La harpe de Birmanie (Biruma no tategoto), Kon Ichikawa, 1956

Publié le par Carcharoth

La harpe de Birmanie (Biruma no tategoto), Kon Ichikawa, 1956

 

 

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« La musique est une révélation plus haute que toute sagesse et toute philosophie »

Beethoven

 

« Sans musique la vie serait une erreur »

Nietzsche


 

Réalisateur de près de 90 films, Kon Ichikawa est mort en 2008. Il était alors reconnu comme l'un des plus grands réalisateurs japonais vivant par la critique internationale. L'une de ses œuvres la plus connue est La Harpe de Birmanie, adaptation d'un roman-feuilleton de Michio Takeyama (portant le même nom) dans lequel l'auteur, traducteur en Japonais de Nietzsche ou Schweitzer défendait une position humaniste et pacifiste. Ichikawa bien sur est resté fidèle à cette vision et offre le plus serein, le plus pacifiste des films de guerre.

On pourrait dire qu'il existe trois types de film de ce genre : ceux qui la glorifient où du moins ne cherche pas à avoir un regard critique à son [la guerre] égard et essaie seulement de divertir à grand coup d'épandage de testostérone. Ceux qui, en en montrant les horreurs et les absurdités espèrent en dégouter les spectateurs (on songe ici à Kubrick ou, coté japonais à la Condition de l'homme de Kobayashi, ou à Pluie Noire d'Imamura). En dernier lieu il y a quelques rares œuvres qui prennent le parti peut être un peu utopiste, en tout cas empreint d'idéalisme de ne pas dresser un portrait trop horrible mais de porter haut les couleurs de pacifisme et de la fraternité. La harpe de Birmanie est de ces films.

 

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Nous sommes en 1945, une compagnie japonaise fuit le front en s'enfonçant à travers les forêts birmanes. Sa principale préoccupation n'est pas de se battre ou d'éviter de se faire tuer mais de trouver à manger, car les ennemis sont quasi absent. Tout juste redoute-t-elle les espions et les pièges des anglais. Un jour, alors qu'ils sont encerclés par une troupe anglaise, ils apprennent que le Japon s'est rendu et font de même. Alors que le gros de la compagnie est envoyé dans un camp militaire, Mizushima doit accomplir une dernière mission : convaincre une compagnie nippone réfugiée dans une montagne de se rendre avant que les alliés ne bombardent la position. Il se heurte au fanatisme le plus pur de ses compatriotes qui meurent presque tous dans l'assaut. Lui survit et est recueilli par un moine local. Ce choc et cette rencontre vont modifier sa façon de percevoir la guerre et la vie. Il refuse alors de rentrer au pays avec ses camarades, qu'il a retrouvé, se sentant obligé pour un temps de resté sur le sol birman.

 

Car si j'ai dit que ce film se rattachait à la dernière des catégories que j'avais dégagé du film de guerre, c'est bien par des tas de cadavre et des charniers à ciel ouvert que Mizushima est bouleversé. On s'en étonne d'ailleurs, lui le soldat ne devrait-il pas être habitué ? Il est vrai qu'au début du film on ne les voit jamais se battre, seulement chanter pour se mettre du baume au cœur. Soldats ils ne paraissent pas l'être, et au lieu d'une compagnie ou dirait plutôt une chorale, puisque le capitaine est chef de cœur est que Mizushima joue de la harpe. Le film est d'ailleurs rythmé par les chants des soldats et la musique de Akira Ifukube.

La musique adoucit les mœurs c'est bien connu, elle sert ici même de drapeau blanc aux soldats. Une première fois lorsque, encerclés par les anglais la compagnie nippone se met à chanter pour faire croire à leurs adversaires qu'ils ne les ont pas vu et se préparer au combat en toute discrétion (ce qui les sert doublement, puisque les anglais déjà au courant de la reddition du Japon leur répondent et viennent leur annoncer la nouvelle sans coup de fusil). Et une seconde fois, plus littéralement quand Mizushima tente de se servir de sa harpe comme manche d'un étendard blanc... tentative infructueuse qui se solde par la mort des soldats. De manière générale dans le film, cette harpe servira de langage au héros Mizushima, traumatisé par ce qu'il voit en se réveillant du bombardement allié. Elle lui permettra de communiquer avec ses anciens compagnons, tout comme les aras qu'ils s'échangeront via une petite vieille qui fait du commerce avec les prisonniers. Encore un symbole de la bonne entente entre des populations qui étaient pourtant en guerre.

 

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Mais comme le dit un moine à Mizushima, la Birmanie est toujours la Birmanie même si japonais et anglais s'y sont affrontés. « Le sol de la Birmanie est rouge et tels sont aussi ses rochers » Sentence qui ouvre et clôt le film et peut servir à interpréter le film comme une quête spirituelle du jeune Mizushima. Au sol rouge et à la poussière dans laquelle baigne la compagnie et le pays tout entiers (surtout les charniers et la montagne), le rouge se retrouve dans un rubis birman que trouve le soldat-moine, symbole de l'âme d'un défunt selon un paysan. Passage dans l'esprit bouddhiste du monde impermanent et violent à celui du nirvana, parfait et vers lequel il faut tendre.

Ce monde sans défaut, on a presque envie de le voir dans cette fraternelle compagnie de soldats, sans vrai hiérarchie et où à l'annonce de la reddition du pays le capitaine livre pour seul discours à ses homme un hymne au courage et à la reconstruction sans aucun esprit de revanche.

 

Bref dans la Harpe de Birmanie les hommes sont en général bons et sympathiques, tolérants et ouverts. Seuls les soldats fanatiques de la montagne sont irrécupérables et meurent d'ailleurs du fait de la guerre qu'ils ont provoqués. Ces soldats sont la seule évocation des horreurs de la guerre et de l'idéologie puante qui a poussé le Japon dans la guerre. Ichikawa ne se répand dessus, il préfère laisser son film voguer au son des treize cordes de la harpe birmane de son héros. La fin, sorte de manifeste spirituel de Mizushima est émouvante et ne peut laisser indifférent.

 

La Harpe de Birmanie est un film simple, beau, envoutant même ; au rythme assez lent avec un arrière plan spirituel, pacifiste et serein qui semble assez paradoxal pour une œuvre traitant de la guerre. Ichikawa s'y affirme en très bon cinéaste et livre un film de grande qualité, émouvant, proche du chef d’œuvre.

 

 

 

Carcharoth

Publié dans Japon

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C
<br /> Oui en effet, Ichikawa est dignement édité en France, même si très tardivement.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> Un très beau film, et une belle édition DVD<br /> <br /> <br />
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