L'empire de la passion, par Nagisa Oshima
Lempire de la passion (Ai no borei), Nagisa Oshima, 1978, Japon.
Deuxième film du célèbre diptyque empire des sens / empire de la passion, ce long métrage est lun des plus connu de Oshima, produit par Anatole Dauman (mais aussi par Koji Wakamatsu, autre grand cinéaste rebelle du Japon) qui comme je lai déjà dit dans larticle concernant « Nuit et brouillard au Japon » est lhomme qui a relancé ce réalisateur dans le monde du cinéma, et lui a permis et donné le goût de dadapter cette nouvelle de Itoko Namura pour le grand écran. Délaissant la critique sociale pure et le pamphlet anti-capitaliste, Oshima ne perds pas pour autant ses envies provocatrices, même si je dois bien avouer que je mattendais à « pire » en terme de scènes érotiques. Je préviens donc ici tous les fans du genre, les pervers, les amateurs de porno, ici on en est très loin. Rien de choquant pour un européen du XXIème siècle, en tous cas rien dinsoutenable, rien de trop « hot ». Vu la réputation de ce film je mattendais à ce que les scènes de sexe soient longues, explicites, quelles occupent la majeure partie du film, or il nen est rien. Lust, caution est bien plus poussée à ce niveau la par exemple. Jaurais en fait plus parlé de film de fantôme ou de vengeance que de film érotique
Comme dhabitude, un petit résumé :
Seki, la femme de Gisaburo « pousse-pousse » commence à ne plus être de première fraîcheur, mais elle semble ne pas vieillir. Son visage est toujours très avenant et elle ne fait pas son âge. Depuis quil est revenu du service militaire, Toyoji rend souvent visite à Seki, lui apportant des choses à manger, des cadeaux. Un jour que Gisaburo est dans une de ses longues tournées, il profite du sommeil de Seki pour lembrasser et lui crasser les seins. Cette dernière se réveille, et après avoir brièvement repoussé le jeune homme, se donne à lui. Les visites deviennent régulières, les deux amants saiment et souffrent de devoir le cacher, surtout Toyoji, qui ne voit quune solution pour faire leur bonheur : tuer Gisaburo. Il convainc sa partenaire par une nuit torride, puis élabore le plan daction : Après avoir enivré le pousse-pousse, ils létranglent avec une corde et le jette dans un puit inutilisé dans la forêt. Trois ans passent, Seki et Toyoji ont fait courrir le bruit que Gisaburo était partit à Tokyo pour faire fortune et quil reviendra après cela. Cette excuse les obliges néanmoins à vivre leur amour clandestinement, alors que le meurtre devait résoudre ce problème. Et puis des bruits courrent, les habitants font détrange rêve sur la disparition du mari de Seki. Cette dernière na pas la conscience tranquille, et le soir elle a peur tout seule avec son petit garçon. De plus la charge de travail quelle doit fournir est plus importante depuis que son mari est « partit ». Il en va de même pour Toyoji, qui depuis le meurtre à un étrange tic : il ramasse des feuilles en forêt, mais au lieu de sen servir comme combustible il les jette dans le puit ou est enfoui Gisaburo Et puis un jour Seki voit un fantôme, elle voit son mari prêt du feu, les yeux injectés de sang et qui réclame de leau de vie, sa boisson préférée Elle hurle, elle pleure, elle tombe à genoux, elle fuie voir Toyoji quelle prie de la sauver. Mais lopération se répète, devant les yeux dune voisine venue rassurer Seki, et encore La femme pense alors tout avouer au policier qui vient justement de faire son apparition dans la ville, enquêtant sur la disparition mystérieuse du mari depuis si longtemps, car aucune trace de lui a Tokyo Sen est trop pour lamante, qui craque mentalement. Seul Toyoji lempêche daller tout avouer, car ils saiment. Elle souhaite quils déplacent le cadavre afin de lenterrer décemment et de faire partir lesprit du défunt mari Mais lopération échoue, Seki tente de se suicider, le policier les arrête et les torturent jusquà ce quils avouent. Puis ils meurent FIN.
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Bon je nai pas décris les quelques scènes de sexe, mais en gros il y en a une au début, puis une ou deux au milieu, et enfin une dernière ou le couple damant fait lamour après que le femme ait tenté de se suicider. Rien à censurer la dedans, pas débats passionnés et torrides. On ne voit par exemple le sexe daucun des deux, à peine un sein, et pas de positions complexes ou torrides. On va donc passer sur cet aspect, non par pruderie mais parce quen fait il nest pas le plus important du film. La passion est ici plus entendue comme souffrance, comme sentiment qui pousse au meurtre et au malheur des protagonistes, et même à leur mort à moyen terme. Ce nest pas pour autant que Oshima la condamne, bien sur, il en serait plutôt -vous lavez compris si vous connaissez un peu le personnage- un promoteur, mais un promoteur qui ne se voile pas la face et admet tous les aspects et toutes les conséquences possible de ce sentiment, conséquences dont la pire est sans doute la mort. Mais Oshima cherche aussi à montrer pourquoi lamour peut mener à la mort, en quoi des valeurs, des normes peuvent amener au meurtre, puis dans une folie de remord au suicide et à laveu. Cest donc la société villageoise, les valeurs traditionnelles japonaises qui sont en procés. Ah oui joubliait, le film ne se déroule pas de nos jour, mais il y a un siècle environ (aucune date, ce sont les costumes qui me font penser ça). Enfin ça ne change rien au propos. Lidée étant de décrier les bonnes moeurs qui régulent tellement la vie, oppressent tant les gens quils sont obliger pour les transgresser, pour vivre en dehors de commettre des choses quils réprouvent et condamnent, mais accepte comme condition sine qua non de laccomplissement de leur volonté. Ici tuer le mari pour pouvoir saimer librement. Comble de lhorreur, le fait que la mort de celui-ci ne soit pas un fait établi et accepté par le village les empêche de se montrer et de se faire accepter, les maintenant ainsi dans leur ancienne condition malgré le fort « droit de passage » quils ont payés. Le meurtre pouvant en effet être compris comme un tribut à la société qui en échange devait les accepter et leur permettre de régulariser leur situation. Mais léchange est inégal (euh oui je sais ça fait un peu économique, menfin ) entre de simple individu et un système complexe de valeurs et de règles normatives qui les attache à leur « destin », sorte de fatum qui dès le départ nous fait comprendre que cette histoire naura pas de fin heureuse, que le beau soldat ne partira pas avec la paysanne, car eux même sont pris et formés par le système dont ils essaient de saffranchir : les remords et les apparitions qui en découle sont la pour le rappeler.
Ainsi, quil prenne les murs, le sexe ou la vie politique pour médium, Oshima sen prend toujours à la société, la critique, dévoile certains de ses aspects les plus sombres, la dénude plus quil ne dénude ses héroïnes et enfonce son regard acéré la ou ça fait mal, la ou le Japon naime pas trop regarder, la ou Oshima voit des défauts et des motifs de honte, la ou les gardiens de larchaïsme voit le legs des anciens et les piliers de la société. Cest pourquoi ses films sont si critiqués au Japon, et tellement appréciés à Cannes par exemple ou par la critique française. Et cest pourquoi il avait arrêté de tourné, dégoûté par les réactions du public et des critiques. Et cest ce qui a fait sa légende.
Pour ma part, aujourdhui, avec le recul et les changements sociétaux, je ne vois plus toute la portée contestataire de ce film, du moins je ne perçois pas la charge érotique aussi fortement quà lépoque. De ce coté, on peut dire que le film à vieilli. Il est devenu culte, il est devenu classique et inattaquable tout comme Oshima qui est pour la majorité des cinéphiles de son époque un très grand réalisateur. Mais ces films, sortis aujourdhui, nauraient plus la même portée et le même impact, précisément parce quils en ont eu un à lépoque et ont participés à faire changer les idées. Je trouve pour ma part plus dactualité dans les films « sociaux » du réalisateur, dans les films engagés et brûlant (en termes idéologiques ) que dans ses derniers.
Bref ce film est à voir, car cest un classique du genre, et puis il reste bien filmé et interprété, lhistoire est sympathique et donne à réfléchir sur bien des choses, relatives à lamour, à la mort, à la passion. Mais nallez pas y chercher un film érotique et chaud, ne vous imaginez pas des scènes bouillantes et excitantes. Non, car ce film aurait plutôt du sappeler « sous lempire de la passion » pour refléter plus exactement son contenu, et minimiser un peu lattente sexuelle.
Vaut le détour donc, mais peut surprendre.
Carcharoth.