Prisonniers du Paradis, quand Miike fait d'un univers à la Midnight Express un conte initiatique

Publié le par Nostalgic-du-cool

cycle 
 
 cinema japonais

Takashi Miike est vraiment un réalisateur surprenant, au point que cette remarque en devient un simple pléonasme, tant le nom de Miike peut s'assimiler à l'adjectif déjanté. Mais encore une fois il m'a surpris avec ce Prisonniers du Paradis, un film inédit sorti récemment en DVD qui pourra decevoir les fans du réalisateur ultra provoc et trash, étiquette qu'on lui colle souvent. Toutefois ici il nous rappelle qu'il est avant tout un réalisateur libre, totalement affranchi des codes, un homme qui refuse de s'enfermer dans un genre, un style, un touche à tout qui a fait dans l'horreur, dans la comédie musicale, le polar, la série TV, le clip musical. Il n'est jamais là où on l'attend et c'est pourquoi je l'apprécie. Ici il revient avec un film évidement déjanté mais beaucoup plus calme, plus posé que ses films les plus fameux, pour ma part j'aime beaucoup quand Miike décide de faire des films d'une folie douce et calme, où une poésie absurde et burlesque pointe, où le beau flirte avec le fou. Ce film permet de mettre l'accent sur des aspects recurrents de son cinéma avec des personnages en dehors de la norme, un humour burlesque, la réflexion sur la société japonnaise et l'analyse par l'absurde des relations humaines. Des thèmes que bien souvent on passe à la trappe ne retenant de ses films que l'aspect visuel complétement barré, défiant les conventions ou la logique.



Pour ma part je trouve qu'avec ce film au calme tout relatif on revient à l'essence de son cinéma, un film s'adressant plus aux vrais amateurs du réalisateur et moins aux fans d'excentricité trash. D'ailleurs Jean Pierre Dionnet dit de ce film que c'est l'un des plus beaux de sa filmographie et je suis assez d'accord, avec une belle leçon de cinéma : nul besoin de choquer pour surprendre. Etre libre n'est pas forcément être toujours choquant en jouant avec les limites mais pouvoir choisir de ne pas l'être. Ainsi sans se trahir mais en se renouvellant Miike signe ici une oeuvre belle, tendre et émouvante sur l'amitié, la perte des repères, des valeurs, le faux semblant, pleine d'une étrange poésie et saupoudrée d'une légère folie caractéristique. Pour moi ce Prisonniers du Paradis plongée surréaliste dans l'univers carcéral d'une prison des Phillipines est l'un des meilleurs films du "Fou Filmant" maitrisé, intelligent, un conte tendre et cruel qui s'attache à nous dérouter en brouillant les repères pour mieux nous émouvoir. Ici la trahison forge les amitiés, les mauvais ne sont pas toujours ceux que l'on croit, l'aliénation n'est pas forcément là où on l'attend, la liberté est plus cruelle que ce que l'on pense. ce film est l'adaptation libre d'un roman par un réalisateur plus libre que jamais, libre de faire un cinéma au sérieux relatif, à la tendresse assumée et à la poésie absurde.


"Du moment que tu paies tout est possible."

Le début du film n'est pas sans rappeler un certain Midnight Express. Kohei un salary man japonais travaillant pour une grosse boite nippone se trouve incarceré à tort dans un pénitencier Philippin baptisé Paradise pour detention de drogue ce qui dans ce pays entraine des peines extremement lourdes (comme dans Midnight Express). Il découvre alors un univers étrange dans cette immense prison surpeuplée, paradoxe où les individus bénéficient d'une liberté quasi totale. Un lieu où surtout si l'on a de l'argent on a ce que l'on veut, une plus grande cellule, des armes, des filles voire même l'autorisation de sortir. Un lieu de permissivité excessive, rongée par la corruption la plus absolue. Notre japonais est un peu perdu au départ mais il va vite être accueilli par ses compatriotes de la prison qu'on laisse tranquille car ils sont riches mais qui sont mis à l'écart car les japonais considérés comme arrogants et supérieurs sont peu appréciés. Ici Miike nous rappelle que les japonais ne sont pas du tout appréciés dans le monde asiatique qu'ils ont dominé et pas mal méprisé durant des décennies par leur puissance militaire puis économique. Kohei se retrouve alors à fréquenter des japonais qu'il y a peu il méprisait, se trouvant coincé entre un ancien trafiquant de drogue, un docteur arrêté pour pédophilie, un fou assez surexcité dont on ignore le passé et une belle japonaise braqueuse de banques. Puis il va surtout rencontrer Yoshida une sorte de caïd qui se planque d'on ne sait qui, dans cette prison (quelle idée de cachette !) où il vit royalement, avec des maitresses, de divers traffics dont la drogue où il voudrait justement embrigader notre jeune businessman. Toutefois Kohei refuse car il est confiant, il se sait innocent et il compte sur sa boite et sur sa femme pour l'aider à le sortir de cette situation grotesque et s'eloigner de ces malfrats paumés.



Mais rapidement Kohei va s'appercevoir que sa situation est bien plus épineuse que ce qu'il avait cru, en effet son procès risque de reposer plus sur des pots de vins que sur son innocence. Ensuite le soutien inconditionnel de sa boite et de sa femme s'effrite rapidement, on apprend assez vite qu'ils sont surtout interessés par le million de dollars caché par Kohei avant son arrestation et avec lequel il devait arroser un homme politique influent. C'est donc rapidement le début des trahisons, ses liens avec l'extérieur se délitent. Miike met alors le doigt sur un problème crucial, dans une société japonaise où l'on trouve sa place dans le travail, la famille que devient on sans repère familiaux ou professionnels? Paradoxalement en prison il se retrouve perdu car trop libre, détaché de tout lien dans un lieu de perdition où la tentation de l'argent facile est forte. Cette "infernale liberté" car pervertie est très bien résumée par un des personnages petit escroc qui souhaite que Kohei l'aide dans ses magouilles. Face à son refus il lui rétorque "Tu es libre ! Amuse toi et deviens un enfoiré toi aussi !". En effet Kohei se trouve happé par ce nouveau système sans soutien exterieur et dans un lieu de corruption absolue où les valeurs classiques n'ont plus cours. Il commence alors à se lier avec ces truands japonais, des magouilleurs assez pathétiques qui vont parfois essayer de le trahir (un de ses compatriotes va même tenter de le vendre à un traffiquant d'organes). Il commence à les fréquenter par commodité, trainant avec Yoshida, il a accès à des toilettes propres et non plus aux immondes pissotières de la prison (scène de pure délire burlesque Miikien), aussi il peut sortir du pénitencier le temps d'effectuer des traffics, il suffit de donner sa part au directeur de la prison.



Progressivement Kohei va se faire à cet univers devenant un peu truand et se liant d'amitié avec cette bande peu recommandable. C'est ce qui fait toute la beauté de la chose, au lieu de rester suspicieux et prudent vis à vis de ces japonais escrocs, aliénés, pervers sexuel il va s'en rapprocher, il n'a rien à voir avec eux et pourtant il va s'attacher à ces hommes peu fréquentables. mais finalement dans cet univers quasi amoral le film mène une reflexion sur les vraies valeurs. Ainsi lors d'une scène entre Kohei et un gros arnaqueur philippin que le japonais méprise ce dernier lui rappelle que lui escroque des riches tandis que sa société sous son apparence lisse effectue des tractations malhonnêtes (rappellons que Kohei devait acheter un politicien) pour conserver leur marché. Finalement les pires salauds ne sont pas ceux qu'on croit, les nouveaux amis de Kohei sont certes peu fréquentables mais peut on dire mieux des soit disants amis de l'exterieur de Kohei, bassement interessés qui le laissent tomber. C'est donc une amitié à la limite de l'absurde qui va se forger entre ces types en dehors de la norme et c'est ça qui est touchant. d'autant qu'ils vont tous se réveler être d'une belle humanité : c'est d'abord l'escroc qui est toujours amoureux de sa femme qu'il continue d'appeller au téléphone même si elle ne repond plus, ou le docteur attiré par les enfants qui n'hésitera pas à se mettre en danger pour justement sauver des enfants ou encore le caïd qui refuse de fuir seul en laissant sur les lieux ses compatriotes. L'adversité les a rapprochés, les petits mensonges et trahisons qu'ils ont pu commettre n'ont finalement fait que reserrer les liens et quand une bande de yakuzas va débarquer pour descendre Yoshida (le caïd) c'est toute la bande qui va s'enfuir n'abandonnant personne.

Dans un lieu sombre et déshumanisant c'est cette amitié brillante mais folle, cette solidarité surréaliste qui sauve nos personnages. Kohei l'affirme bien "Mieux vaut être trahi que trahir" cette morale il l'a découverte dans cette prison sordide et non dans la société japonaise, c'est en se retrouvant face aux trahisons qu'il a découvert le véritable sens de l'amitié. Desormais amis, nos héros vont fuir la bande de yakuzas (yakuzas completement tarés au passage avec un chef aux délires sexuels typiquement miikien) cela donne lieu à un final completement fou dans la jungle philippine avec une sorte de happy end si surréaliste et déjanté que l'on a du mal à y croire. Bref c'est un conte reflexif mais délirant sur l'amitié, les paradoxes de la liberté, la porosité des valeurs morales, un film ouvertement décalé. Une oeuvre humble qui prône l'amitié entre les pays asiatiques (le réalisateur d'ailleurs affirme être asiatique et non japonais), leçon d'intégration avec dans la première partie notre héros qui s'accroche desesperement à ses racines avant de se reveler quand il s'ouvre au monde. Nos amis japonais quelque peu arrogants reçoivent une belle leçon d'humilité où c'est le pays qui les a enfermés qui va finalement les liberer.



Comme je le disais c'est un film plus calme, la réalisation est plus sobre mais cela n'enlève rien à son efficacité car l'intrigue gagne en cohérence. Puis la griffe est toujours bien présente on retrouve toujours ce savoureux humour du non sens, des scènes à l'originalité quasi insolentes et ce don si particulier que Takashi Miike a pour depeindre des personnages déjantés, minables mais attachants. Un film intelligent et drôle servi par un casting royal mais surprenant. Mention spéciale à Kojji Kikkawa rockstar reconvertie ici en acteur qui incarne à merveille ce salarié paumé et à Tsutomu Yamazaki grand acteur qui a quand même tourné dans plusieurs films de Kurosawa qui met ici son sérieux au profit du délire, campant Yoshida, le caïd un peu raté à la fois inquiétant, pathétique et émouvant. Bref les deux ne semblaient pas avoir la carrure pour leurs personnages et pourtant ils sont bluffants, comme quoi les apparences peuvent être trompeuses et c'est ce que s'ingénie à nous montrer ce Prisonniers du Paradis, fable sur l'humanité en milieu inhumain, sur la liberté en milieu carcéral, invraisemblablement réaliste et tristement optimiste.



Une oeuvre discrète, film très beau, à part, et qui pourtant s'intègre parfaitement dans la filmographie de son réalisateur, il peut faire penser à Bird people In China avec les aventures d'un salary man hors du Japon, ou encore à Dead Or Alive 2 autre fable poétique sur l'amitié. Pour moi c'est l'un des plus réussis du réalisateur, pour d'autres ce ne sera que l'un des nombreux films de ce réalisateur prolifique donc inégal qui réalise trop et donc parfois trop mal. D'ailleurs la faible diffusion du film leur donnerait presque raison... Moi je tiens à remercier Takashi Miike qui dans un monde du culte de la performance et de la réussite ose faire des films non formatés, ose chuter, rencontrer des échecs, qui ne craint pas de se faire massacrer par les critiques ou menacer par les distributeurs. Un proverbe japonais affirme bien : "on apprend peu par la victoire mais beaucoup par la défaite", et dans ce film on découvre pas mal de choses sur l'amitié, sur la vie et peut être sur nous mêmes. L'histoire jugera donc peut être ce film méconnu et noyé dans la masse comme un raté alors ce sera surement le plus superbe échec qu'il m'ait était donné de voir. Enfin toutes ces divagations pour dire que Prisonniers du Paradis est certainement un chef d'oeuvre !

Nostalgic Du Cool

(Bon allez savoir pourquoi allociné ne trouve pas la fiche de son propre film qu'elle évoque pourtant sur cette page et qu'elle intègre dans la filmographie du réalisateur, hélas les voies de l'internet sont impénétrables.... par contre mais vous l'avez surement deviné je lui met une note de 4 étoiles ! ****)



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