Locataires, une histoire d'amour pas comme les autres.
Locataire est un film de Kim Ki-duk, tourné en 16 jours, monté en 10, et écrit en 1 mois. Le résultat est pourtant époustouflant de sensibilité, de profondeur et de qualité (Lion d'argent à Venise).
On peut y voir Lee Seung-yeon et Lee Hyun-kyoon (Hee Jae), qui incarnent les deux principaux personnages. L'un, Tae Suk, est un jeune homme apparemment sans foyer, et qui dort et vit tous les jours dans une maison différente: Il passe le matin, sur sa moto, et accroche aux portes des pancartes publicitaires. Quand il repasse, bien plus tard, seules les portes "inutilisés" portent encore sa marque: il en choisit donc une, y passe la nuit, s'imprègne de son atmosphère, lave son linge, nettoie ce qu'il a sali, et repart, sans se faire remarquer. Il aime bien se prendre en photo dans les lieux les plus caractéristiques du foyer. Tout fonctionne à merveille jusquau jour ou il rentre dans le domicile de Sun-hwa et de son mari Min-gyu. Ce dernier, un homme qui a réussi mais qui semble oppressé par le système, est un être assez violent, qui s'énerve assez vite et qui bat sa femme régulièrement. Quant il entre dans le salon, le mari est absent, mais la femme, battue, se repose dans sa chambre. Elle l'observe, mais n'appelle pas les secours ni son mari. Elle finit même par se montrer, ce qui provoque la fuite du jeune homme. "Hanté" par la vision de cette femme battue, il décide de revenir sur ses pas, et de la sortir des griffes de son mari. Féru de golf, il décoche quelques balles blanches dans le ventre du conjoint, et part avec la femme, sur sa moto. Naît alors une relation étrange, muette, entre ces deux être. Jamais une parole de sera échangé dans tous les film, ce qui oblige le réalisateur a inventer de nouveaux signes, de nouveaux codes pour montrer l'amour et la tendresse que se portent ces deux personnes. Les spectateurs qui détesterait les films bruyants, hurlant, adoreront donc au moins cet aspect du film: Doux, sans heurts sonores, et très beau.
Après quelques premières minutes, calmes, poétique (j'ai même lu "mièvres" dans quelques critiques), la violence fait son apparition: Le mari bat sa femme, Tae Suk blesse le mari: Le cycle est lancé: Après avoir assisté aux débuts de la relation des deux nouveaux "locataires", on se retourne vers le mari, qui grâce à ses contacts, fait retrouver sa femme par la police, puis se fait livrer Tae Suk, à qui il décoche (devant sa femme) une série de balles de golf à bout portant, se vengeant ainsi amèrement de ce dernier. Celui ci sera ensuite emprisonné pour enlèvement. Jamais on ne l'entend se plaindre, ou se défendre. Il s'entraîne à passer inaperçu, se cachant aux yeux des gardiens (dans une cellule cubique), sans pour autant essayer de fuir. Il perfectionne son "art" jusqu'au jour de sa libération, et se rend directement chez son amante (qui est retourné vivre chez son mari qui lui a promis de ne plus la battre et d'être plus attentionné: on comprend à sa réaction que quelque part, elle l'aime aussi). Il peut ainsi voir Sun-hwa tout en évitant son mari, aux yeux de qui il se cache.
Avant son entrée en prison, lui et Sun Hwa avait fait l'expérience de la mort: il avait pénétré dans le logement d'un homme, mort seul chez lui, l'avait enterré selon les règles, et avaient prévenus ses enfants...
Film symbolique et poétique s'il en est, Locataire ne tombe pas pour autant dans la simplicité ou la facilité: la première partie peut sembler naïve et sans goût, mais elle ne fait qu'annoncer la suite, présentant brièvement le personnage central: Tae Suk. La rencontre de ces deux êtres va les transformer, chacun sauvant l'autre à sa manière.
Le symbole, encore le symbole: le golf, sport bourgeois, se retourne contre son représentant (le mari de Sun-hwa) qui le réutilisera tout de même pour se venger, montrant ainsi qu'en fin de compte c'est lui qui le maîtrise toujours.., le portrait nue la jeune femme, qui est découpé, fragmenté puis caché montre les pérégrinations spirituelles du personnage. Enfin, Tae suk, énigmatique jeune homme (ayant fait des études comme l'interrogatoire des flics nous l'apprend), SDF par choix...
Les thèmes de la rencontre, de la solitude, de l'aliénation, de l'amour sont ici magnifiquement abordés, toujours de façon très spirituelle sans pour autant être "intellectualisante". La violence, la mort, l'amour, triptyque souvent utilisé par Ki-duk est a nouveau présent.
"Nous sommes tous des maisons vides, attendant que quelqu'un ouvre la porte et nous libère"
Carcharoth