Citizen Dog : le Fabuleux Destin de Pod le Citadin

Publié le par Nostalgic-du-cool

Le cinéma thaïlandais est l'un des cinémas les plus prometteurs du monde asiatique et s'il s'est surtout fait découvrir grâce à ses films d'action genre Ong Bak, depuis peu un cinéma indépendant emerge et il commence un peu à percer sur le marché européen (d'ailleurs actuellement en salles il y a Le Pensionnat de Songyos Sugmakanan, qui n'est pas coréen comme l'affirme le journaliste de Libération dans sa critique mais bien thaïlandais, hélas je n'ai pas pu le voir étant donné que les distributeurs ont trouvé judicieux de ne le diffuser que dans une vingtaine de salles). Donc si ce n'est pas encore l'invasion il est indéniable que ce cinéma a réussi à se faire une petite place sur la scène mondiale grâce à ses films si particuliers, souvent oniriques, toujours poétiques. Le blog a déjà évoqué les films de deux réalisateurs majeurs de ce pays à savoir Pen-Ek Ratanaruang (Last life in The Universe) et Apichatpong Weerasethakul (récemment à l'affiche avec Syndromes and A Century diffusé tout de même en moyenne une semaine dans les salles alors qu'il a obtenu le Lotus d'Or au festival du film asiatique de Deauville). Il était donc temps de consacrer un article à un autre célèbre réalisateur de la Nouvelle Vague Thaïlandaise j'ai nommé Wisit Sasanatieng et plus particulièrement d'évoquer son dernier film : Citizen Dog, une comédie romantique aussi déjantée que colorée.

On ne peut pas dire grand chose de Wisit Sasanatieng, malgré des recherches sur le net, je n'ai pu trouver ni sa date ni son lieu de naissance (bon c'est très certainement en Thaïlande qu'il est né). Mais par recoupement j'ai pu dénicher quelques informations, ainsi il est certainement né au début des années 60 puisqu'il a eu pour camarade de promotion, lors de ses études, un autre réalisateur Nonzee Nimibutr (Nang Nak) qui lui est né en 1962. C'est intéressant à savoir car comme on peut le constater sur la photo il fait relativement jeune. Il débute sa carrière dans le monde de la publicité ou il se fait remarquer pour son inventivité. D'ailleurs c'est toute une génération de publicitaires qui va passer à la réalisation puisque Pen-Ek Ratanaruang et Nonzee Nimibutr, qui sont des amis et des collaborateurs du cinéaste, viennent eux aussi de ce monde. Wisit Sasanatieng entre dans le monde du cinéma grâce à Nonzee Nimibutr qui lui demande de coécrire avec lui le scénario de son premier film : 2499 Antapan krong Muang sorti en 1997 puis en 1999 les deux réitèrent cette collaboration pour co-écrire le second film de Nonzee Nimibutr : Nang Nak, les deux longs métrages vont faire un carton au box office thaïlandais. Mais c'est en 2000 que le réalisateur décide de voler de ses propres ailes, il tourne Les Larmes Du Tigre Noir un western stylisé, très coloré et un peu kitsch, véritable hommage au cinéma thaïlandais des années 60, 70, ce sera le premier film thaïlandais à être présenté au Festival de Cannes. En 2006 il revient sur nos écrans avec Citizen Dog l'adaptation d'une nouvelle de Koynuch qui n'est autre que son épouse et s'il change d'époque, de genre il n'a rien perdu de son imagination.

Citizen Dog aurait pu être un film ennuyeux et d'une banalité extrême, la comédie romantique étant un style vu et revu, usé jusqu'à la corde, qui semblait avoir été décliné à toutes les sauces. Puis si on résume la trame principale du film, on voit qu'elle est des plus classiques. Pott, comme la plupart des héros de comédie amoureuse, est un jeune célibataire timide et réservé, plutôt pas mal mais menant une vie terriblement ordinaire (jusque là on dirait qu'on décrit les personnages de Hugh Grant dans des films comme Coup de Foudre à Notting Hill). Il enchaîne les petits boulots puis il rencontre Jin, une belle jeune fille rêveuse et gentille, évidemment il tombe amoureux d'elle mais n'ose avouer ses sentiments, tandis que cette dernière ne se rend bien sûr pas compte que Pott est éperdument amoureux d'elle. Enfin heureusement après de multiples péripéties qui manquent de les séparer ils finissent par s'embrasser, pour nous offrir une sympathique Happy End. Bref on a toutes les grosses ficelles, les gros clichés de la comédie romantique, alors avec cette description on est en droit de se demander quel est l'intérêt de ce film qui dans le fond semble raconter une histoire si classique. Et bien l'intérêt est de voir une histoire d'amour à travers les yeux d'un réalisateur totalement déjanté qui fait passer les comédies les plus originales pour des modèles de conformisme en comparaison du surréaliste Citizen Dog. Ainsi si l'on peut citer bon nombre de comédies avec une histoire d'amour semblable je n'en connais aucune où l'on assiste à une pluie de casques, où les déchets entassés finissent par former de véritables montagnes, où les zombies reviennent conduire leurs taxis motos, ou encore où les ours en peluche sont d'impayables bavards.

Alors ce film qui n'aurait pu être qu'un énième déjà vu se transforme en un Objet Filmique Non Identifié plein de poésie, de tendresse et d'inventivité, qui sous couvert d'une apparente naïveté dans un décor multicolore, nous offre un film fin et cynique menant une véritable réflexion par l'absurde. On sent dans le film l'incidence sur la réalisation du passé de publicitaire de Wisit Sasanatieng, chaque scène semble révéler un concept, une idée, avec chaque fois une invention visuelle, un traitement particulier de l'image et de la mise en scène. Par exemple pour signifier la mélancolie, la solitude du personnage principal le réalisateur a toujours recours à des scènes surréalistes, oniriques où l'on voit Pott, l'air triste et silencieux plongé au milieu d'une foule automatisée, absolument uniforme, identique : soit les gens portent tous les mêmes vêtements, soit ils scandent tous la même phrase ou chantent une même chanson ( comme c'est le cas dans la très bonne scène d'ouverture que vous pouvez voir ici). Ainsi par la force du contraste il singularise son personnage qui demeure impassible au milieu d'une foule uniforme, révélatrice d'un certain conformisme. Cette association de l'image à un concept, avec un travail sur la photographie très minutieux, la fragmentation du film en plusieurs saynètes quasi indépendantes les unes des autres, contenant chacune une idée nous rappelle fortement la logique de la publicité qui essaie de faire passer un message en un laps de temps limité en s'appuyant la plupart du temps sur un symbole original, un idée forte qui frappe l'esprit. Ici la cohérence du scénario est écartée au profit de l'imagination pure, d'un absurde assumé et burlesque qui préfère éblouir par l'inventivité, l'audace artistique avec une idée par plan, plutôt que par la limpidité, le déroulement logique de l'histoire.

Par conséquent il ne faut pas chercher à tout comprendre, à trop prendre au sérieux un film qui lui ne s'y prend pas du tout, il suffit de se laisser bercer par cet univers kitsch et délirant qui nous amène à visiter plusieurs facettes de la vie citadine à Bangkok pour finir sur des thèmes plus universels et graves. L'urbanisation outrancière de la ville est pointée du doigt, puis dans une scène hommage au film Les Temps modernes de Chaplin où l'on voit notre héros soumis au rythme infernal de la machine, le réalisateur montre la déshumanisation du travail. De même le thème de l'écologie, la rigueur de l'organisation sociale sont aussi évoqués, toutes ses réflexions sont guidées par un fil directeur, une réflexion plus universelle sur la recherche du sens de la vie, la place des rêves et des illusions dans les classes sociales peu aisées décrites dans le film. Pourtant si le film décrit un univers peu favorisé, les deux héros Pott et Jin, la jeune fille qu'il aime, sont issus d'un milieu défavorisé, peu instruit, lui est agent de sécurité, elle est femme de ménage, mais on ne sombre jamais dans le misérabilisme, il règne une permanente bonne humeur, un optimisme qui rend le film extrêmement rafraîchissant. Le cynisme présent est adouci par l'extravagance des personnages, par l'invraisemblance du scénario, et par l'originalité des effets spéciaux, des décors kitch aux couleurs vives et criardes.

C'est finalement à travers les deux personnages principaux que le réalisateur réussit à faire passer le plus d'émotion, évoquant les rêves et les espoirs de ces êtres enserrés dans une société conformiste dictant tous les comportements . Malgré l'apparente candeur de Pott un peu perdu dans cette grande ville, malgré la naïveté de Jin, rêveuse, qui vit par procuration à travers les romans photos qu'elle lit, les deux personnages revêtent une profondeur insoupçonnée car leur personnalité décalée, qui n'est pas en phase avec la réalité révèle les travers de nos sociétés uniformisées. Ainsi tandis que Pott éprouve un amour idéalisée pour Jin, cette dernière essaie ardemment de déchiffrer un livre ( le livre blanc sur la photo ci dessus) écrit dans une langue qu'elle ne comprend pas car elle est persuadée que ce livre doit changer sa vie. Derrière ces comportements assez enfantins se trouvent une réflexion sur la place du rêve dans nos vies, des rêves qui se trouvent de plus en plus gommés par le poids de société matérialiste ou le rêve devient uniformisé, impersonnel, il doit correspondre à un idéal de société, ainsi lorsque Pott confie à Jin que sa grand mère lui a affirmé que lorsqu’il arriverait à Bangkok une queue lui pousserait au derrière, cette dernière lui rétorque que cela n’est possible que pour les stars et les gens aisés mais pas pour les personnes ordinaires. Malgré son amour Pott ne peut offrir de queue, de rêve à Jin, du fait de sa situation sociale. C’est donc discrètement, par fines touches que Wisit Sasanatieng insère des thèmes de reflexion, derrière la naïveté du dialogue se trouve régulièrement un deuxième sens plus subtil et plus critique. Ces remarques plus acides sont toujours englobées dans un contexte burlesque, fantasque et surréaliste. Alors pour évoquer le desoeuvrement d’une certaine jeunesse que les parents trop occupés par leur travail abandonne à eux même, le réalisateur imagine le personnage d’une fillette de 7 ans qui fume, passe ses journées dans les centres commerciaux et vit une relation d’amour haine avec son nounours, doué de la parole qui face aux regulières crises avec sa maitresse trouve refuge dans la cigarette et l’alcool. A travers ces personnages totalement déjantés le réalisateur évoque la solitude dissimulée de toute une frange de la jeunesse. Derrière le surréalisme joyeux se trouve un message sous jacent plus sombre ajoutant une touche acidulée au bonbon coloré qu’est Citizen Dog. Certains ont comparé le film au Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain (d’où le titre de l’article) pour son inventivité et pour le fait que comme Jeunet le réalisateur utilise régulièrement des gros plans cadrés sur les visages candides de ses personnages, moi je dirais aussi que les deux ont en commun d’aborder sous couvert d’un vernis de naïveté et de rêverie la solitude et la detresse métaphysique face à la recherche d’un sens à la vie. D'aillleurs si on regarde la photo ci dessous de Jin on ne peut nier une certaine ressemblance avec Audrey Tautou dans Amélie Poulain.

Mais surtout Citizen Dog c'est une jolie histoire d'amour comme je l'ai dit au début, avec les thèmes classiques comme l'amour contrarié, la rupture, la mélancolie, les pensées obsessionnelles sur l'objet de ses rêves mais avec une touche de folie en plus. C'est original et inventif en restant toujours léger, c'est la mélancolie d'un ours en peluche qui voit sa maitresse préferer à sa compagnie un téléphone portable, c'est le désarroi d'un ex amant qui vient hurler le nom de sa dulcinée du haut des buildings de Bangkok pour la faire revenir, c'est Pott qui devient taxi car Jinn est allergique aux transports en commun. Bref l'amour, sentiment si souvent traité avec miévrerie voir simplisme est ici abordé avec une naïveté enfantine assumée, entretenu par la douce folie des personnages et par l'invraisemblance des situations et paradoxalement ce traitement candide de ce sentiment complexe fait mouche, on est ému par l'innocence des personnages qui par leur simplicité offrent un éclairage nouveau du sentiment amoureux.

Enfin il est essentiel d'aborder la réalisation, c'est la grande force du film, le réalisateur porte à bout de bras son projet lui insufflant toute sa folie. Tout d'abord il s'est chargé du scenario adaptant la nouvelle de sa femme en y injectant son imagination débridée et ses "scènes concepts". La mise en scène est très travaillée, les scènes semblent presque chorégraphiées tant la préparation est minutieuse, Wisit Sasanatieng s'appuie sur des story boards très précis, chaque détail semble étudié pour rendre le résultat plus loufoque et burlesque. Il y a aussi un enorme travail sur les décors et les costumes qui sont toujours colorés et rétro, on voit la collaboration etroite du réalisateur avec le chef décorateur, ils ont recours à un processus de colorisation pour obtenir un rendu éclatant et en effet les paysages sont mulitcolores avec des couleurs invraisemblables et cela infuse une certaine poésie qui nous enveloppe durant tout le film. D'ailleurs Rewat Prelert le directeur de la photographie effectue un travail impressionant alternant les teintes douces, pastels avec des couleurs criardes qui flashent. Le choix de la musique est d'une efficacité surprenante mélange de chansons de variétés thaï, kitch à souhait, et finalement on se retrouve à fredonner ces airs quleque peu débiles (comme la chanson du début dont je redonne le lien afin que vous puissiez voir la "gentillesse" des paroles). Mais surtout là où Wisit Sasanatieng est le plus bluffant c'est dans la direction des acteurs, il réussit à diriger un large panel d'acteurs aux personnages plus excentriques les uns que les autres en leur donnant à chacun leur originalité, à noter que la voix du narrateur est celle du réalisateur Pen-Ek Ratanaruang. Il faut saluer la prestation des deux acteurs principaux qui pourtant ne sont pas des professionnels. En effet la ravissante Sanftong Ket-U-Tong interprétant Jin est top-modèle, ce qui explique surement son regard ennivrant, en tout cas elle incarne de façon très convaincante son personnage de rêveuse éxaltée et naïve. Enfin Mahasamut Bunyaraksh qui incarne Pott, est un célèbre musicien thaïlandais, pourtant il livre une excellente prestation, son air nostalgique et rêveur colle parfaitement au personnage, il donne toute sa profondeur à Pott entrant dans la peau du type ordinaire timide, reservé, avec la tête en permanence dans les nuages. En fait le personnage de Pott m'a fait un petit peu penser au personnage de JD (interprété par Zach Braff) dans la série Scrubs, les deux partagent le même air etourdi et rêveur qui donne l'impression qu'ils ont toujours un train de retard et surtout Pott comme JD a tendance à rêver eveillé, c'est à dire qu'ils imaginent l'univers, les gens qui les entourent agissant de façon totalement délirante (cliquer ici pour voir un exemple type des rêves eveillés de JD, dans cette scène il cherche un moyen pour communiquer avec son patient qui ne parle pas la langue, pour Pott il suffit de regarder la scène d'ouverture mis en lien plus haut dans le paragraphe).

Toujours est il que Citizen Dog est un film à voir, une pépite d'inventivité et de bonne humeur ou tout est fou, tout est coloré, tout est burlesque et ou rien n'est sérieux, rien n'est tragique, rien n'est ennuyeux. Il suffit alors juste de mettre son esprit cartésien en veille, de se frotter les yeux en prévision d'une avalanche de couleurs, d'effets spéciaux absurdes, et de se masser la machoire en prévision d'un large sourire qui risque de ne pas vous lacher durant tout le film.

Nostalgic Du Cool

Pour avoir un autre avis plus concis, sur le film je vous conseille d'aller voir la critique de Mister (à moins ce que ce ne soit Master?) Ballbreaker ici



Publié dans Thaïlande

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