présence de deux autres seigneurs, anciens rivaux de Hidetora, venus ici pour marier leur fille à Saburo afin de sceller une alliance. Ichimonji cède la direction du clan et du royaume à son fils ainé Taro, avec sa forteresse principale, et lègue aux deux autres les deux forteresses secondaires et leur ordonne de venir en aide à Taro si celui-ci est un jour en danger. Face à cette décision, Taro et Jiro feignent l'humilité. Mais Saburo, alors à l'écart, accuse ses frères de flatter leur père et de lui mentir, et prédit même la fin du clan Ichimonji si jamais ce partage à lieu...Fou de rage et indigné que son fils cadet puisse prétendre qu'un jour ses fils se retournerons et trahiront leur père, Hidetora banni à tout jamais Saburo, ainsi que son second, Tango. La cérémonie est terminée et Saburo est en exil mais il sera accueilli par l'un des seigneurs qui voulait marier leur fille à Saburo. Mais quelques temps plus tard, la rédiction a bien lieu, et Hidetora est victime d'un complot entre Taro et Jiro, qui désirent éliminer leur père afin d'accéder au pourvoir absolu sur le royaume. Ces derniers assaillent la forteresse où s'est réfugié Hidetora, et massacrent sa suite, ses gardes, et incendient le château. Mais Hidetora parvient à s'échapper et sort de la forteresse, à moitié inconscient et ayant manifestement perdu la raison. Il erre à travers son ancien royaume, en proie à une guerre sans merci entre les deux frères désirant prendre le pouvoir. Parallèlement, Saburo revient avec la ferme intention de sauver et de ramener en sécurité son père dans le royaume voisin...

   A l'image des tragédies shakespeariennes, « Ran » est une histoire très complexe, faites de complots, de trahisons, de mensonges et autres subterfuges...


 En effet, « Ran » se caractérise d'abord par son extrême élaboration, que ce soit le scénario, ou la mise en scène où Kurosawa, contrairement à la grande épuration dont il fera preuve plus tard comme dans « Rhapsodie en Août », multiplie les coups de force visuels, les scènes de violence sèches, les séquences de batailles audacieuses, amples, grandiloquentes, les plans fixes sur des paysages naturels ahurissants et vertigineux comme dans la superbe séquence d'introduction...

 « Ran » se veut une réflexion hallucinée sur l'homme, sa nature, son âme et sur son potentiel destructeur et sa facilité au Mal, sur le chaos absolu qu'il introduit dans le Cosmos, le tout mis en parallèle à la Nature, son harmonie, sa pureté, sa beauté, sa simplicité et sa perfection. Le film se veut aussi une réflexion sur la civilisation, et sur l'Histoire, gigantesque bain de sang, immense massacre collectif sur lequel le monde moderne s'est forgé. « Il n'y a ni dieux, ni Bouddhas dans cette époque avilie où domine la fureur » dira Hidetora Ichimonji, seigneur vénérable mais qui révèle rapidement ses limites, sa bêtise, ses paradoxes...et sa folie. Une fois déchu de son trône, le personnage devient vite inoffensif, puéril, inconscient, insignifiant, car sans son pouvoir, sans son titre, ses terres, ses hommes, il n'est rien. Il n'est plus qu'un vieillard sénile et abruti qui ne fait qu'errer au milieu des ruines et des décombres d'un château qu'il a lui-même anéanti par le passé, pris finalement dans une boucle sans fin dont il ne pourra jamais sortir, prisonnier de son passé et de la vie, puisqu'il ne pourra même pas décider de sa propre mort. Le film souligne donc ici l'ambiguïté de l'homme, un être insignifiant, plein de vacuité, mais dévoré par l'Hybris, par l'ambition et le désir du pouvoir absolu, alors qu'il est tout simplement dépassé par ce qui l'entoure. Kurosawa parle donc ici de l'homme dans son impureté, dans son côté dénaturé, et donc, dans sa pleine perversion. Mais face à ce raisonnement une question peut se poser : c'est celle de la nature humaine. Cette perversion, cette violence, ce Mal font-il finalement partie de l'essence humaine où l'homme est-il le produit de ce qui l'entoure, de ce qu'il a vécu, de ce qu'il subit et de qu'il fait ? On peut entrevoir un élément de réponse dans la dualité existant entre le personnage de dame Kaede, femme de Taro, qui lorsque ce dernier sera assassiné par son frère, rejoindra Jiro afin de pouvoir survivre, et dame Sué, fille adoptive de Hidetora Ichimonji et fille naturelle d'un ancien ennemi d'Hidetora qui massacra ses parents et n'épargna son frère Tsurumaru qu'en lui crevant les yeux...La première est motivée par la vengeance et la soif de pouvoir, puisque comme Sué, elle est la fille d'un chef de guerre massacré par Hidetora, et l'autre par la rédemption, le pardon et la foi qu'elle place en Bouddhas, afin qu'avec son frère ils puissent vivre au-delà de toute haine. Mais lorsque Hidetora verra Sué, il ne lui répondra qu'« Il n'y a ni dieux, ni Bouddhas dans cette époque avilie où domine la fureur ». Tous ces personnages sont donc les témoins et les acteurs d'un monde en pleine autodestruction, qui se consume peu à peu, pris dans un cercle chaotique inextricable qui ne conduira qu'à la fin de l'Humanité, un jour ou l'autre. Le film est la peinture d'un monde sans substance, sans ordre, sans loi, puisque même celle de la nature est enfreint, les enfants se révoltant face à leur créateur, et les familles s'entremêlant dans des relations incestueuses.


  Comme dans toute tragédie, la folie est largement exploité dans « Ran », à travers tous ses personnages, mais aussi à travers le personnages du bouffon du roi (l'un des personnages les plus intéressants du film et l'un des plus beau de l'univers de Kurosawa), qui joue des numéros et parodies. Le fou du roi est en vérité le moins fou de tous et comme il dira « Monde de fou, soyez fou pour être sensé ». Ce dernier sera le témoin de la destruction du royaume, et se révoltera face aux dieux à la fin du film, mais comme le dira Tango « Ne pleure pas ! En ce moment même c'est eux qui sont en train de pleurer ! ». Le mot de la fin reviens donc à Tango, dans une scène d'une noirceur et d'un désespoir totals. Le film s'achève sur le plan de l'aveugle Tsurumaru, au bord d'une falaise, seul, et qui perd son amulette à l'effigie du Bouddhas. La symbolique est puissante : "Ran" proclame l'ultime abandon des hommes par les Dieux...…

 

 

Ichimonji     



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T
Ce matin, j'ai regardé le divin Ran. C'était mon premier Kurosawa et je crois que j'ai commencé par un de ses plus grands sommets. Déjà, la pièce était grandiose (même si j'ai préféré Hamlet) mais vu par Kurosawa, cela donne un somptueux résultat. L'interprétation de Tatsuya Nakadai est époustouflante. Les autres acteur sont tous aussi excellent dans leurs rôles.
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K
Article vraiment très intéressant. Bien que ce film soit "connu" je n'ai jamais eu l'occasion. mais le résumé et l'analyse que tu fais de Ran donne envie de le voir.<br /> <br /> Si je tombe dessus en location ou à la FNAC je me laisserai bien tenté. Merci pour ce très beau et complet article
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