Le Roi et Le Clown, quelle misère qu'un "Roi sans Divertissement"
Voilà comme à mon habitude j'aborde l'actualité cinématographique une fois qu'elle est passée, mais bon, mes nombreux? quelques? Juste ma brave maman? bref mes lecteurs le savent bien désormais. Donc ce soir j'évoque encore une fois un film passé inaperçu : Le Roi et Le Clown de Lee Jun-Ik diffusé deux semaines dans mon ciné au cours du mois de février, surprenant sur ce blog me direz vous, toutefois il faut savoir que cette fois je n'évoque pas un film tourné au Super 8, en une semaine, avec pour tout budget les frais dépensés en donuts dans une production américaine moyenne. Non cette fois j'aborde un véritable carton, un film qui a obtenu 12 millions d'entrées en Corée du Sud, record au box office national. Bon alors vous vous dites que son bide en France est du au fait qu'il était à la hauteur de nos super productions françaises soit d'une nullité abyssale comme notre Astérix soit sympathique mais bien trop limité pour s'exporter comme nos Ch'tis. Encore une fois je dois dire non, le film à tout de même obtenu le Prix du Jury au Festival du film asiatique de Deauville, mais surtout cette fable sur le rapport entre la satire et le pouvoir m'a énormément plu, à moi le juge implacable d'Asiaphilie reputé pour sa sévérité...

Le Roi et Le Clown est en réalité une adaptation d'une pièce de théâtre denommée Yi. Lee Jun-Ik plutôt inconnu dans nos contrées est un réalisateur mais aussi un producteur qui s'est spécialisé dans les films commerciaux historiques. Seulement en Corée apparement quand on dit commercial ca n'a pas la même connotation péjorative qu'ici, là bas ça veut dire gros budget, mais véritables scénarios, véritables acteurs et surtout véritables réalisateurs. En effet on n'a pas juste droit à un joli film d'époque avec des jolis costumes et décors qui couvrent une intrigue fade et sans vie comme on pourrait le croire. Non c'est une véritable parabole sur le pouvoir et la liberté de parole, de critique, qui trouvent de nombreux échos dans notre société actuelle. C'est la rencontre entre un roi à moitié fou et des bouffons lucides, un regard glaçant sur un univers gangrené par le pouvoir, les faux semblants, car comme chez Shakespeare (comparaison très flatteuse je le concède) seuls les fous peuvent comprendre un monde qui est en train de le devenir.

L'intrigue prend place dans un contexte assez précis au tout début du XVIeme siècle sous la dynastie Chosun (tout de même l'une des plus longues dynasties ayant règnée de 1392 à 1910 !) durant le règne du roi Yunsan. C'est un roi qui est décrit dans Les chroniques Royales de la dynastie Chosun, oeuvre de référence pour le réalisateur ( héhé quand on pense aux sources d'inspiration de certains réalisateurs s'attaquant à des morceaux de l'histoire ce sérieux coréen peut faire rire). Donc le chroniqueur le présente comme un roi cruel et tyrannique mais aussi paradoxalement comme un homme intelligent et sensible. Dans cette période trouble, on suit le quotidien difficile d'un groupe de comédiens itinérants et en particulier de deux d'entre eux : Jang-Sang et Gong-Gil. Ces deux saltimbanques jouent les personnages principaux de leur spectacle satirique et burlesque qui se moque de la société et de l'empereur : le charismatique et malin Jang-Sang jouant les figures du bourgeois voire même du Roi tandis que Gong-Gil discret et très efféminé tient les rôles féminins. En effet comme dans la plupart des théâtres durant cette époque ce sont les hommes uniquement qui jouent. Déjà à l'époque, le travail de comédiens n'était pas facile, se produisant devant les notables locaux, la troupe survivait tant bien que mal, à tel point qu'assez régulièrement Gong-Gil devait vendre ses charmes feminins pour assurer leur subsistance. Exaspéré par cette situation, dégouté de voir son ami en être réduit à se prostituer Jang-Sang décide de fuir avec Jong-Gil afin d'aller tenter leur chance à la Capitale. Là rapidment ils retrouvent des comédiens et montent un spectacle très satirique parodiant les moeurs légères du Roi et de sa favorite, le succès est au rendez vous mais ce n'est pas du goût de tout le monde et nos pauvres héros se font arrêter par les autorités. Condamné à la bastonnade, Jang-Sang ose une ultime audace et demande à être autorisé à jouer son spectacle devant le Roi et si ce dernier ne desserre pas les mâchoires ce sont les têtes de nos comédiens qui seront deserrées.
Desormais la troupe est condamnée à faire rire le Roi si elle veut survivre. Ainsi terrorisée elle se présente devant ce roi impassible et réputé cruel, elle essaie tant bien que mal de jouer devant lui et bien que paralysée par la peur, c'est encore l'audace qui va les sauver. Devant le roi, ses ministres Jang-Sang et Gong-Gil osent se moquer de la sexualité du monarque, et là, miracle ce dernier éclate de rire. Dés lors, ils sont les bouffons du roi, ils vont vivre dans l'opulence, avoir de beaux costumes mais ils sont entrés dans une mécanique perverse, ils vont être dépassés à leur propre jeu car il faut desormais contenter ce roi un peu fou qui voit dans ces spectacles un merveilleux échappatoire aux pressions et à la lourdeur de sa fonction. Ils vont devoir desormais faire face aux extravagances d'un monarque qui se prend un peu trop au jeu, ce rire qui jadis les sauva les met desormais dans une situation délicate car au fur et à mesure pour satisfaire le suzerain ils vont devoir se moquer de ses moeurs mais aussi de ses ministres et de toute la Cour. Durant les spectacles le Roi fasciné intervient ce qui déstabilise les comédiens comme son entourage, il se tourne en ridicule, se moque de ses proches car à travers la satire ce Roi d'apparence tout puissant retrouve une certaine liberté d'expression, il peut critiquer les manoeuvres politiciennes car finalement sa fonction, les lois ancestrales l'enferment dans une certain silence.

On dit que l'art sublime le réel, ici le roi à travers le théâtre exige des acteurs qu'il "sublime" extériorise son existence, ses douleurs, tous ces non dits de la Cour. On apprend ainsi que sa jeunesse fût traumatisée par une révolte des nobles, par l'assassinat politique de sa mère. Le théâtre peut faire revivre ce passé, mais le tragique du film est que le spectacle devient réalité, le roi se met en scène avec les comédiens à qui il dicte quasiment les pièces. Mais surtout il finit par se baser sur ces parodies pour orienter sa politique, jaugeant ces ministres en fonction de leurs réactions à la satire, en éliminant certains. La fiction se confond avec la réalité, le rire avec le tragique, la satire devient reglement de compte politique et au milieu nos saltimbanques sont bien impuissants. Paradoxalement ces "acteurs" sont devenus les spectateurs de cette farce qu'est la Cour. Leur liberté de parole à travers des spectacles assez osés et critiques n'est qu'une mascarade dissimulant la volonté du suzerain car l'expression est bien connue : les princes de ce monde n'aiment que les bouffons asservis. Finalement nos bouffons ne critiquent que ce que l'on veut bien qu'ils critiquent. Le film sous son aspect de film divertissant livre donc une analyse fine et passionnante sur la satire, ses imbrications avec le pouvoir et plus généralement sur l'art comme moyen de manipulation.

Mais aussi la grande qualité du Le Roi et Le Clown est qu'au dela de ce surprenant aspect reflexif, l' histoire s'enrichit d'intrigues secondaires qui s'entremèlent avec justesse tissant une toile de personnages à la richesse insoupçonnée. Tout d'abord le film expose la relation ambigue entre les deux comédiens, qui oscille entre amitié sincère et amour homosexuel, bien que cela ne soit que suggéré mais le fait que Jang-Sang ne supporte pas que son ami se prostitue est révélateur. Leur relation m'a fait très fortement penser à celle qu'entretiennent les deux personnages de Adieu Ma Concubine de Chen Kaige. Comme dans le film, les deux personnages sont acteurs de théâtre et comme nos héros coréens l'un joue les rôles d'homme et l'autre ceux de femme et bien évidement le point commun frappant est que l'un deux éprouve une attirance troublante pour l'autre. D'ailleurs au délà on peut noter que théâtre coréen et chinois se ressemblent, tout d'abord au niveau des costumes très riches et colorés avec des masques ou des maquillages et aussi dans la manière de jouer, avec une façon de déclamer d'une manière très chantante sur des rythmes musicaux assez simples (tambours). Cette relation tout en ambiguité se dédouble de la relation encore plus etrange que le Roi entretient avec Gong-Gil, le jeune homme qui en vient plus ou moins à dépasser la favorite du souverain, tant ce dernier est fasciné par son jeu et par sa beauté androgyne. S'instaure alors une drôle de valse entre haine et jalousie la favorite haïssant Gong-Gil bien impuissant face à la volonté du Roi dont l'attitude est vivement desapprouvée par Jang-Sang. Ajoutez à cela une horde de ministres qui voit d'un très mauvaise oeil ces comédiens qui sont venus troubler leur petit quotidien et tous les élements du drame sont en place. En effet le film est une tragédie terrible et absurde qui va s'abattre sur tous les personnages, l'ambition des uns déchainant la haine des autres altérant la confiance de ceux qui jadis étaient proches, et rapprochant les ennemis communs dans une atmosphère de complot.

A gauche photo tirée de Le Roi et Le Clown et à droite de Adieu Ma Concubine, on constate pas mal de similarité dans les costumes
Bref un scénario absolument brillant, avec plusieurs niveaux de lecture, le tout finement dosé entre fresque historique, intrigues politiques et amoureuses et saynètes bouffones sur le théâtre populaire coréen. Au final ce film est un drame intelligent, ce qui est rare, où l'aspect tragique du destin de ces personnages vient refleter les échos politiques et philosophiques du rapport art et pouvoir; où l'intime vient frôler la démesure. La réalisation est excellente, virtuose, les plans s'enchainent avec fluidité, les décors et costumes sont splendides aussi colorés que les personnages. Parlons en des personnages, les acteurs bien que peu connus sont géniaux et arrivent à donner à ces figures vieilles de plusieurs siècles une actualité des plus contemporaines tant dans leurs sentiments que dans leurs réflexions. Les performances sont à saluer tout d'abord le jeu de Lee Jung-Gi force le respect, il est remarquable de sincérité dans ce rôle d'androgyne fragile et sensible dans l'audace sur scène n'a d'égal que son effacement en dehors les "planches". Aussi Kam Woo-Seong campe à merveille le personnage de Jang-Sang homme charismatique et audacieux muselé dans son art comme dans sa vie par ce roi omnipotent, l'acteur retransmet très bien la rage mélée d'impuissance et d'amertume qu'éprouve son personnage face à la relation entre Gong-Gil et le suzerain. Mais surtout celui qui m'a vraiment bluffé c'est Jeong Jin-Yeong qui interprète le Roi à la fois impénetrable, tyranique et cruel mais aussi sensible et plein d'humour, l'acteur réussit en permanence à être sur le fil du rasoir entre une lucidité terrifiante et une folie auto-destructrice. Il réussit a rendre ce roi de tous les excès incroyablement émouvant et alors que c'est le personnage le plus terrible c'est paradoxalement celui auquel on s'attache tant sa personnalité complexe est fascinante.

Pour conclure si Blaise Pascal affirmait qu'un Roi sans divertissement, si on le laisse "penser à lui tout à loisir et l'on verra qu'un roi sans divertissement est un homme plein de misères" Le Roi et Le Clown prend le contrepied de la formule du philosophe, car ici un Roi trop divertit ne semble pas forcément plus heureux. Mais si Pascal semblait par ce raisonnement vouloir tourner le roi vers Dieu, dans le film le réalisateur prefère tourner ses personnages vers l'avenir offrant une saisissante parabole sur la satire aux échos contemporains incroyables.
Nostalgic Du Cool


Le Roi et Le Clown est en réalité une adaptation d'une pièce de théâtre denommée Yi. Lee Jun-Ik plutôt inconnu dans nos contrées est un réalisateur mais aussi un producteur qui s'est spécialisé dans les films commerciaux historiques. Seulement en Corée apparement quand on dit commercial ca n'a pas la même connotation péjorative qu'ici, là bas ça veut dire gros budget, mais véritables scénarios, véritables acteurs et surtout véritables réalisateurs. En effet on n'a pas juste droit à un joli film d'époque avec des jolis costumes et décors qui couvrent une intrigue fade et sans vie comme on pourrait le croire. Non c'est une véritable parabole sur le pouvoir et la liberté de parole, de critique, qui trouvent de nombreux échos dans notre société actuelle. C'est la rencontre entre un roi à moitié fou et des bouffons lucides, un regard glaçant sur un univers gangrené par le pouvoir, les faux semblants, car comme chez Shakespeare (comparaison très flatteuse je le concède) seuls les fous peuvent comprendre un monde qui est en train de le devenir.

L'intrigue prend place dans un contexte assez précis au tout début du XVIeme siècle sous la dynastie Chosun (tout de même l'une des plus longues dynasties ayant règnée de 1392 à 1910 !) durant le règne du roi Yunsan. C'est un roi qui est décrit dans Les chroniques Royales de la dynastie Chosun, oeuvre de référence pour le réalisateur ( héhé quand on pense aux sources d'inspiration de certains réalisateurs s'attaquant à des morceaux de l'histoire ce sérieux coréen peut faire rire). Donc le chroniqueur le présente comme un roi cruel et tyrannique mais aussi paradoxalement comme un homme intelligent et sensible. Dans cette période trouble, on suit le quotidien difficile d'un groupe de comédiens itinérants et en particulier de deux d'entre eux : Jang-Sang et Gong-Gil. Ces deux saltimbanques jouent les personnages principaux de leur spectacle satirique et burlesque qui se moque de la société et de l'empereur : le charismatique et malin Jang-Sang jouant les figures du bourgeois voire même du Roi tandis que Gong-Gil discret et très efféminé tient les rôles féminins. En effet comme dans la plupart des théâtres durant cette époque ce sont les hommes uniquement qui jouent. Déjà à l'époque, le travail de comédiens n'était pas facile, se produisant devant les notables locaux, la troupe survivait tant bien que mal, à tel point qu'assez régulièrement Gong-Gil devait vendre ses charmes feminins pour assurer leur subsistance. Exaspéré par cette situation, dégouté de voir son ami en être réduit à se prostituer Jang-Sang décide de fuir avec Jong-Gil afin d'aller tenter leur chance à la Capitale. Là rapidment ils retrouvent des comédiens et montent un spectacle très satirique parodiant les moeurs légères du Roi et de sa favorite, le succès est au rendez vous mais ce n'est pas du goût de tout le monde et nos pauvres héros se font arrêter par les autorités. Condamné à la bastonnade, Jang-Sang ose une ultime audace et demande à être autorisé à jouer son spectacle devant le Roi et si ce dernier ne desserre pas les mâchoires ce sont les têtes de nos comédiens qui seront deserrées.
Desormais la troupe est condamnée à faire rire le Roi si elle veut survivre. Ainsi terrorisée elle se présente devant ce roi impassible et réputé cruel, elle essaie tant bien que mal de jouer devant lui et bien que paralysée par la peur, c'est encore l'audace qui va les sauver. Devant le roi, ses ministres Jang-Sang et Gong-Gil osent se moquer de la sexualité du monarque, et là, miracle ce dernier éclate de rire. Dés lors, ils sont les bouffons du roi, ils vont vivre dans l'opulence, avoir de beaux costumes mais ils sont entrés dans une mécanique perverse, ils vont être dépassés à leur propre jeu car il faut desormais contenter ce roi un peu fou qui voit dans ces spectacles un merveilleux échappatoire aux pressions et à la lourdeur de sa fonction. Ils vont devoir desormais faire face aux extravagances d'un monarque qui se prend un peu trop au jeu, ce rire qui jadis les sauva les met desormais dans une situation délicate car au fur et à mesure pour satisfaire le suzerain ils vont devoir se moquer de ses moeurs mais aussi de ses ministres et de toute la Cour. Durant les spectacles le Roi fasciné intervient ce qui déstabilise les comédiens comme son entourage, il se tourne en ridicule, se moque de ses proches car à travers la satire ce Roi d'apparence tout puissant retrouve une certaine liberté d'expression, il peut critiquer les manoeuvres politiciennes car finalement sa fonction, les lois ancestrales l'enferment dans une certain silence.

On dit que l'art sublime le réel, ici le roi à travers le théâtre exige des acteurs qu'il "sublime" extériorise son existence, ses douleurs, tous ces non dits de la Cour. On apprend ainsi que sa jeunesse fût traumatisée par une révolte des nobles, par l'assassinat politique de sa mère. Le théâtre peut faire revivre ce passé, mais le tragique du film est que le spectacle devient réalité, le roi se met en scène avec les comédiens à qui il dicte quasiment les pièces. Mais surtout il finit par se baser sur ces parodies pour orienter sa politique, jaugeant ces ministres en fonction de leurs réactions à la satire, en éliminant certains. La fiction se confond avec la réalité, le rire avec le tragique, la satire devient reglement de compte politique et au milieu nos saltimbanques sont bien impuissants. Paradoxalement ces "acteurs" sont devenus les spectateurs de cette farce qu'est la Cour. Leur liberté de parole à travers des spectacles assez osés et critiques n'est qu'une mascarade dissimulant la volonté du suzerain car l'expression est bien connue : les princes de ce monde n'aiment que les bouffons asservis. Finalement nos bouffons ne critiquent que ce que l'on veut bien qu'ils critiquent. Le film sous son aspect de film divertissant livre donc une analyse fine et passionnante sur la satire, ses imbrications avec le pouvoir et plus généralement sur l'art comme moyen de manipulation.

Mais aussi la grande qualité du Le Roi et Le Clown est qu'au dela de ce surprenant aspect reflexif, l' histoire s'enrichit d'intrigues secondaires qui s'entremèlent avec justesse tissant une toile de personnages à la richesse insoupçonnée. Tout d'abord le film expose la relation ambigue entre les deux comédiens, qui oscille entre amitié sincère et amour homosexuel, bien que cela ne soit que suggéré mais le fait que Jang-Sang ne supporte pas que son ami se prostitue est révélateur. Leur relation m'a fait très fortement penser à celle qu'entretiennent les deux personnages de Adieu Ma Concubine de Chen Kaige. Comme dans le film, les deux personnages sont acteurs de théâtre et comme nos héros coréens l'un joue les rôles d'homme et l'autre ceux de femme et bien évidement le point commun frappant est que l'un deux éprouve une attirance troublante pour l'autre. D'ailleurs au délà on peut noter que théâtre coréen et chinois se ressemblent, tout d'abord au niveau des costumes très riches et colorés avec des masques ou des maquillages et aussi dans la manière de jouer, avec une façon de déclamer d'une manière très chantante sur des rythmes musicaux assez simples (tambours). Cette relation tout en ambiguité se dédouble de la relation encore plus etrange que le Roi entretient avec Gong-Gil, le jeune homme qui en vient plus ou moins à dépasser la favorite du souverain, tant ce dernier est fasciné par son jeu et par sa beauté androgyne. S'instaure alors une drôle de valse entre haine et jalousie la favorite haïssant Gong-Gil bien impuissant face à la volonté du Roi dont l'attitude est vivement desapprouvée par Jang-Sang. Ajoutez à cela une horde de ministres qui voit d'un très mauvaise oeil ces comédiens qui sont venus troubler leur petit quotidien et tous les élements du drame sont en place. En effet le film est une tragédie terrible et absurde qui va s'abattre sur tous les personnages, l'ambition des uns déchainant la haine des autres altérant la confiance de ceux qui jadis étaient proches, et rapprochant les ennemis communs dans une atmosphère de complot.


A gauche photo tirée de Le Roi et Le Clown et à droite de Adieu Ma Concubine, on constate pas mal de similarité dans les costumes
Bref un scénario absolument brillant, avec plusieurs niveaux de lecture, le tout finement dosé entre fresque historique, intrigues politiques et amoureuses et saynètes bouffones sur le théâtre populaire coréen. Au final ce film est un drame intelligent, ce qui est rare, où l'aspect tragique du destin de ces personnages vient refleter les échos politiques et philosophiques du rapport art et pouvoir; où l'intime vient frôler la démesure. La réalisation est excellente, virtuose, les plans s'enchainent avec fluidité, les décors et costumes sont splendides aussi colorés que les personnages. Parlons en des personnages, les acteurs bien que peu connus sont géniaux et arrivent à donner à ces figures vieilles de plusieurs siècles une actualité des plus contemporaines tant dans leurs sentiments que dans leurs réflexions. Les performances sont à saluer tout d'abord le jeu de Lee Jung-Gi force le respect, il est remarquable de sincérité dans ce rôle d'androgyne fragile et sensible dans l'audace sur scène n'a d'égal que son effacement en dehors les "planches". Aussi Kam Woo-Seong campe à merveille le personnage de Jang-Sang homme charismatique et audacieux muselé dans son art comme dans sa vie par ce roi omnipotent, l'acteur retransmet très bien la rage mélée d'impuissance et d'amertume qu'éprouve son personnage face à la relation entre Gong-Gil et le suzerain. Mais surtout celui qui m'a vraiment bluffé c'est Jeong Jin-Yeong qui interprète le Roi à la fois impénetrable, tyranique et cruel mais aussi sensible et plein d'humour, l'acteur réussit en permanence à être sur le fil du rasoir entre une lucidité terrifiante et une folie auto-destructrice. Il réussit a rendre ce roi de tous les excès incroyablement émouvant et alors que c'est le personnage le plus terrible c'est paradoxalement celui auquel on s'attache tant sa personnalité complexe est fascinante.

Pour conclure si Blaise Pascal affirmait qu'un Roi sans divertissement, si on le laisse "penser à lui tout à loisir et l'on verra qu'un roi sans divertissement est un homme plein de misères" Le Roi et Le Clown prend le contrepied de la formule du philosophe, car ici un Roi trop divertit ne semble pas forcément plus heureux. Mais si Pascal semblait par ce raisonnement vouloir tourner le roi vers Dieu, dans le film le réalisateur prefère tourner ses personnages vers l'avenir offrant une saisissante parabole sur la satire aux échos contemporains incroyables.
Nostalgic Du Cool