Glory To The Filmmaker ! Kitano plus fou que jamais pour son nouveau bide assumé et reflexif.

Publié le par Nostalgic-du-cool

"Ce crétin proclama qu'il ne ferait jamais plus de films de Gangsters...."

Voila enfin j'ai vu le dernier Kitano tout fébrile car c'était la première fois que je voyais un de ses films sur grand écran. Encore une fois on en prend plein la vue avec ce nouveau délire complètement barré du réalisateur. Si Takeshis' était une réflexion sur Takeshi Kitano lui même et sur son cinéma ce Glory To The Filmmaker est une réflexion sur le cinéma en général. C'est même, selon moi, un peu l'inverse de Takeshis', où Kitano le réalisateur semblait réfléchir essentiellement sur la notoriété de Beat Takeshi, le comique télé adulé au Japon, l'autre facette de l'homme. Ici devant un délire absolu à l'humour absurde, burlesque voire ouvertement débile et ras des pâquerettes j'ai eu la sensation que c'était un peu Beat Takeshi le déconneur qui venait avec sa caméra dresser un portrait hallucinant et halluciné sur les doutes et angoisses d'un réalisateur jadis très sérieux. En tout cas rarement un de ses films aura été aussi drôle, totalement absurde et invraisemblable, je crois qu'il s'est lâché comme jamais et cela donne un film étrange, très particulier qui repose sur l'idée qu'il ne doit plus faire de films de gangster et qu'il doit donc réinventer son style.. Bref il est toujours aussi surprenant, la seule constante étant l'accueil froid et désolé de la critique déplorant un "non film" entre autres joyeusetés du genre. Moi j'ai encore apprécié cet aspect réflexif et surtout la mise en scène de ses doutes, de sa panne d'inspiration, de sa difficulté à aller de l'avant ce qui est je trouve courageux surtout qu'avec l'expérience Takeshis' il savait d'avance comment ce type de films serait accueilli. Pour ma part l'avis est mitigé j'ai apprécié le film, il aura droit aux quatre étoiles consensuelles (attendez, moi, saquer, saké.... Kitano? Jamais !) mais autant si je réaffirme que Takeshis' est un chef d'oeuvre je n'en dirai pas autant de celui ci certes bon film mais pour moi le moins bon d'une incroyable filmographie. En fait après une première partie que j'ai trouvée extrêmement réussie le film sombre un peu, dans la deuxième, trop incompréhensible mais qui est heureusement sauvée par certains passages extrêmement savoureux et surtout par l'incroyable sens de l'autodérision dont fait preuve Takeshi Kitano, pour se conclure dans un très beau final où une réalité brute ressurgit.



Vraiment c'est un film à voir tant l'entreprise de démolition que continue Kitano est fascinante. On a l'impression qu'il éprouve un peu l'angoisse de la page blanche inhérente à tout bon écrivain et certainement réalisateur. Mais lui au lieu de rester prostré dans sa frustration, il la sublime à travers ce film loufoque, hommage complètement à la masse au cinéma. Une démonstration par l'absurde en faveur de son art évoquant ces courants oubliés en parodiant le cinéma d'Ozu (qu'il déplore inaccessible aujourd'hui tant le spectateur lambda le trouverait lent bien que sublime) les indétrônables et éternels thèmes du cinéma avec les comédies amoureuses ou les films d'horreur qu'il s'amuse à soigneusement démonter montrant l'absurdité des grosses ficelles du genre. Enfin il verse aussi dans l'auto-parodie en taillant les films dans la veine de Zatoichi pour leurs exagérations (ce dont il usait pourtant avec l'histoire du masseur aveugle) et leurs invraisemblances. Il exprime une certaine frustration devant l'incompréhension qu'à suscité une bonne partie de sa filmographie, soyons réaliste son seul carton c'est Zatoichi, film très à part car il n'est pas très révélateur de son style, c'est son seul film d'époque, son seul chambara (film de sabre) et finalement son seul succès commercial. Alors ici il décide de se moquer de tout le monde, de lui, à travers une introspection bizarre, mais aussi un peu de son spectateur voire même du cinéma et de ces genres codifiés, mais ce ton railleur dissimule à peine l'hommage énergique et sincère à son art et si le film part dans tous les sens, dans tous les styles il reste 100% ciné !



Deuxième opus de la réflexion cinématographique et introspective de Kitano après Takeshis' ce Glory To The Filmmaker est selon l'expression du réalisateur lui même du cubisme cinématographique en effet le film est une succession de saynètes assez décousues ou métaphores, symbolisme et burlesque règnent. Surtout il explique qu'il est toujours surpris par l'absence dans le monde du cinéma de tournants aussi radicaux comme il y en a eu dans la peinture avec des courants comme le dadaïsme ou justement le cubisme qu'il admire beaucoup. Ici il fait son explorateur aux confins du montage et de la cohérence osant une véritable scission dans son propre film avec deux parties bien distinctes, il explique : "je joue et mélange différents genres de cinéma en un seul film." En effet cela donne un étrange patchwork pas toujours cohérent forcément inégal mais qui propose une démarche assez inédite.  D'ailleurs pour évoquer le film je vais suivre la construction du film et aborder en deux temps les deux parties très différentes qui composent ce film et qui répondent chacune à une même cohérence, certes loufoque, à une même logique qui nous échappe certainement mais les deux ont une certaine indépendance l'une par rapport à l'autre.



Première Partie : Ainsi dans une première partie, on voit déambuler Kitano dans les rues avec son double, une sorte de poupée en plastique lui ressemblant étrangement (voir l'affiche où il la porte sous le bras). A tel point que l'homme l'envoie à sa place passer une visite médicale où elle va être auscultée dans tous les sens à la recherche d'une loufoque maladie. Cette maladie, on ne comprendra que plus tard qu'il s'agit en fait de la panne d'inspiration de Kitano. En effet cette première partie est une sorte de thérapie où le réalisateur en compagnie de son double réfléchit à quel style de films il pourrait s'atteler pour renouer avec le succès. Il va ainsi s'imaginer réalisant différents genres, sauf le film de gangster car il a annoncé aux médias qu'il n'en ferait plus, mais que faire alors? D'abord il pense à un film contemplatif dans la veine de ceux d'Ozu, mais il craint que le spectateur s'ennuie et il ne veut pas d'un nouveau bide. Alors il s'imagine tourner une comédie romantique mais il a peur que cela soit trop mièvre donc il fait de son héros un yakuza tourmenté, seulement à ce moment là il trahit sa promesse. Le problème semble insoluble et c'est avec délectation qu'on assiste à tous ses projets avortés aussitôt nés, c'est avec une belle acuité qu'il s'amuse à démonter les grands poncifs incontournables du cinéma. Surtout cela montre en filigrane les doutes, sous les sourires apparaissent les fissures d'un homme qui se cherche, réfléchit sur lui explore et tombe en se frottant à tous les genres possibles. D'ailleurs dans le film il y a une scène récurrente où plusieurs fois après un projet avorté le réalisateur se débarrasse de cette marionnette, de ce double le jetant à l'eau, cela semble un peu un exorcisme où comme si Kitano cherchait à se débarrasser de certaines parties de lui même pour revenir à l'essence de son cinéma.

 Mais surtout cette partie offre certains sommets d'auto-dérision surtout quand Kitano parodie son Zatoichi mettant en exergue les exagérations et autres absurdités scénaristiques du chambara donnant un véritable moment d'anthologie. Il y a aussi la parodie du film d'horreur avec un méchant portant un masque No (référence implicite à Dolls?) ouvertement ridicule et accentuant les traits avec par exemple l'insistance sur la présence d'une fille en maillot car comme on le sait tout bon film d'horreur offre une scène avec une fille en sous vêtements. Par certains aspects cela peut faire penser un peu au dernier Gondry Soyez Sympa Rembobinez mais ici les films ne sont pas suèdés mais inachevés, toutefois les deux avec 3 bouts de ficelles, en forçant les traits et déformant gentiment et avec auto-dérision les styles, rendent un bel hommage au cinéma. Enfin cette partie c'est l'histoire d'un type qui s'insurge contre une certaine uniformisation du cinéma qui fait qu'on ne retient plus que les succès commerciaux, c'est un peu son cas, Takeshi Kitano a connu son seul gros succès avec Zatoichi son seul film commercial. Finalement il se moque un peu de lui même mais aussi il ose se moquer du sacro saint spectateur venant railler les grosses franchises ciné, mécaniques bien huilées mais somme toute basique  qu'on a tendance à plébisciter. C'est un plaidoyer en faveur d'un cinéma ouvert, libre, ici il s'affranchit de bon nombre de conventions, surtout ce n'est pas un constat amer c'est une déclaration d'amour au cinéma, déclaration certes burlesque mais c'est cela qui je trouve rend cette première partie émouvante.



Deuxième Partie : Jusqu'ici tout allait bien, le film avait une certaine cohérence avec ses petites saynètes parodiques, mais avec la deuxième partie tout va partir en vrille. On était pourtant bien installé dans cette première partie avec son approche parodique et référencée du cinéma mais Kitano décide de nous égarer à nouveau en partant dans un délire encore plus grand, plus fort, mais aussi plus inégal, aux limites de la compréhension. Grosso modo c'est une "histoire" où se croisent plusieurs personnages, d'abord on a une mère et une fille toutes deux totalement déjantées portant des tenues très flashy et qui semblent chercher à se faire de l'argent. Elles rencontrent ainsi un  étrange acteur interprété par Kitano, qui peut s'offrir le luxe d'avoir une doublure lors des scènes difficiles, combats, cascades, etc... (doublure qui n'est qu'un personnage en plastique que vous pouvez voir ci dessus). En fait, dans le film on peut distinguer deux types de marionnettes dans la 1ere partie Kitano porte comme sa marionnette un pull bleu Kitano Office (sa boite de production) mais dans la deuxième il porte comme son double en plastique un costume bleu avec des lunettes. Donc cet acteur étrange bosse pour une étrange association, aux dirigeants aussi loufoques que déjantés, qui doit sauver le monde, rien que ça ! Bref il est inutile d'aller plus loin car les explications seraient superflues il faut le voir pour le croire, c'est un vaste fatras complètement taré, rempli d'incongruités, partant dans tous les sens parodiant tout azimut, assumant un total non sens. Combats de catch dans un restaurant, attaque d'un robot dirigé par un savant fou (voir photo ci dessous), parodie de Matrix avec des effets spéciaux ultra cheap, ou encore moment culte dans un dojo où Kitano se fait passer pour un grand sensei...



Ne cherchez pas à comprendre cette partie mais essayez de profiter de cette succession de délires et gags plus ou moins réussis car ici la logique semble avoir été abolie. Je ne saurais dire ce qu'il a voulu signifier dans cette partie, ici on a l'impression que Kitano nous amène faire une visite de son cerveau, un lieu où l'absurde règne, où la normalité n'existe plus car chaque scène de cette partie a sa part de délire. Les personnages sont tous fous, Kitano est plus cabotin que jamais, s'amusant avec son double qu'il substitue à lui dés qu'une situation l'ennuie. Peut être cette partie montre que l'homme passe un seuil car il ne parodie même plus des genres mais tout ce qui se présente à lui, faisant de la réalité une drôle de farce onirique et parodique. En effet j'ai trouvé que cela se moquait un peu de la culture japonaise, on retrouve un peu l'univers manga avec des personnages très expressifs, aux postures exagérées, dans un monde surréaliste où les gens courent à 100 à l'heure dans un nuage de fumée. Aussi  au vu des costumes cela m'a fait un peu penser au Cosplay cette grande mode au Japon qui consiste à s'habiller comme des personnages de manga ou de jeux vidéos, ce qui donne souvent des costumes assez loufoques. On ne replongera dans la réalité qu'avec la dernière scène qui vient trancher sur le ton du film, plus noir mais aussi sincère elle apporte une touche d'émotion surprenante rappelant le véritable problème, le véritable trouble de ce réalisateur qui se cherche encore.


à gauche personnages de Glory To The Filmmaker   à droite véritables amateurs de cosplay, il y a une certaine ressemblance je trouve...

Voila comme dans Takeshis' il y a les acteurs fétiches de Takeshi Kitano qui viennent faire une petite apparition, comme dans Takeshis' le montage du film est assez hallucinant, comme dans Takeshis' le réalisateur poursuit son introspection sur le cinéma. Le résultat est un film fou, original dont on ne comprendra pas tout, si ce n'est la détermination de cet homme qui continue cette entreprise de démolition de son œuvre pour mieux se reconstruire au travers d'une étrange thérapie par le rire. Mais derrière l'absurde, l'humour ouvertement débile et régressif, derrière le bel hommage à son art, on voit apparaitre un homme qui doute et c'est peut être la chose principale à retenir de ce film qui annonce encore des changements, des tournants et autres rebondissements chez ce réalisateur qui s'affirme de plus en plus comme le plus atypique dans le paysage cinématographique actuel.

 Kitano dans un monde du cinéma de plus en plus policé et exigeant ose le bide, il ose s'attirer les foudres de la critique et de ses anciens fans, il ose l'humour débile, le non sens le résultat n'est pas parfait je pourrais trouver des défauts à ce Glory To The Filmmaker parfois lent, parfois inégal, parfois lourd, parfois trop brouillon. Bref on pourrait longuement discuter sur les imperfections de ce film, certainement ce n'est pas son nouveau chef d'oeuvre, peut être Kitano ose trop mais il ose et c'est déjà pas mal... De toute façon soyez en sûr il est loin d'être fini car le cinéma a trop besoin de gens comme lui. To be Continued et....
                       GLORY TO THE FILMMAKER !!

Nostalgic du Cool

(Pour avoir un autre avis je vous conseille vivement d'aller lire ici la critique de Ballbreaker)


Publié dans Japon

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