Vital, le nouveau Tsukamoto est arrivée. Qui s'en souvient ?

Publié le par Nostalgic-du-cool

cycle 
 
 cinema japonais

Vital, Shinya Tsukamoto, Japon, 2004.


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Voila que je me lance dans la filmographie non parue en France de Shinya Tsukamoto. En sautant (provisoirement) le très érotique Snake of June (2002), voila que je peux voir Vital, dont le titre me tentait bien plus que celui du premier. De plus, sur le net, les articles divergeaient du tout ou tout sur cette œuvre qui semble très différente des premières du réalisateur, dans la lignée de Snake of June. Bref il y avait de quoi se questionner pour le fan que je suis. Tsukamoto était il devenu sage, pâle, abandonnant ses bons vieux thèmes urbains et bleus, sa mise en scène saccadée et folle, son déchiquètement permanent du corps humain ? Allais-je voir un « vrai » film de Tsukamoto ou un ersatz raté et sans gout, que je ne pourrais pas ressortir dans un dîner en disant que c’est « une vrai expérience à vivre » ? 

A ces questions je peux déjà répondre par la négative, deux fois. Trois fois non même. Je sais que je mords sur la conclusion selon les règles académiques, mais après tout c’est un article Tsukamotesque ! La justification viendra donc après l’arrêt péremptoire : Ce film est bien du même réalisateur que Tetsuo et Tokyo Fist.

 

Hiroshi est un brillant étudiant en médecine. Un jour, alors qu’il roule avec sa petite amie, leur voiture percute un camion de plein fouet. Si lui s’en sort avec une amnésie, la jeune femme décède. Le voila donc condamné à pleurer une inconnue. Du moins jusqu’à ce que pendant un cours d’anatomie, il ait plusieurs flashback. Le corps étendu sur la table, qu’il est en train de disséquer, c’est Ryoko, son ex-petite amie. En face de lui se trouve Ikumi, une autre étudiante avec qui il a une liaison basée sur des strangulations réciproques.

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Avec un scénario très simple et bien loin de ses divagations métalliques et urbaines, Tsukamoto pose une ambiance, un ton très proches de l’épure, très minimalistes. Tout comme le jeu des acteurs. On pourrait presque arrêter la critique ici. Comme pour bien des films d’auteur (car oui ce n’est pas du cyberpunk underground mais bien un film d’auteur qui a d’ailleurs valu à Tsukamoto la reconnaissance de la critique nationale), on peut en dire très peu, résumer l’histoire au minimum et laisser le cinéphile deviner les thèmes et les images utilisés, ou alors partir dans des délires interprétatifs et verbeux. Non pas qu’il n’y ait rien à dire sur Vital, loin s’en faut. Simplement le film dégage une telle sérénité, un tel calme qu’on a juste envie de laisser imaginer les lecteurs et de leur donner envie de voir le film. Car une critique, aussi complète soit elle, ne remplace jamais un film. Ici il faudrait peut être l’écrire sous forme de haiku (vous savez ces courts poèmes elliptiques dont sont friands les japonais), tant cette forme de littérature correspondrais bien avec la mise en scène de Shinya Tsukamoto.


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  Le film, quoi qu'en disent certains des fans ou des critiques s'inscrit bien dans l'évolution cinématographique du réalisateur. Parti du noir et blanc, de la retouche image par image, d'une mise en scène saccadé et très nerveuse, s'apparentant malgré lui au genre cyberpunk (il ne s'est en effet jamais dit punk, et critiquait très souvent ses fans qui appartenait à ce monde, décriant cette jeunesse qui se laisse aller et n'essaie pas de faire évoluer les choses) par ses obsessions métalliques et industrielles, bétonneuses et urbaine, ainsi que par des BO très spéciales (signée Chu Ichikawa, qui utilisait des instrument créés à partir d'objet de récupération...), il en est venu à travailler un temps pour un studio(Hiruko), à réaliser une adaptation d'Edogawa Rampo (Gemini) sur le thème de la gémélité, puis à se lancer dans un film érotique (Snake of june) ce qu'il avait toujours voulu faire, de manière bien plus douce et sensuelle, pour enfin arriver à Vital qui se démarque assez il est vrai de Tetsuo. Après avoir beaucoup critiqué la ville, avoir montré les tréfonds de Tokyo (Bullet Ballet, Tokyo Fist), peint une campagne idyllique (Hiruko) et travailler encore plus avant sur les femmes (Snake of June, mais l'élément féminin était déjà très important dans ses premiers films, ou elle était le moteur du progrès et de la métamorphose de l'Homme), le voila qui arrive à autre chose, dans la continuité : La mort, l'amour, le rôle de la mémoire, le corps humain. Si Tokyo était jusqu'à présent l'objet disséqué, c'est ici le corps humain. La ville grouillait et vivait du flot des salary-men, le corps humain est lui aussi tortueux et plein de fluides. La méthode et le regard n'ont pas vraiment changé, Tokyo est aussi vivante et organique qu'un homme pour Tsukamoto. La mise en scène aussi a évolué, mais elle reste proche sur bien des aspects de ce qu'on pouvait analyser dans les premiers films du réalisateur. Si l’apparence, le choc visuel ont diminués d’intensité, les tics sont restés et la manière d’appréhender le monde n’a pas tellement changé. Tsukamoto filme toujours des corps, torturés ; des hommes en pleine métamorphose, qui « renaissent ». Si donc le style s’est épuré, si l’on a quitté la profusion métallique et industrielle des premiers temps, les idées sont restées. L’épure succède au fouillis, mais n’est ce pas le signe pour un réalisateur qu’il a atteint une dimension supérieure ? Qu’il parvient à dire plus avec moins ? C’est tout le propos du haiku ou des estampes, ou les espaces vides ont autant sinon plus d’importance que les parties peintes. Si certains réalisateurs cachent le vide de leur propos par un style plat et minime, on sait d’avance que ce n’est pas le cas de Tsukamoto, dont tous les films fourmillent d’idées et de réflexions sur l’humain.

 Car l’aspect sociologique est toujours présent dans ses œuvres. Il s’intéresse aux gens, à des situations données, quotidiennes, pas banales mais loin de toute science fiction. S’il n’avait jamais vraiment été membre des cyberpunk par ses idées, le voila loin d’eux par le style à présent. Il s’est clairement rapproché par contre des films d’auteurs qui usent de plus de métaphores et de symbole pour s’exprimer. Comme le fait remarquer R. Le Vern sur DVDrama, Tsukamoto semble emprunter le cheminement d’un Cronenberg, qui a mesure qu’il murit tourne des films de plus en plus sobre.


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L’industrie et la testuo-ittude ne sont d’ailleurs pas complètement absents du film, qui débute et se clôt par une scène de cheminés crachant leur panache de fumée, filmée et sonorisé à la manière d’un Tokyo Fist. Ensuite le calme revient et l’intrigue débute vraiment.

Hiroshi est pour lui-même une Terra incognita, un nouveau continent à découvrir, à conquérir même. Il se retrouve nu, comme un bébé, dépourvu comme un citadin face à une nature sauvage et indomptée. Ses souvenirs sont toujours la, dans son inconscient, et ils remontent petit à petit à la surface, à mesure qu’il fait des efforts pour les arracher à ses rêves et aux éléments qui l’entourent. C’est une odyssée mentale, une longue recherche de sensations et de sentiments à travers les chairs et les images de son ancien amour. Son passé et son présent s’entremêlent, dans la mise en scène et dans son esprit qui est tout mélangé. En disséquant le corps de Ryoko, en le dessinant très méticuleusement (à la manière d’un Leonardo Da Vinci) il espère retrouver l’âme de sa bien aimée. En accomplissant son deuil, en allant régulièrement voir la famille de Ryoko pour confirmer les bribes de souvenir qui lui reviennent, il accomplit un travail sur lui-même, sur sa conscience et sa personnalité. Son être d’avant l’accident étant aussi mort que celui de sa copine, il tente de revivre puisque son corps à été conservé de l’accident. Il essaie aussi de toutes ses forces de faire revivre Ryoko dans son esprit, de faire ressurgir la jeune femme dans sa mémoire. C’est un film sur la relation entre mémoire, corps et personnalité. La jeune femme, lorsqu’elle était encore en vie, s’exprimait la plupart du temps par des danses (saccadées, violentes, très physiques qui faisaient ressentir une grande douleur…). Morte, elle « parle » par les souvenirs d’Hiroshi. Ce dernier est et était mutique. A la manière d’un Kitano, Asano s’exprime par un visage impassible, caché derrière de longs cheveux noirs. Ryoko vit aussi par Ikumi, la jeune étudiante avec qui Hiroshi pratiquent des jeux érotiques à base de strangulation, au cours desquels il a le plus souvent des réminiscences.


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Si la violence a disparu de l’écran, s’est qu’elle s’est juste déplacée dans un univers plus mental, dans les émotions et les sentiments des personnages. La vie d’Hiroshi n’est pas vraiment physique, il vit en ascète, souvent seul. Du moins en apparence. Car ses souvenirs, qu’il arrache à son subconscient au terme de hautes luttes l’habitent et lui procure une existence intérieure très riche et débordant d’affects. On retrouve les teintes monocolores (bleue et ocres surtout, ce qui n’est pas sans rappeller Tokyo Fist) qu’il [Tsukamoto] appréciait tant dans les scènes « actuelles » d’Hiroshi, tandis que son passé se peint en touches chatoyantes et multicolores, dans une nature verte, rouge, bleue, sur la plage, au bord d’un lac, dans une grotte, où Ryoko et lui font l’amour passionnément, maculant leurs corps de terre et de sables, de feuilles et d’herbes. L’intensité que dégage le film est créée par l’opposition de sa morne nouvelle vie, plongée uniquement dans ses études et l’explosion imprévue de souvenirs puissants et colorés. Ainsi, c’est sa vie qui nous parait morte, glaciale ; alors que ses souvenirs semblent plus vivants et intéressants. Il s’agit donc d’un film introspectif qui tire sa force et sa violence de la situation peu ordinaire dans laquelle se trouve le héros.


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L’apparition impromptue d’un souvenir dans une scène quotidienne (surtout lors de celles de dissections) est signalée par l’extinction d’une mèche, qui entraîne immédiatement une réminiscence. Celle ou Hiroshi se remémore l’accident de voiture qui coûtât à la vie à Ryoko est particulièrement réussie et émouvante. On y retrouve un instant le noir et blanc qu’adore le réalisateur, son ancienne façon de filmer, même si la coloration fait plus penser à celle de Renaissance qu’à celle de Tetsuo, granuleuse et épaisse. Autre symbole insérer dans le film, de l’encore qui se dilue dans de l’eau, au début du film, comme des souvenirs s’éparpillant et disparaissant. L’image rappelle l’intro de Kwaidan, malgré une portée différente. L’encre du Kobayashi était celle qui permettait de peindre le corps d’un jeune homme pour le protéger des esprits, celle-ci pourrait être celle avec laquelle Hiroshi dessine entièrement, organe par organe, veine par veine ; Ryoko.

 On sent aussi dans ce film que Tsukamoto vieillit. Il s’est passé vingt ans depuis son premier film, et ses préoccupations se sont peut être un peu décalées. Lorsque Ryoko, proche de la mort (maladie ? on ne sait pas…) demande à Hiroshi ce dont il aimerais se souvenir plusieurs années après sa mort si c’était possible, il répond par une gaminerie « les dernières images du dernier robot martien. Les dernières images du genre humain. » Elle répond alors : « Tu as encore longtemps à vivre, tu ne peux pas répondre correctement, moi oui » Et on assiste alors à son souvenir favori : un jour de pluie, dans un parc, sous un parapluie avec Hiroshi. Elle, murmurant : Ah, ça sent si bon…

Tsukamoto, à ses débuts, ne pouvait répondre à cette question intelligemment. Il se sent apparemment prêt, alors qu’il arrive à la cinquantaine. Le film de la maturité dirait un certain humoriste. Il livre donc un film sans doute plus intime, pas intimiste pour autant car bien plus accessible qu’un Tetsuo par exemple. Il a intériorisé la violence visuelle de ce dernier pour la transformer (lui qui a si souvent montrer des hommes se métamorphosant et en montrant leur profonde humanité, malgré la monstruosité apparente) en émotion, en ressentit. En cela il est parfaitement aidé par un duo (trio même) d’acteur de grand talent. Tadanobu Asano pour commencer, qui interprète un Hiroshi à la manière d’un Kitano, avec un visage immobile, mais faussement impassible. Il transmet en effet, par on ne sait quelle magie tout ce qui se passe en lui via d’imperceptibles mouvements, une attitude, une position corporelle spécifique… C’est en grande partie grâce à lui que Tsukamoto peut livrer un film si sobre et esthétique. Il ne faut tout de même pas oublier l’actrice interprétant Ryoko, qui porte le même nom que le réalisateur mais ne partage rien avec lui. D’ailleurs elle n’est pas actrice mais danseuse de ballet, ce qui se remarque sans peine à l’écran. Elle communique plus par mouvement que par la parole, que ce soit lors des scènes d’amour avec Hiroshi ou lorsqu’elle danse pour lui sur la plage ou dans la forêt. Ces moment de grâce contrastent avec la « vie réelle » d’Hiroshi, mais surtout avec l’ambiance des Tetsuo. Ce sont surtout elles qui ont du choquer et décevoir les fans de la première heure tenant du cyberpunk qui croyaient avoir trouver leur maître à penser.


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 Toutefois le virage qu’ils ont cru voir dans ce film et le précédent n’est pas si prononcé que cela si l’on ne s’attarde pas trop sur la forme. Les femmes sont toujours des éléments déclencheurs, moteurs, qui contrebalance l’inertie (relative) des hommes. La (re)naissance, la métamorphose, le changement sont toujours des thèmes qui le passionnent. Disséquer les être humains, leur motivation, les tréfonds de leurs âmes aussi, même si cette fois il le fait vraiment (avec pudeur certes, et de façon moins choquante que la « metallisation » des hommes dans les Tetsuo). La violence est toujours la elle aussi, plus intérieure et mentale, plus sentimentale que physique, mais tout aussi forte pour le spectateur. Enfin, Tsukamoto aime toujours autant tourner en équipe réduite, et surtout faire tout ce qu'il peut dans le film: tourner, monter, jouer, filmer, diriger, etc...

 

 Tsukamoto n’a donc pas tourné sa veste, n’a pas fait machine arrière. Il est le même, mais en différent. Comme tous les bons réalisateurs, il fait le même film depuis vingt ans, mais change constamment l’habillage, à tel point qu’on pourrait croire à des virages à 90°. Mais non. Il se renouvelle, il avance, il explore, mais au fond il reste le même. Et qui nous dis qu’il ne reviendra pas vers le noir et blanc granuleux et le montage ultra nerveux après être passé par une phase qui ressemble à celle que traverse Kim Ki Duk. Nul ne le sait. Pas même lui sans doute. En attendant, la seule chose à faire c’est d’attendre sa nouvelle mue, en se demandant impatiemment « What’s next ? »

 

Fiche IMdb du film.

Article d’E. Dinkian sur DevilDead. (Après avoir vu le film et vu qu’E. Dinkian l’avait vu, je comprends mieux la présence d’un danseur dans son court métrage !)

 

Carcharoth.



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