Kiba, le loup enragé d'Hideo Gosha.
Kiba le loups enragé (Kiba okaminosuke / Samurai Wolf), Hideo Gosha, Japon, 1966.
Je ne suis pas un grand spécialiste dHideo Gosha ni un exégète du cinéma japonais des années 60-70, mais je sais reconnaître un bon film quand jen vois un. Et la, je peux vous dire que je viens de passer une heure dix mémorable, et de (re)découvrir un réalisateur dun immense talent, peut être au point dacheter ses coffrets de films chez HKvidéo ! Celui-ci traînait depuis pas mal de temps chez moi, et le fait de parler du premier film de Gosha hier à propos du « Trio Magnifique » (un des premiers films de Chang Cheh, adaptation de « 3 samouraïs hors la loi de Gosha -pour ceux qui ne voudrait pas lire larticle) ma donné envie dapprofondir mes connaissances à propos de ce réalisateur, dont je ne lis que des éloges sur les quelques blogs qui en parlent. Et puis il me fallait briser le cycle des Shaw dans lequel je risquais de menfermer pour une centaine de films. Bref, voyant quil ne durait que 75 minutes et que ma soirée sannonçait monotone, je lançais la séance
Lhistoire est celle de Kiba, le loup enragé. Il arrive dans un village qui sert de relais entre deux villes importantes, et où deux factions se disputent la fonction de convoyeur, stratégique et donc lucrative. Le rônin se fait engager par la veuve aveugle qui dirige lun delle, tandis que Nizaemon, ladversaire, recrute un autre samouraï à la réputation diabolique qui lui déclare immédiatement un duel après avoir occis quelques gardes de la société de convoyage. Mais le combat tourne court, ladversaire du loup reportant laffrontement après avoir entendu Chise, la veuve aveugle, jouer de la musique. On comprend que tout nest pas si simple et quun simple duel entre les deux hommes ne résoudra pas la situation, alors quune cargaison très importante arrive chez Chise, et quil faut impérativement quelle arrive à bon port, sans quoi la femme devra fermer boutique
Kiba escorte donc largent, mais laffrontement est inévitable.
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Kiba le loup enragé est un film court, en noir et blanc, le cinquième dHideo Gosha, réalisateur assez peu prolifique pour lépoque (24 films en 30 ans de carrière) mais qui a signé des films parmi les plus réussis et les plus beau du chambara (genre dont le nom vient de lonomatopée désignant la bruit du sabre fendant lair : chan-chan bara-bara) et du cinéma japonais en général. Bien moins reconnu quun Kurosawa ou quun Ozu, il nen est pas moins pour moi (du haut des mes 3 uvres vus !) un grand monsieur digne dêtre découvert, et dont le message est bien plus profond et intelligent quil pourrait sembler.
Encore une fois je renverrai à lexcellent blog de Mickaël alias Wildgrounds, bien plus calé que moi en terme de cinéma japonais et qui a je crois traité de manière approfondie sur son site de la plupart des films du réalisateur. Ma propre analyse sera donc bien moins attachée à la progression du bonhomme et à la place que prend ce film dans la filmographie de Gosha. Je vais le traiter en néophyte ou presque, me permettant justes quelques comparaisons avec Goyokin, lor du Shogun. Cet article ne sera sans doute pas aussi long, détaillé et structuré, pour la bonne raison que Kiba nest pas aussi bon que ce que beaucoup considèrent comme le chef duvre de Gosha, quil est plus court et presque « expérimental ».
Cest peut être justement cet aspect inachevé, parcellaire et lacunaire qui ma en fait le plus captivé et impressionné dans ce film, qui sapparente plus au moyen métrage (± 60 min.) et à lépisode de série quà une uvre à part entière. Et ce nest pas par hasard, puisquen effet un deuxième épisode suivra (Kiba le loup enragé, [lobligation de lenfer]. Les termes soulignés sont de moi et traduisent lexpression Jigoku giri. Une aide est la bienvenue), marquant le coup darrêt du projet, échec du réalisateur et du personnage, dont on retrouvera certains aspects dans de nombreux chambara.
Kiba, un homme avec un masque de loup ?
La première caractéristique frappante est le non développement des personnages, leur survol apparent pendant tout le film, leur furtivité, leur étrangeté pour le spectateur qui au sortir du film ne peut sans doute pas qualifier avec des mots et des concepts précis le héros, et a fortiori encore moins les personnages secondaires. La grande qualité du film et du réalisateur et darriver à nous faire approcher de Kiba et de ses ouailles par des procédés purement graphiques que Mickaël décrypte très bien, si bien que je ne peux mieux faire que le citer : « Rien de plus honnête et captivant que de voir dentrée un sabre fendre lair. Mais en tant que personnage type du réalisateur, il ne peut se satisfaire de cette seule face attirante dun rônin expérimenté et brutal dans ses mouvements, il faut absolument pouvoir la nuancer pour briser une fausse image, un peu comme si Gosha renversait lapparence de son héros. Et en effet, rien de plus surprenant que de voir ce loup se goinfrer avec le sourire, son visage nous apparaît sympathique tandis que sa barbe se remplie de grains de riz. Après avoir bien mangé, le réalisateur pose la pierre finale en montrant son honnêteté, sa sincérité et sa gentillesse, puisque incapable de payer il demande à la patronne de pouvoir laider dans son travail pour rembourser son repas. »
Ainsi, en quelques minutes on sait comment est le personnage, comment il est susceptible de réagir. Lorsque la grand-mère sénerve en apprenant la pauvreté de son pantagruélique invité, on se dit quelle va finir coupé en deux, ou que le gars va sécrouler et que le véritable héros va surgir à ce moment dans lauberge. Mais non, dans cette simple introduction (puisque ce nest quaprès que Kiba entrera de plein pied dans le village et dans les ennuis deux cadavres sur le dos de son cheval) Gosha instruit le spectateur de la seule chose quil a besoin de savoir sur le caractère du héros : il est honnête et généreux. On nen apprendra pas plus, un peu à la manière dun western ou les personnages restent mystérieux -et attirants pour la même raison- jusquà la fin ou laffrontement avec ladversaire dévoilera le pourquoi du comment. Kiba, solitaire et taciturne est un homme auquel on ne sattache pas, et qui se veut comme tel. Même amoureux de Chise, et connaissant la réciprocité du sentiment, il refusera quelle le suive et désirera rester seul, respectant son personnage à la lettre. Car comme cette dernière le devinera (le rôle type de laveugle, qui grâce à ses sens extra-normaux découvre la personnalité profonde des gens), cette distance, cette froideur nest quun rôle quil se donne. On ne saura pas pourquoi. Ce masque ne tombera pas, sans doute trop bien collé à la peau du héros, devenue trop fragile pour supporter lair froid et dur du dehors pour résister longtemps aux assauts du monde. Et si lintérieur, qua vu de ses yeux daveugle Chise, est resté doux et sensible, lextérieur a revêtu la fourrure du canidé pour survivre parmi les fauves tels que Nizaemon et Sanaï Akizuki (qui lui-même semble être devenu fauve suite à une brisure amoureuse ). Face au malheur que peuvent engendrer toutes les affections, tous les liens qui unissent les humains, Kiba a choisit la solitude, même si le contact de ses congénères ne le dérange pas et quil vit sans mal avec eux, il ne sengage jamais. Posture désabusée, cynique et « ascétique » que seuls bien des malheurs peuvent expliquer quant on voit revenir au grand galop sa nature généreuse et serviable. Mais rien ne sera dit, rien ne transparaîtra, juste un grand mystère, un grand silence pour reprendre de thème dun superbe western de Corbucci (avec un héros muet. Ici cest la cécité, la bas aussi). Les deux genres sont dailleurs très proches, surtout si lon reprend le Grand silence et Goyokin, qui filment ces même paysages enneigés, avec cette même envie, ces même héros torturés et mystérieux. Lhomme est un loup pour lhomme disait Hobbes, son état naturel est celui de guerre. Kiba la trop bien compris, et il ne croit pas en létat et ses lois (contrairement au penseur anglais) pour humaniser les rapports des humains.
Survol ou flou artistique ?
Lhistoire est à limage de son héros : pleine de mystères, de sous entendus et dintrigues. Chaque personnage a une vie en dehors de lécran, et tout ce qui sy passe ne nous est pas immédiatement accessible. On devine certaines choses, on recoupe les éléments pour ariver à une conclusion probable mais pas sure ni explicite. Pourquoi le son du koto de Chise perturbe-t-il autant Sanaï, pourquoi est elle aveugle, pourquoi a-t-elle quitté sa famille noble, qua fait pour elle lancien patron ? Tant de question qui sont soulevés, dont on suppute les réponses mais qui laissent plutôt sur une faim de loups !
Néanmoins cette sensation de survol, de technique de série (qualificatif qui aurait du pouvoir sappliquer à ce film) est apaisé par le talent dHideo Gosha qui avec très peu de mots, à peine plus de geste parvient à brosser une situation, à la faire évoluer de façon cohérente, à la rendre passionnante et prenante, et ce dautant plus que le métrage est court (ou moyen), que laction y est concentrée, quon passe dune situation à une autre en deux ou trois galops et quon pénètre et simmerge dans les scènes à la vitesse dun sabre dans la chair grâce au talent du réalisateur et des acteurs. Tout est propice à ce que la sauce prenne malgré (et avec) les défauts que lon connaît : le lieu, réduit à un petit village et ses quelques habitants et à la route qui le relie au centre de décision de la province. A lintérieur du village, outre la place centrale, la maison close et lentreprise de convoyage de Chise. Ces quelques lieux concentrent toutes les scènes ou presque du film, tout comme quelques personnages rassemblent à eux seuls bien des problèmes et des mystères, symbolisant réunis une société entière.
Le survol semble donc bien être une fausse impression bien vite dissipée par la caméra de Gosha qui centre son histoire sur un microcosme passionné et bouillonnant, lieu de départ potentiel dune histoire riche.
Force de limage, intensité des affrontements.
Noublions pas non plus que ce film est un pur chambara, et que les combats sabre au clair y prennent une place non négligeable. Le bras du réalisateur ne tremble pas, sa technique est au point, il use de façon innovante des ralentis, bouleverse ses cadres, donne de la force par le zoom, filme les affrontements plan par plan, en suivant chaque coup dépée, chaque course. Les regards sont durs et noirs. Besoin de rien de plus, les luttes sont magnifiques, des modèles du genre, dintensité physique et psychologique, qui emmène le spectateur aussi loin que possible. Enfin, la musique est très bonne, elle ressemble à ce quon pourrait attendre de celle dun western, rapprochant encore plus ce film du genre américain.
Bref jai vraiment beaucoup aimé ce film tourné avec un sabre sur la pellicule, réduit à son strict minimum, qui tire de son format « série » tous les avantages sont souffrir trop de ses défauts, dont les combats sont très bons, dont les acteurs sont justes et qui laisse présager de très bons films dans la suite de la filmo de Gosha. Pas facile à se procurer, mais je recommande chaudement.
La fiche Imdb.
Larticle de Wildgrounds.
Les autres films dHideo Gosha sur le blog : Goyokin.
Carcharoth.