Trois saisons, trois fois plus de raisons de voir ce film magnifique de Tony Bui !
Trois saisons est un film américain, tourné par un américain (d'origine vietnamienne), avec des crédits américains et un acteur américain. Harvey Keitel est en effet le seul personnage non vietnamien de ce film. Nous en parlons ici car il se déroule au Vietnam, a été tourné en vietnamien et surtout parle du Vietnam, pays que Tony Bui a du quitter à 2 ans... Il s'agit d'ailleurs du premier film étranger tourné dans ce pays. Des censeurs étaient présent tout au long du tournage, et chaque scène était soumise à une approbation de ces représentants de l'état. Il s'agissait d'ailleurs du premier long métrage réalisé par le jeune Tony Bui, qui avait été remarqué dans différents festivals pour son court métrage Lotus Jaune.
Trois saisons ce sont trois histoires différentes qui ne se croisent qu'en quelques points bien précis. Trois facettes du Saigon contemporains, trois tons différents pour trois ambiances différentes. cela donne un film magique, beau, sensible et simple.
Kien An est une jeune fille qui travaille sur un étang pour Maître Dao, elle ramasse des lotus blancs et les vend dans la rue. Dao, que peu de gens voient est entouré d'un halo de mystère. Un jour il fait appel à Kien An car cette dernière lui a rappellé sa jeunesse. Elle se rend compte qu'il s'agit d'un vieux lépreux, qui ne peut plus écrire ses poèmes car il a perdu ses doigts... Elle se propose alors de lui prêter les siens. Pendant ce temps, Hai, chauffeur de cyclo-pousse s'éprend de Lan, prostituée qui rêve de changer de vie et de pouvoir rester toute sa vie dans les chambres d'hôtels huppés ou elle ne passe que trop vite. James Hager quand à lui passe ses journées à fumer sur une chaise dans la rue, espérant voir sa fille passer. Sa mère est morte, et il vient d'apprendre son existence. Il est revenu au Vietnam pour faire la paix avec ce pays qu'il n'a connu qu'en guerre. Woody quand à lui est une jeune enfant exploité et obligé pour vivre de vendre des babioles dans la rue. Un jour il se fait voler sa mallette contenant les objets. il lui faut absolument la retrouver. Ces quelques personnages se croisent, se parlent au détour d'une rue ou d'un achat.
Cela donne un rythme très particulier au film, surtout que chaque personnage a un temps, une saison qui lui correspond. Hai et Lan "vivent" en été, dans la chaleur de l'amour et du désir, Kien An et Dao vivent plutot au printemps, saison de la poésie, Woody lui vit à la période des moussons. James Hager traverses ces différentes saisons au gré de ses rencontres. L'ambition de Tony Bui était de réaliser un film à la fois personnel et universel; et je crois qu'il y est très bien arrivé. La beauté et la sensibilité de son cinéma sont en effet à la portée de tous, tandis que son regard sur son pays natal, sur ce qu'il est lui appartient en propre, tout comme ce que chaque histoire, très métaphorique signifie. A chacun de tirer des enseignements, ou pas, de ces petits contes modernes, très simples, très communs mais pourtant magnifiques. Il est des choses qui ne s'expliquent pas. Pourquoi, par exemple, lorsque Hemingway ou Tony Bui racontent des choses banale cela me touche, et pourquoi lorsque Delerm fait la même chose, j'ai juste envie de lui coudre les lèvres ? Pourquoi Ozu filmant une scène de thé en plan fixe me plaît il plus qu'un film misérabiliste français ? (Il y a en fait une explications toute simples: les premiers sont des artistes, pas les autres !).
Les acteurs, tous inconnus (sauf Duong Don (Hai le cyclo-pousse) et Harvey Keitelm bien sur) sont aussi tous bons, en tous cas bien dirigés et c'est un plaisir des yeux et des oreilles que d'entendre Kien An déclamer (scander serait plus juste, le ver vietnamien semble suivre une codification rythmique) les poèmes composé par Dao, c'est un instant de jubilation de voir Hai amener Lan dans un endroit magnifique lui rappelant ses premiers amours et c'est une boule au ventre de voir Kien An accomplir un rêve de Dao après sa mort...
La réalisation est toute simple, sans grands effets, juste, calme et maîtrisée. Tony Bui s'illustre d'emblée comme quelqu'un qui va compter parmi les réalisateurs à suivre dans les années à venir, tant dans ce qu'il va tourner que dans ce qu'il va produire (un film de son frère par exemple) ou écrire éventuellement pour d'autres (ce qui serait assez dommage puisque personne ne peut mieux filmer ses histoires que lui). Les chansons des travailleuses au lotus sont à l'image du film, chantées a capela, dans le ton, sur des sujets de la vie courante, pleine de bon sens presque philosophique.
Je ne vais pas en dire plus, l'essentiel est la, il faut le voir pour apprécier.
L'interview avec Film in Review.
La fiche Imdb de trois saisons.