La Marque du tueur (Branded to kill), Seijun Suzuki, 1967

Publié le par Nostalgic-du-cool

# 5 Branded to Kill (la Marque du tueur), Seijun Suzuki, 1967





Branded to kill est l'un des films les plus connus et les plus appréciés de Suzuki, réalisateur culte d’œuvres populaire (film B?). Avec Tokyo Drifter, tourné en couleur, Branded to Kill forme un bon résumé du style et de la puissance du style du réalisateur durant la fin des années 1960. Viré de la Nikkatsu (studio pour lequel il aura réalisé pas moins de 42 films à une vitesse époustouflante) car il devenait incontrôlable et réalisait des films trop peu rentable et éloigné de la norme, Suzuki est un électron libre, un représentant de ce que l'on pourrait nommer la nouvelle vague du film de seconde catégorie. Brisant les codes, la grammaire classique du cinéma, il réinvente le film d'action dans un tourbillon d'images, de musique jazzy et de vapeur de riz !


L'histoire est celle de Hanada, un tueur à gage classé N°3 par l'organisation des malfrats japonais. Il accepte d'aider l'un de ses collègues, mais l'opération est un échec et son ami meurt. Il rencontre alors une jeune femme, Misako, dont il s'éprend et pour qui il accepte de tuer un homme dans des conditions dangereuses. Nouvel échec, puisque l'homme est juste blessé mais qu'une femme qui passait par la meurt. A partir de ce moment il se sait condamné par ses pairs qui vont tous tenter de le tuer, y compris le mystérieux N°1, surnommé le fantôme et que personne n'a jamais vu. La dernière demi heure est d'ailleurs consacré au duel psychologique et armé que se livrent les deux tueurs.


Scénario classique me direz vous, mais il ne faut pas trop s'y attacher lorsqu'on voit le film qui n'est en rien aussi simple à comprendre. Suzuki se livre en effet à une destruction narrative assez impressionnante, il nous entraîne dans le monde de ses tueurs sans nous prévenir, rien n'est amené de manière classique, la mise en scène est résolument moderne, éclatée, se livrant à des jeux d'effets, à des transitions improbables mais travaillées, bref la mise en place des grands axes du scénario est unique en son genre (surtout pour l'époque). L'histoire est donc assez complexe au final, et ardue à bien saisir du premier coup. Le réalisateur se livre à un grand travail de remise en question de la narration au cinéma, essayant de se détacher de la manière occidentale de faire pour en inventer une autre, plus dynamique, plus propre au septième art, moins littéraire, plus vivante et basée sur les images et leur sens. On a parfois rapproché Suzuki de Godard dans cette volonté de bouleverser la façon de filmer, mais si le français l'a beaucoup intellectualisé et conceptualisé, le japonais n'en a tiré que cette force, cette rage dans la façon de faire vivre son film.




De ce fait écrire une analyse de Branded to Kill se révèle être une véritable gageure, puisque pour être complète il faudrait qu'elle embrasse toutes les scènes des 90 minutes du film, ce qui bien sur serait ici un brin fastidieux. Sans voir ce film il est en effet assez difficile de comprendre qu'un des réalisateurs qui a profondément marqué et changé la façon de concevoir le cinéma au Japon dans les années 60 était Suzuki, employé par la Nikkatsu pour faire des films grand public d'action et sans prétention auteurisante. C'est bien pour cela que j'ai minimisé la comparaison avec Godard, et la nouvelle vague française dont les réflexions étaient menées dans les Cahiers par des intellectuels. Non pas que je veuille dire de Suzuki qu'il était un âne bâté, mais sa démarche, le cadre dans lequel elle s'est opéré et surtout les résultats qu'elle a donné sont bien différents. Nouvelle Vague et série B, voilà un mélange peu commun pour nous et qui pourtant au Japon semblerait presque normal. On a vu que Wakamatsu, lui aussi l'un des grands chambouleurs du septième art nippon opérait à la même époque dans un registre très underground, en marge des grands classiques et dans un genre déconsidéré par la critique « normale ». Lui aussi a d'ailleurs du quitter la Nikkatsu.


Cette banale histoire de compétition entre tueurs professionnels vire donc sous la patte de Seijun Suzuki au manifeste noir et blanc pour une nouvelle façon de voir le cinéma d'action, le thriller. Si le début semble un peu brouillon au spectateur non avertit, il est forcé de reconnaître la maîtrise puis le tour de force réalisé par Suzuki dans la suite du film. Dès que l'intrigue se met en place, que l'on parvient à saisir le fil et à entrer dans l'ambiance et le ton du film, tout s'éclaire et ce qui apparaissait comme des jeux futiles de réalisateur devient tout à coup une idée géniale, une façon de mettre en scène novatrice et puissante. La fin notamment, où les deux tueurs s'affrontent, s'épient et se livrent à une lutte psychologique de tous les instants est passionnante. La musique, un peu déroutante (pas de Hans Zimmer par ici!) et très jazzy colle en fait à merveille à cette drôle d'ambiance qu'installe Suzuki, à mi chemin entre le thriller psychologique et le gun fight movie.


Son [Suzuki] acteur fétiche, Jo Shishido excelle encore dans son rôle de tueur, accompagné par deux femmes (Mariko Ogawa et Anne Mari) à la forte personnalité qui détermineront son avenir et le pousseront vers son destin... Dès le début on sent le rôle fondamental des femmes dans ce film, bien qu'à l'écran on ne les voit pas très souvent, hormis dans quelques scènes d'amour dont la mise en scène est d'ailleurs elle aussi nouvelle et peu académique, notamment dans la manière de les amener, de les imposer au spectateur.




Branded to Kill (la Marque du Tueur) c'est donc du pulp nouvelle vague, du film de tueur avec flingue filmé dans un noir et blanc puissant avec une mise en scène époustouflante, déroutante, un monument du cinéma japonais, une étape essentielle qu'il ne faut pas rater et un réalisateur qu'il ne faut pas laisser de coté malgré les Oshima, les Imamura, les Kurosawa et autres grands classiques.



 Carcharoth


L'article de Wildgrounds





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