La Fin du printemps (Banshun / Late Spring), Yasujiro Ozu, 1949

Publié le par Carcharoth

La Fin du printemps (Banshun / Late Spring), Yasujiro Ozu, 1949

 

 

 

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Yasujiro Ozu a réalisé la plupart de ses films avant la guerre, mais seules ses œuvres postérieurs à 1945 sont bien connues et diffusées hors du Japon (pour celles qui n'ont pas été définitivement perdues entre 42 et 45). Curieux paradoxe qui voit un réalisateur très apprécié pour des œuvres à présent invisibles et connu surtout pour la part émergé de son iceberg filmographique, partie qui n'est sans doute pas celle qu'il appréciait le plus.

La Fin du Printemps se situe dans cette dernière partie (41ème film sur 54), quatre ans après la fin de la guerre, Ozu réalise un de ses meilleurs films et livre l'un des plus beaux shomingeki jamais tournés. Ce genre, le shomingeki pourrait se définir comme film domestique mettant en scène la plupart du temps des familles modestes ou de la classe moyenne qui lutte pour évoluer dans la société ou pour faire face à certains impératifs sociaux et aux divers coup du sort. C'est un genre urbain, familial, qui touche la cellule famille et décrit le quotidien de quelques personnes dans une ambiance plutôt positive, où l'homme est naturellement bon et essaie de s'en sortir. Ozu ou Kinoshita sont les deux représentants les plus souvent cités de ce genre.

 

banshun1La Fin du Printemps est l'histoire de Noriko et de son père (Shukichi). Cette dernière a atteint l'âge où au Japon il ne fait pas bon être célibataire pour une jeune fille. Son père, professeur d’université qui n'aspire qu'à vivre heureux avec elle mais qui connait les convention et sa tante la pousse à se choisir un époux digne d'elle. Devant ses refus, son père lui ment en affirmant qu'il la remplacera par une nouvelle épouse (la mère de Noriko est morte il y a longtemps) qui prendra bien soin de lui et qu'elle n'a pas à s'en faire. Triste et en colère, elle accepte de rencontrer l'homme que sa tante lui a trouvé dans une bonne famille. Le mariage est ensuite arrangé, Noriko quitte son père non sans que celui ci lui ait bien répété de penser à elle et à son bonheur.

 

On est bien dans du Ozu ici, et je comprend parfaitement que ce film serve d'exemple lorsqu'il s'agit de définir le style propre au réalisateur. Ses thèmes, sa façon de filmer tout est ici réunis pour faire de La Fin du Printemps un archétype Ozu-ien.

Le réalisateur développe en effet ici une réflexion sur le mariage, et à travers lui une réflexion plus importante sur les rapports entre modernité et tradition dans la famille japonaise moyenne de l'immédiat après guerre, thème qui sous tend une grande partie de son œuvre (puisque la « modernité » occidentale est implanté au Japon depuis 1868). Le titre du film est lui même en rapport direct avec le mariage, puisque c'est Noriko qui va bientôt entrer dans son été en quittant le printemps « saison » de la vie où l'on doit se marier.

Il faut d'ailleurs souligner l'habileté et la finesse d'Ozu, qui loin de cantonner chaque personne dans un rôle conforme à son âge s'amuse à mélanger modernité et tradition dans les différentes couches sociales. Noriko, l'héroïne est justement bien plus vieux jeu qu'un ami de son père, remarié et qu'elle trouve impur et sale. Elle souhaite vivre sa vie aux cotés de son père pour prendre soin de lui. D'un autre coté le mariage arrangé ne lui plait pas et elle se vêt et vit comme une occidentale ou presque. Les cafés ou elle va on des noms européens et la route ou on la voit circuler à vélo a des pubs Coca-cola sur ses bas cotés. Bref aucun personnage n'est entièrement traditionaliste ou tout à fait moderne. Le père par exemple discute lors de la scène d'introduction de l'orthographe de List, économiste de renom qu'il ne veut pas confondre avec Lizst le musicien. Et sur la fin on le voit lire un livre de Nietzsche, auteur qui n'est pas tout à fait japonais. Seule la tante de Noriko à l'air plus proche de la tradition que les autres. C'est elle qui arrange le mariage, elle est toujours en kimono et voit un bon présage dans le fait de trouver un porte monnaie lors de sa visite au temple avec le père de Noriko.

 

banshun1Ozu a d'ailleurs eu affaire avec la censure américaine qui ne voulait pas entendre parler de mariage arrangé (trace de l'époque féodale et impériale pour l'occupant) ou des références faite à la présence de l'armée de GI's ou encore aux dommages de la guerre. Le réalisateur du donc ruser et indiquer ces choses ci par périphrase ou ellipse. Le panneau « 30 tons » lors de la balade à vélo de Noriko ne la concerne pas directement mais indique par contre que des convois militaires passent régulièrement. Ou encore on entend parler du travail forcé de Noriko durant la guerre. Concernant les lieux ou les usages des personnages du film, on peut par contre les considérer comme plutôt traditionnels : Jardin zen, temple, théâtre No, intérieur sans mobilier européen, cérémonie du thé longuement décrite... Le réalisateur était plutôt conservateur dans la vie de tous les jours, dans sa façon de faire les films et dans ce qu'il dit à travers eux... Enfin le débat entre critiques spécialiste du gusse fait rage, mais ce film ferait plutôt pencher la balance vers un traditionalisme modéré et bon enfant.

 

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Ozu aurait choisit, après deux films un peu différents et mal reçus par la critique de ré-affirmer son style dans ce genre qu'il appréciait. On y redécouvre donc ses plans fixes, ses cadrages proches de la photo, ses mises en lumières parfaite, l'importance de la musique et de quelques éléments extérieurs pour décrire l'humeur des personnages. La scène au théâtre No est superbe dans son genre, elle ose des choses aujourd'hui invisibles et qui montrent une immense maitrise alliée à une sensibilité rare. Celle de la cérémonie du thé n'est pas mal non plus, tout comme la dialogue entre le père et la fille qui résume tout le film en quelques mots bien choisis. Il faut aussi souligner l'absence de scènes, une absence voulue ou contrainte mais toujours réussie et parfaitement intégrée. On ne voit pas le mariage, ni le marié qui ressemble à Gary Cooper (du moins selon la tante que l'on doit croire sur parole) où bien d'autres moments clés et qu'Ozu choisit d'ellipser. Osé, mais réussi.

 

Un must see donc, tout en finesse, en douceur, en mélancolie calmement joyeuse, en maitrise et en tranquillité. Un film serein et beau. Rare.

 

 

 

 

Carcharoth

 

 

Publié dans Japon

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