L'hirondelle d'or (Come drink with me), le premier Wu-xia moderne par King Hu.

Publié le par Nostalgic-du-cool

L’hirondelle d’or (Come drink with me / Da Zui xia ), King Hu, HK, 1966.


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Il est des films dont on ne saisi l’aspect culte qu’avec un lourd passif, une culture cinématographique ancienne et complète, un sens aigu du 7ème art, une vision qui va bien au-delà du simple divertissement et du jugement de prime abord. Bref, une conception du cinéma qui passe outre l’histoire et va chercher dans les techniques, l’histoire du film et la volonté de son réalisateur des qualités que l’on n’avait pas même soupçonner au long métrage. Un peu ce que font les Cahiers en France. « Come drink with me » est l’un de ces films.


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 Vu une seule fois, et de façon fragmenté, il ne laisse pas une impression formidable, surtout après avoir baigné dans les productions de Chang Cheh et de Liu Chia Liang pendant un mois, et avec une vision du film d’action bien différente de celle qui prévalait en Chine, et surtout aux yeux de King Hu en 1966. Pour comprendre la nouveauté de ce film il faut être née en 1945 et avoir suivit le cinéma Hong-kongais d’assez prêt, avoir vu quelques films au moins de la Shaw. Connaître les bases de l’opéra chinois serait aussi une bonne idée. Bref il ne faut pas être né dans les années 80 en occident, et pourtant c’est mon cas, ainsi que le votre chers lecteurs. D’où l’important travail de re-contextualisation à effectuer et l’effort intellectuel à faire lorsqu’on voit ce film, qui le mérite.

 1966, Hong Kong. Le Wu-xia est moribond au cinéma, surtout connu via la littérature et le théatre (opéra). La Shaw, qui tourne surtout des comédies, parfois musicales et souvent romantiques confie à King Hu, un jeune réalisateur qu’elle produit depuis 2 ans (et deux films : un film-opéra et une romance sur fond de guerre) un nouveau projet de Wu-xia. Le genre, connut depuis longtemps est assez délaissé du public qui n’apprécie pas les combats trop mal faits et les scénario un peu creux. Hu est donc obligé de restructurer complétement les codes du genre afin de le rendre attractif et de faire des combats l’élément central des films. Il s’agit aussi, pour lui qui est un lettré, de mêler aux techniques purement cinématographiques celle de l’opéra chinois ou le genre est né et prospère.


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L’histoire elle, est suit toujours les même régles :

 L’hirondelle d’or (Cheng Pei-pei) est une jeune femme mandatée par les autorités pour délivrer le gouverneur d’une province, qui se trouve être aussi son frère. Celui-ci a été enlevé par une redoutable bande de malfrats dirigé par le Tigre au visage de Jade (Cheng Hung Lee) qui espère l’échanger contre un bandit détenu dans les geôles de l’administration. Après une première confrontation avec l’un des lieutenants des bandits, elle sera aidée par un mystérieux ivrogne (Yueh Hua), qui lui sauvera la vie après qu’elle ait été blessée lors de l’affrontement avec le Tigre au visage de Jade. Il poursuivra sa tâche en la remettant sur pied puis en affrontant un redoutable abbé venu en aide aux hors la loi.

 Le film se termine un peu en queue de poisson, laissant entrevoir une suite qui ne sera jamais réalisé pour cause de mésentente entre Run run Shaw et King Hu. Chang Cheh reprendra bien le flambeau avec son « Retour de l’hirondelle d’or », mais sans s’occuper de l’histoire originelle. La fille de Cheng Pei-pei prépare néanmoins une sequel du film culte… To Be continued donc !

 Je disais donc que si l’on est habitué aux films de Liu Chia Liang et de Chang Cheh (et en général à ceux des décennies 70-80), on peut être déçu par le film, surtout par les combats. Car ce qui caractérise ceux des deux monstres cités plus haut, ce sont le réalisme et la violence graphique. King Hu, lui, n’offre rien de tel aux yeux des spectateurs. On pourrait même dire qu’il oppose aux zooms, contre-plongés, hurlements, plans courts et hachés de Chang Cheh de long plans-séquences très fluides, musicaux, dansant et presque calmes. De plus, et pour l’opposer au second réalisateur (Liu Chia Liang), les affrontement sont loin d’être réalistes. Et pour cause, à l’inverse du descendant de Shaolin, King Hu n’y connaît rien, ou presque, ne pratique pas lui-même et n’aime pas le style des combats (“I didn’t want to use real martial arts what we call real kung-fu. I had seen it in tournaments, I didn’t find it very beautiful and I didn’t understand a thing about it; as a matter of fact, I still don’t.”*) de cet art martial. Il lui préfère la danse et l’opéra, figuratif et symbolique, à tel point qu’il déclarait à un biographe avoir [to have]“always taken the action part of [his] films as dancing rather than fighting”, “always keyed to the notion of dance.”**



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 On comprend alors pourquoi il a choisit (entre autre) Cheng Pei-pei, danseuce à l’origine, pour tenir le rôle.

 Ainsi, il intègre de nombreux éléments de l’opéra chinois dans les combats, qui sont des suites de brefs mouvements ressemblant à un ballet ; une série de coups suivit d’une période d’observation alors que la caméra, toujours centrée sur le héros balaye la scène en un long plan. Cette technique d’accélération-pause crée une tension forte apte à captiver le spectateur, même si les enchaînements auxquels on s’attend ne sont pas au rendez vous. Cheng Pei-pei qui porte si bien son titre d’Hirondelle virevolte entre les assaillants, fait tournoyer ses dagues et après s’être stoppé sous le nez de ses adversaires médusés, ceux qu’elle a frappé tombent, ou remarque leur ceinture est coupé, que leur front est entaillé, etc… Attente, bref instant d’action puis stupeur, voila le déroulement classique du combat chez King Hu. Il entend ainsi montrer au spectateur l’essence des choses plutôt que leur apparence***

 Du coté des personnages, King Hu use à fond des pré-connus relatifs au Wuxia, autrement dit tout ce que le spectateur lambda de HK sait sur le gentil, le méchant habillé de telle façon, le lieutenant, etc… Les comportements, le passé et les compétences martiales n’ont ainsi pas vraiment besoin d’être expliqués et on gagne du temps.

 Néanmoins l’ambiguïté a toute sa place dans ce film qui joue avec les genres, les costumes et les statuts pour créer une ambiance particulière. C’est ainsi que lorsque l’hirondelle apparaît pour la première fois, elle est déguisée en homme. De même, le grand méchant est tout de blanc vétu (ne nous y trompons pas, couleur de deuil en asie) et arborre un sourire plutot sympathique… Encore, le gentil de service est habillé en mendiant et cache sa maîtrise des arts martiaux sous une ivresse controlée. Enfin, son pire ennemi est caché sous la toge d’un abbé bouddhiste, et les bandits logent dans un temple, lieu saint et improbable s’il en est. C’est d’ailleurs par un subterfuge assez habile (et hautement incompréhensible pour les non sinophiles) que l’ivrogne révèle à l’hirondelle l’emplacement du camp des bandits (il associe dans une chanson plusieurs nom chinois dont le sinogramme forme celui de temple), où elle se rend déguisée, commencant à prier avant de voir débouler des bandits aguichants et hospitaliers, ce qui encore une fois est un masque que ne tardera pas à oter le redoutable Tigre au visage de Jade.

King Hu retient donc du genre le jeu d’intrigue et d’usurpation, qu’il met en scène plutôt qu’il ne l’inscrit dans l’histoire, qui comme on l’a dit est assez classique.


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 Autre inspiration artistique théatrale et calligraphique nettement perceptible : les décors. Hautement a-réalistes, mais très soignés. Sachant de toutes façon qu’il ne pourrait réaliser en studio des décors aussi beau qu’en extérieur il a opté pour un style épuré, coloré et ressemblant à celui des estampes. Et lorsqu’il tourne en extérieur, l’agencement des lieux est aussi maîtrisé puisque le tournage n’a pas necessité de nombreux endroits différents et que chacun d’eux a reçu tout le soin nécessaire. Enfin, un effort considérable pour l’époque a été porté à la photographie, surtout lors des scènes nocturnes qui remarquablement nettes et claires. L’ensemble du film est d’ailleurs d’un rendu tout à fait impressionant, seule la post-synchronisation du son lors des combats étant un peu juste…

 Ce film, par son aspect très stylisé, son scénario classique mais son traitement innovant et bien plus attractif a été désigné comme l’un des premiers, l’un des rénovateurs du genre. C’est à cette date, au milieu des années 60 que le Wu xia a pris son essor pour arriver de nos jour à un film comme Tigre et Dragon, lui aussi réalisé par un néophyte en kung-fu (Ang Lee), lui aussi très dansant, lui aussi avec Cheng Pei-pei. On pourrait presque dire que la boucle est bouclé, que le cycle est accomplis après être passé par tous les stades, même si j’espère pour le genre un nouvel âge d’or avec la renaissance du cinéma Hongkongais depuis dix ans.

  Mais c’est seulement si l’on passe outre le premier jugement, qui ne voit dans les combats « dansants » que de l’amateurisme et regrette la patte du Liu Chia Liang Chorégraphe, qui ne voit dans les décors peints que manque de moyen et tournage accéléré… Et puis il faut un peu connaître l’arrière plan, le passé de ce cinéma et de ce genre.


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 J’espère l’avoir ici fait, donnant envie aux plus curieux de voir le film, édité en France et même ressortit en salles et dans les festivals il y a quelques années pour le lancement de la collection complète des films de la Shaw par Celestial pictures.

 

Les fiche Imdb et HKdb.

Un article très intéressant et complet sur le film (en anglais).

 

*  in Made In Hong Kong, numéro special Cahiers du Cinéma, No. 362-363 (Septembre 1984). p. 22.

** Tony Reyns, Sight and Sound, vol 45, n°1, p. 11.

 ***“appearance is one thing, seeing something’s essence is another”

 

Carcharoth.



Publié dans Chine et HK

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C
Oui moi aussi il ne m'a au début pas emballer, tant j'était habitué à la production de Liu Chia Liang et de Chang Cheh, mais c'est vrai qu'en le remettant dans son époque et en lisant quelques bonnes analyses, j'ai mieux perçus son aspect culte et révolutionnaire, même si en effet aujourd'hui il est dur à apprécier. C'est à voir en tant que cinéphile et amateur de la Shaw, peut être pas pour découvrir le genre, mais pour apprécier sa génèse...
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S
mais euhhhj'aime bien les film de la shaw en principe, mais celui là, il fait parti des rares films que je n'ai pas gardé.<br /> J'ai eu beaucoup de mal à aller jusqu'au bout , c'est dire...<br /> <br /> M'enfin bon, ce n'est qu'une question de goût après tout !
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