Dragon gate Inn, esthétique et wu xia par King Hu, 1967.
Dragon gate Inn (Long men kezhan), King Hu, 1967
Un an après Come drink with me (l'Hirondelle d'or), King Hu devenu un réalisateur reconnu se lance dans un nouveau projet de wuxia, une sorte de CDWM (come drink...) bis, mais cette fois ci hors des structures rigides de la Shaw et du coup sans l'actrice qu'il avait révélé, Cheng Pei Pei. En effet acteurs et réalisateurs étaient à l'époque en contrat exclusif avec le studio. Ce sera donc Feng Hsu qui tiendra dans ce nouveau film le rôle de l'héroïne, très important dans les œuvres de Hu. Je l'ai déjà évoqué et il est temps de le répéter, à l'inverse d'un Chang Cheh ou d'un Liu Chia Liang King Hu accorde beaucoup de place aux femmes dans ses films, ainsi qu'aux relations hommes-femmes ce qui est plutôt rare dans le cinéma d'action (surtout à cette époque, avec les deux cas extrême cités plus hauts). Cela s'explique sans doute par le fait que King Hu est issu de l'opéra chinois et est plutôt un intellectuel, ce qui n'est pas le cas de la plupart des réalisateurs de la Shaw Brothers. Esthète et cinéaste accordant beaucoup d'importance à le forme il sait le rôle majeur joué par les protagonistes féminines dans l'équilibre d'un film qui n'est pas uniquement basé sur les affrontements martiaux.
S'il s'attache à travailler la forme, le fond non plus n'est pas laissé en friche puisque comme dans son précédent film les sévices du pouvoir et la vanité de ces hommes sont mise en avant, à travers une critique sous-jacente de la tête de l'état (Mao à cette époque, qui vu de Taïwan était le pire des dictateurs).
L'histoire est celle, classique d'une famille noble dont le père est tué par un eunuque avide et cruel et qui se retrouve bannie. Représentant encore une menace pour le vil châtré, ce dernier décide de les faire abattre par ses sbires, qui échouent une première fois à cause de l'intervention d'un inconnu. La prochaine attaque sera menée à partir de l'auberge du dragon, point de passage obligé. S'y retrouve les hommes de main de l'eunuque ainsi que des combattants isolés plutôt du coté de la famille de bannis. L'ambiance est donc tendue et l'arrivée des Yu (les pourchassés) va déclencher une lutte terrible et sans merci jusqu'à la mort de l'un des deux camps...
Un scénario assez classique donc, mais que King Hu traite de manière originale en ré-inventant le « film d'auberge » et en imposant son rythme, sa mise en scène et sa vision du genre. Rien à voir en effet entre un wu xia de Chang Cheh (Un seul bras les tua tous, 1967) et de King Hu. Différence dans la mise en avant de la violence (hémoglobine omniprésente chez Cheh), des héros (machisme et héroïsation chez le premier) et de la portée de leur combat. Qu'on regarde en parallèle le Deux héros et A Touch of zen (Cheh/Hu) et on comprendra qu'ils n'ont pas la même idéologie. Pas plus qu'ils ne se font la même idée de leur art. Mais arrêtons là les comparaisons entre deux monstres du cinéma chinois, car il ne s'agit pas tant de critiquer l'un où l'autre mais bien de mettre en avant les qualités et les particularités de l’œuvre de King Hu, cinéaste légendaire et rare qui s'est très vite retrouvé en marge du système pour finir par y être complètement étranger.
Dragon Gate Inn est bel et bien un wu xia, plus même qu'A Touch of zen puisque les combats sont plus prégnants et présents et ce dès le début, avec l'intervention musclé de l'un des « gentils » pour sauver la famille Yu. Ensuite Hu installe petit à petit un climat de tension, d'affrontement mental entre les différents protagonistes au sein de l'auberge qui évitent soigneusement le combat frontal pour se livrer à des ruses, à des trahisons (empoisonnements, pièges, bluff, …) à des blagues fortes de sous entendus tout comme le sont les dialogues et les repas entre les tenants des Yu et ceux qui veulent leur mort. Bref le réalisateur se livre à un exercice très réussit de huis-clos entre des alliés qui ne savent pas vraiment qu'ils le sont, des ennemis qui n'osent pas vraiment se déclarer et attaquer de front des guerriers peu nombreux mais qui les effraient et une famille Yu qui tarde à arriver. Les séquences dans la salle centrale de la taverne du bon Wu Ming sont une réussite incontestable et Chun Shih s'en donne à cœur joie de cabotinage. Le malaise de l'aubergiste en second est à la fois terrible à voir et affreusement comique tant le dilemme qui le tourmente se transcrit sur sa figure jouflue.
Et quand le combat à l'épée débute, c'est pour ne plus s'arrêter jusqu'au dénouement final. King Hu ne s'adonne pas à la surenchère de violence et de sang rouge vif mais met tout de même en scène des luttes mortelles d'une belle longueur mais dont la facture laisse un peu à désirer si l'on est habitué au réalisme un peu plus tardif de Liu Chia Liang. Il n'est pas rare de voir l'épée se glisser entre le bras et le ventre d'un soldat ou encore de se rendre compte qu'elle n'effleure même pas un homme qui une seconde plus tard s'effondre par terre, mort. Sans oublier que les acteurs ne sont pas des virtuoses et que les combats ne sont pas (encore) chorégraphiés par Sammo Hung ou quelqu'un de sa trempe. Bref la qualité première de dragon Gate Inn n'est pas le kung fu ou l'art de l'épée que montrent les acteurs.
Il faut plutôt aller chercher dans l'ambiance que parvient à créer le réalisateur, dans la tension qu'il installe, dans sa mise en scène, son esthétisation du Wu xia, les recherches formelles qu'il organise autour de ce genre et les lettres de noblesse qu'il lui donne. Ce n'est d'ailleurs par pour rien que Tsui Hark, lui aussi grand révolutionnaire de l'esthétique du wuxia a repris en 1992 ce film (Dragon Inn), que Tsai Ming Lang l'évoque très largement dans son Good bye dragon gate Inn et que Hark, encore lui s'apprête à sortir en 3D une nouvelle version de ce mythe. Si le réalisateur choisit cette œuvre précise pour tenter une nouvelle révolution technique dans le cinéma chinois, c'est que le film original de King Hu est magnifique et très chargé symboliquement dans l'histoire cinématographique nationale.
Un grand classique qu'il faut voir à coup sur pour se préparer au chef d’œuvre de Hu, A Touch of zen.
Carcharoth