Cold Fish (Tsumetai Nettaigyo), Sion Sono, 2010
Cold Fish (Tsumetai Nettaigyo), Sion Sono, 2010
Cold Fish, malgré son début très kawai est un film de serial killer, une œuvre froide, sombre, glaciale, triste. C'est un film qui prouve que Sion Sono estun réalisateur qui n'a pas peur de choquer, qui le fait même exprès ; iconoclaste punk et rebelle. Basé sur l'histoire vrai du plus grand serial killer du Japon (entre 50 et 100 victimes), Cold Fish raconte le calvaire d'un père de famille remarié depuis peu, sa descente aux enfers et sa résurrection par la violence. C'est un film qui prend son temps (2h26) pour explorer le mal, la face obscure de chacun, les petites faiblesses des hommes qui peuvent en faire de terribles tueurs, de véritables requins sans aucune notion de morale mais seulement un « je fais les choses à ma façon, je résous mes problèmes par la violence et je recherche mon bonheur ».
Critique de notre société hédoniste ? Partie de chasse dans les tréfonds de l'âme humaine ? Quête existentielle sur la bonté ou la méchanceté innée de l'homme ? Cold Fish est un peu tout cela à la fois. Si Murata, le tueur, a en effet subit les sévices de son père (chrétien très pieu apparemment) durant toute son enfance, reclus dans une cabane-chapelle ; on ne peut expliquer le comportement des autres par aucun traumatisme sinon ceux que chacun subit dans sa vie de tous les jours.
Il y a donc d'un coté ces individus, déjà pas très recommandables (nous!) et de l'autre la possibilité de traumatismes qui pousserait vers le « mal », la perte complète de repère et d'humanité. En faisant un peu de psychanalyse, on pourrait considérer Murata comme un exemple de résilience. En effet il semble s'en être très bien tiré. Même si de notre point de vue il est un psychopathe extrêmement dangereux, il se voit comme une homme courageux, qui a réussit dans la vie et qui est heureux. De plus, il aide dans son magasin des jeunes filles mal dans leur peaux et dans leurs familles. Il est riche et fait ce qu'il veut. Bien sur son expansivité, sa facilité à se lier et ses rapports surfaits avec les autres cachent un homme colérique, capricieux et psychologiquement dangereux, mais malheureusement pour ses victimes cela ne se voit pas tout de suite.
Le déroulement du film est très étrange, dérangeant, mais à la réflexion paraît terriblement plausible. En effet, à peine connait-il Shamoto (notre héros) qu'il veut en faire son associé dans une grosse affaire. La réunion tourne assez mal puisqu'il tue un homme venu apporter les liquidités nécessaires. Il entraine alors Shamoto dans la maison de son enfance pour dépecer, brûler et donner aux poissons les restes du malheureux. A partir de ce moment Shamoto est envouté, lié au tueur puisqu'il est son complice. Sous le choc il n'a pas la force de se rebeller et fait tout ce qu'on lui dit. Par lâcheté sans doute il accepte tout. Cet homme timide, qui n'arrive pas à tenir tête à sa fille est comme une boule de pâte à modeler dans la main de ce tueur froid et calculateur, au charisme maléfique.
Il manie en effet très bien différentes armes qui semblent contradictoires : la violence, la peur, la douleur, mais aussi la flatterie, les sourires et l'humour. Il lit aussi remarquablement bien les hommes et les femmes ce qui lui permet d'appuyer la où il faut pour arriver à ses fins. Coucher avec l'une, se servir de l'autre comme d'un alibi ; il peut tout et se rit de la police et des autres qui ne peuvent rien contre lui sans preuve.
Shamoto et lui sont comme les deux figures opposées d'une société, le Janus du Japon : le salary man sans ambition, propre sur lui, rangé, dont le mariage est un échec et que ses enfants détestent (la scène finale est à ce propos terrible) face au séducteur à la ferrari, à l'homme bestial, puissant, qui suit ses instinct plutôt que de respecter les normes et sait se faire apprécier grâce à un charisme impérial. La question qui se pose est comment un homme « normal » bascule-t-il vers l'ultra violence et le meurtre, à cause de quoi, est ce mal, bien ou aucun des deux ?
Autour (ou entre?) ces deux hommes, auxquels on a bien du mal à s'attacher, gravitent des femmes, qui tout en étant très importantes donnent l'impression d'être sous exploitées dans le film. Non pas que je trouve Sion Sono misogyne (tous morflent équitablement) mais je dois être trop habitué à Tsukamoto, dans les films duquel les femmes ont un rôle majeur et où les protagonistes, après une catharsis de violence ressuscitent, s'améliorent, deviennent plus humains, aiment la vie. Ici le ton est plus noir, nihiliste et je dois dire que la fin ne m'a pas enchantée, même si je ne la révèlerais pas.
Coté réalisation Sion Sono m'a pas contre bluffé. Malgré certaines séquences gores et sanguinolentes, le film est esthétiquement très réussit, la mise en scène est parfaite, la bande son originale tout en faisant intervenir des instruments de classique. Ce réalisateur encore jeune s'affirme donc comme l'un des talents de sa génération tout en étant l'un des plus contestataires et courageux. On a en effet pas vu de film sur Dutroux, alors que l'affaire a vingt ans. Ici le problème est bien plus récent, il a bouleversé le Japon et sa population, mais déjà Sono a osé en faire un film, livrer sa version, s'en servir comme trame pour exposer certaines de ses idées. Il s'agit donc d'une personne très intéressante, active, passionnée qu'il faudra suivre dans ses prochains projets.
Ce film, s'il ne vous rebute pas à cause du sujet violent et sanglant, vous scotchera sans nul doute à votre siège tant par son thème que la façon dont il est abordé et filmé !
Un point de vue intéressant chez Wildgrounds
Carcharoth