La Forêt De Mogari, comment se perdre pour mieux se retrouver.
Comme vous le savez maintenant Asiaphilie essaie de traiter de tout le cinéma asiatique y compris de son actualité, c'est pourquoi plus de deux mois après sa sortie je m'atèle à la critique de La Forêt de Mogari diffusée en salle courant novembre. Le nouveau film de l'étrange réalisatrice Naomi Kawaze a été presenté au 60eme Festival de Cannes où il a obtenu le "Grand Prix". Ce n'était pourtant pas une première pour cette réalisatrice indépendante au style expérimental et intimiste qui est extrêmement populaire dans les Festivals. Son précédent film Shara, étrange réflexion sur la disparition d'un être cher, était déjà en lice lors de l'édition 2003 du festival de Cannes. Son nouveau long métrage s'inscrit dans une certaine continuité, la réalisatrice aborde encore le thème douloureux de la perte d'un proche, avec une approche toujours aussi sensible, très emphatique, collant aux personnages, un style à part qui en a fait la chouchoute des festivals mais qui peut rendre ces films difficile d'accès.

Née en 1969 à Nara au Japon, Naomi Kawaze est confiée par ses parents, dés la naissance à sa grand mère qui l'élevera. Après avoir étudié la photographie, elle passera derrière la caméra, réalisant aussi bien des documentaires que des fictions. Le trait particulier de son cinéma est qu'il est très souvent autobiographique, ses intrigues se déroulent souvent dans sa ville natale et ses thèmes de prédilection à savoir la filiation et la perte d'une personne proche renvoient assez clairement à ce qu'elle a du vivre durant son enfance. C'est donc une réalisatrice de paradoxe qui mêle l'approche objective du documentaire au style intimiste, subjectif et sensible de l'autobiographie. Il en résulte un cinéma assez indéfinissable au style lent, contemplatif avec une caméra peu mobile, usant beaucoup de gros plans pour mieux coller à l'intimité des personnages pour exacerber leurs sentiments. L'intrigue est secondaire, le principal est de montrer ce que ressentent, vivent les personnages c'est un cinéma très sensoriel.


La Forêt de Mogari s'inscrit bien dans cette logique, encore une fois la réalisatrice s'inspire de son expérience personnelle pour aborder les thèmes majeurs que sont la solitude, le manque, la vieillesse et ses maladies, le deuil. L'histoire est simple, Machiko est une jeune aide soignante qui débute un nouveau travail dans une paisible maison de retraite perdue au coeur de la campagne nippone. Rapidement elle s'attache à Shigeki un vieillard malicieux et plein de vitalité qui commence à présenter des symptomes de démence. S'instaure alors une étrange relation entre les deux, tantôt complice et pleine de vitalité, tantôt mélancolique et tendue, cela dépend
de l'humeur du vieillard qui commence à ne plus avoir toute sa tête. La réalisatrice s'inspire pour décrire cette relation, entre serenité et folie, de sa relation avec sa grand mère qui a été atteinte de démence sénile. Mais assez rapidement on sent qu'un lien plus profond, plus secret, les unit : tous deux partagent une blessure, ils ont perdu un être cher et n'arrivent toujours pas à faire leur deuil. Cette douleur sourde, invisible que les deux personnages ressentent crée un fort lien d'empathie entre eux. Ainsi lorsque Shigeki dont la femme est morte depuis bientôt 33 ans décide en secret d'entamer un pélerinage pour terminer son deuil, il décide naturellement de partir avec Machiko. Cette dernière pense seulement qu'ils vont simplement se ballader mais lorsque la voiture tombe en panne et que le vieil homme s'enfuit pour s'enfoncer dans l'épaisse forêt environnante, Machiko forcée de le suivre, comprend qu'elle ne va pas faire une paisible randonnée mais un voyage initiatique au coeur de la protectrice Forêt de Mogari.


Le terme japonais Mogari designe la période consacrée au deuil ou encore le lieu du deuil, etymologiquement le terme signifierait la fin du deuil. La forêt dans laquelle se sont enfoncés les personnages rassemble tout cela à la fois. Tout d'abord c'est un lieu de deuil, en effet c'est en son sein qu'a été enterrée la femme de Shigeki. Cette nature va ensuite devenir le moyen du deuil de Shigeki et à travers lui celui de Machiko qui va accompagner, soutenir ce dernier dans son étrange pélerinage. Peut être est ce du fait de la présence d'une autre personne en souffrance, peut être est ce le sublime cadre qu'offre cette forêt épaisse et enveloppante, toujours est il que c'est ici que Machiko va trouver enfin le soulagement. Enfin elle symbolise la fin du deuil, comme nous l'avons dit, cela fait 33 ans que l'épouse du vieil homme est morte. Pour les bouddhistes japonais c'est l'année ou le défunt quitte le monde des vivants pour rejoindre le Royaume de Bouddha. C'est donc la dernière fois que Shigeki pourra communier avec sa femme, au delà du simple recueillement, il vient pour lui dire un ultime au revoir, un dernier merci. Machiko n'est donc qu'un simple témoin mais du fait du lien de douleur qui unit les deux, l'apaisement de l'un redonne espoir à l'autre. La Forêt de Mogari est donc un voyage spirituel, une fable symboliste et poétique sur la Mort et le deuil, deux thèmes tabous dans nos sociétés qui sont ici traités avec pudeur mais aussi avec fantaisie et originalité.
Le film est une ode à la Nature qui se mêle étrangement avec un requiem sur la mort , les pulsions de vie incarnées par cette forêt légère et apaisante se heurtent aux pulsions de mort, à la pesanteur du deuil. Il en résulte un film réflexif, contemplatif parfois un peu abstrait qui par la force des images, des silences plus que par celle des mots réussit à décrire avec pudeur la douleur du deuil et la capacité de dépassement , de soulagement de l'Homme sublimé par cette Forêt mystique, magnifique et sécurisante (qui n'est pas sans rappeller la Forêt pleine d'esprits de Princesse Mononoké) qui permet au personnage de se retrouver, de se révèler. La force du film est de faire de cette Forêt un véritable personnage, invisible, presque divin mais bienveillant, sécurisant qui participe au deuil et transcende ces personnages en perdition, égarés au sens propre comme au figuré pour les ramener vers la vie, vers l'espoir en exacerbant les sensibilités. La réalisatrice explique : "Je crois que l'invisible est aussi important que le visible" en effet le film traite de l'invisible, de l'impalpable, de la Mort de la force mystérieuse de la Nature, il joue sur les non dits, les tabous, avec la période du deuil, l'incapacité à mettre des mots sur ce que l'on ressent, d'où le recours à la caméra pour symboliser l'osmose indéfinissable entre les êtres et la Nature. Un journaliste reprenant les célèbres vers de Rimbaud résume très bien le film affirmant : " Nature berce les chaudement.... ils ont gagné le droit de vivre" ils n'ont plus froid comme dans le poème Le Dormeur du Val car cette Nature innocente, universelle est ici salvatrice, régénératrice.

Bref on pourrait dire que La Forêt de Mogari n'est qu'un énième film d'auteur filmé à la manière du documentaire pour se donner un genre mais c'était son compter la sensibilité de la réalisatrice. Un peu à la manière d'un Ozu (en moins immense tout de même) cette dernière prend le temps de poser sa caméra d'observer ses personnages, de ressentir ce qu'ils vivent par le biais de très gros plans. Mais aussi elle sait laisser la caméra s'envoler, se laisser emporter par la beauté de cette forêt, filmant avec une legereté, contrastant avec la lourdeur des thèmes, la splendeur simple de la nature (en particulier avec la scène du cache cache dans les champs, explosion de verdure, enchainant les plans ennivrants). Une beauté visuelle des décors bien servis par une belle musique, douce avec notament des moceaux de Schubert. Enfin ce qui touche dans le film ce sont les acteurs qui livrent des prestations justes, tout en retenue, loin des exagérations et dramatisations excessives qui semblaient pourtant inhérentes aux thèmes douloureux abordés. Shigeki Uda qui est un comédien non professionel a ainsi vécu pendant quelques mois dans une maison de retraite avant le tournage, c'est pourquoi sa prestation sonne juste, semble sincère et vraie. Machiko Ono est une actrice plus confirmée qui a d'ailleurs fait ses débuts grâce à Naomi Kawaze, son air mélancolique et reservée lui permet de jouer tout en pudeur cette jeune femme secrète et blessée.
Un hymne à la nature, une reflexion sur le deuil, une succession de plans bucoliques, mélancoliques, parfois tragiques mais toujours magnifiques voila ce qu'offre cette Forêt de Mogari. Un depaysement garantie mais parfois abstrait. Cependant pour peu que l'on fasse preuve d'ouverture d'esprit, que l'on laisse de côté notre esprit cartésien, qu'on oublie les bruits de la ville afin d'aller se perdre au coeur d'une forêt mystérieuse, pour redécouvrir le bruissement des feuilles, le clapotis de la pluie, le souffle du vent, pour entrevoir la beauté de la Nature et peut être celle de la vie.
Nostalgic Du Cool



Née en 1969 à Nara au Japon, Naomi Kawaze est confiée par ses parents, dés la naissance à sa grand mère qui l'élevera. Après avoir étudié la photographie, elle passera derrière la caméra, réalisant aussi bien des documentaires que des fictions. Le trait particulier de son cinéma est qu'il est très souvent autobiographique, ses intrigues se déroulent souvent dans sa ville natale et ses thèmes de prédilection à savoir la filiation et la perte d'une personne proche renvoient assez clairement à ce qu'elle a du vivre durant son enfance. C'est donc une réalisatrice de paradoxe qui mêle l'approche objective du documentaire au style intimiste, subjectif et sensible de l'autobiographie. Il en résulte un cinéma assez indéfinissable au style lent, contemplatif avec une caméra peu mobile, usant beaucoup de gros plans pour mieux coller à l'intimité des personnages pour exacerber leurs sentiments. L'intrigue est secondaire, le principal est de montrer ce que ressentent, vivent les personnages c'est un cinéma très sensoriel.


La Forêt de Mogari s'inscrit bien dans cette logique, encore une fois la réalisatrice s'inspire de son expérience personnelle pour aborder les thèmes majeurs que sont la solitude, le manque, la vieillesse et ses maladies, le deuil. L'histoire est simple, Machiko est une jeune aide soignante qui débute un nouveau travail dans une paisible maison de retraite perdue au coeur de la campagne nippone. Rapidement elle s'attache à Shigeki un vieillard malicieux et plein de vitalité qui commence à présenter des symptomes de démence. S'instaure alors une étrange relation entre les deux, tantôt complice et pleine de vitalité, tantôt mélancolique et tendue, cela dépend
de l'humeur du vieillard qui commence à ne plus avoir toute sa tête. La réalisatrice s'inspire pour décrire cette relation, entre serenité et folie, de sa relation avec sa grand mère qui a été atteinte de démence sénile. Mais assez rapidement on sent qu'un lien plus profond, plus secret, les unit : tous deux partagent une blessure, ils ont perdu un être cher et n'arrivent toujours pas à faire leur deuil. Cette douleur sourde, invisible que les deux personnages ressentent crée un fort lien d'empathie entre eux. Ainsi lorsque Shigeki dont la femme est morte depuis bientôt 33 ans décide en secret d'entamer un pélerinage pour terminer son deuil, il décide naturellement de partir avec Machiko. Cette dernière pense seulement qu'ils vont simplement se ballader mais lorsque la voiture tombe en panne et que le vieil homme s'enfuit pour s'enfoncer dans l'épaisse forêt environnante, Machiko forcée de le suivre, comprend qu'elle ne va pas faire une paisible randonnée mais un voyage initiatique au coeur de la protectrice Forêt de Mogari.


Le terme japonais Mogari designe la période consacrée au deuil ou encore le lieu du deuil, etymologiquement le terme signifierait la fin du deuil. La forêt dans laquelle se sont enfoncés les personnages rassemble tout cela à la fois. Tout d'abord c'est un lieu de deuil, en effet c'est en son sein qu'a été enterrée la femme de Shigeki. Cette nature va ensuite devenir le moyen du deuil de Shigeki et à travers lui celui de Machiko qui va accompagner, soutenir ce dernier dans son étrange pélerinage. Peut être est ce du fait de la présence d'une autre personne en souffrance, peut être est ce le sublime cadre qu'offre cette forêt épaisse et enveloppante, toujours est il que c'est ici que Machiko va trouver enfin le soulagement. Enfin elle symbolise la fin du deuil, comme nous l'avons dit, cela fait 33 ans que l'épouse du vieil homme est morte. Pour les bouddhistes japonais c'est l'année ou le défunt quitte le monde des vivants pour rejoindre le Royaume de Bouddha. C'est donc la dernière fois que Shigeki pourra communier avec sa femme, au delà du simple recueillement, il vient pour lui dire un ultime au revoir, un dernier merci. Machiko n'est donc qu'un simple témoin mais du fait du lien de douleur qui unit les deux, l'apaisement de l'un redonne espoir à l'autre. La Forêt de Mogari est donc un voyage spirituel, une fable symboliste et poétique sur la Mort et le deuil, deux thèmes tabous dans nos sociétés qui sont ici traités avec pudeur mais aussi avec fantaisie et originalité.
Le film est une ode à la Nature qui se mêle étrangement avec un requiem sur la mort , les pulsions de vie incarnées par cette forêt légère et apaisante se heurtent aux pulsions de mort, à la pesanteur du deuil. Il en résulte un film réflexif, contemplatif parfois un peu abstrait qui par la force des images, des silences plus que par celle des mots réussit à décrire avec pudeur la douleur du deuil et la capacité de dépassement , de soulagement de l'Homme sublimé par cette Forêt mystique, magnifique et sécurisante (qui n'est pas sans rappeller la Forêt pleine d'esprits de Princesse Mononoké) qui permet au personnage de se retrouver, de se révèler. La force du film est de faire de cette Forêt un véritable personnage, invisible, presque divin mais bienveillant, sécurisant qui participe au deuil et transcende ces personnages en perdition, égarés au sens propre comme au figuré pour les ramener vers la vie, vers l'espoir en exacerbant les sensibilités. La réalisatrice explique : "Je crois que l'invisible est aussi important que le visible" en effet le film traite de l'invisible, de l'impalpable, de la Mort de la force mystérieuse de la Nature, il joue sur les non dits, les tabous, avec la période du deuil, l'incapacité à mettre des mots sur ce que l'on ressent, d'où le recours à la caméra pour symboliser l'osmose indéfinissable entre les êtres et la Nature. Un journaliste reprenant les célèbres vers de Rimbaud résume très bien le film affirmant : " Nature berce les chaudement.... ils ont gagné le droit de vivre" ils n'ont plus froid comme dans le poème Le Dormeur du Val car cette Nature innocente, universelle est ici salvatrice, régénératrice.

Bref on pourrait dire que La Forêt de Mogari n'est qu'un énième film d'auteur filmé à la manière du documentaire pour se donner un genre mais c'était son compter la sensibilité de la réalisatrice. Un peu à la manière d'un Ozu (en moins immense tout de même) cette dernière prend le temps de poser sa caméra d'observer ses personnages, de ressentir ce qu'ils vivent par le biais de très gros plans. Mais aussi elle sait laisser la caméra s'envoler, se laisser emporter par la beauté de cette forêt, filmant avec une legereté, contrastant avec la lourdeur des thèmes, la splendeur simple de la nature (en particulier avec la scène du cache cache dans les champs, explosion de verdure, enchainant les plans ennivrants). Une beauté visuelle des décors bien servis par une belle musique, douce avec notament des moceaux de Schubert. Enfin ce qui touche dans le film ce sont les acteurs qui livrent des prestations justes, tout en retenue, loin des exagérations et dramatisations excessives qui semblaient pourtant inhérentes aux thèmes douloureux abordés. Shigeki Uda qui est un comédien non professionel a ainsi vécu pendant quelques mois dans une maison de retraite avant le tournage, c'est pourquoi sa prestation sonne juste, semble sincère et vraie. Machiko Ono est une actrice plus confirmée qui a d'ailleurs fait ses débuts grâce à Naomi Kawaze, son air mélancolique et reservée lui permet de jouer tout en pudeur cette jeune femme secrète et blessée.
Un hymne à la nature, une reflexion sur le deuil, une succession de plans bucoliques, mélancoliques, parfois tragiques mais toujours magnifiques voila ce qu'offre cette Forêt de Mogari. Un depaysement garantie mais parfois abstrait. Cependant pour peu que l'on fasse preuve d'ouverture d'esprit, que l'on laisse de côté notre esprit cartésien, qu'on oublie les bruits de la ville afin d'aller se perdre au coeur d'une forêt mystérieuse, pour redécouvrir le bruissement des feuilles, le clapotis de la pluie, le souffle du vent, pour entrevoir la beauté de la Nature et peut être celle de la vie.
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