I Don't Want To Sleep Alone, un lit+un SDF+un homme+deux femmes= un film rébus perdu dans un flou artistique
Après un assez long silence Asiaphilie reprend enfin du service, ainsi nos millions de lecteurs... milliers plutôt? Centaines?? Dizaines?? Quelques cinéphiles égarés?? Bref vous pouvez vous rassurer nous ne vous avons pas abandonné. Cette absence s'explique par une conjoncture malheureuse en effet tandis que Carcharoth se la coule douce en Allemagne, votre humble serviteur trime dans les champs sous un soleil de plomb pour gagner à la sueur de son front les fruits de son labeur (périphrase inutile et exagerée pour dire que j'ai actuellement un job d'été dans une exploitation agricole) donc le blog a été quelque peu delaissé. Mais pour mon retour je vous ai concocté une surprise, finis le consensualisme et la gentillesse, le blog asiatique balance et ose ! Ainsi pour la première fois sur ce blog un film va obtenir la note la plus basse jamais attribuée sur Asiaphilie, à savoir un deux étoiles (le maximum étant de 4) et la pauvre victime cinématographique n'est autre que le dernier film de Tsai Ming Liang : I Don't Want To Sleep Alone, qui, malgré un titre original, s'est avéré être, pour moi, une déception.
I Don't Want To Sleep Alone est le dernier long métrage de Tsai Ming Liang, sorti depuis juin dans nos salles il a connu un bon accueil critique, mais l'accueil des spectateurs a été plus mitigé, moins chaleureux, de toute façon comme la plupart des films asiatiques il a connu une sortie discrète et a vite été eclipsé par les blockbusters de l'été. Ce réalisateur né en 1957 en Malaisie va assez rapidement se tourner vers le monde du cinéma après avoir débuté dans le milieu théâtral. Il va rapidement quitter son pays d'origine pour atterir à Taiwan où il tournera la majorité de ses films sauf son dernier pour lequel il va retrouver son pays natal. Si ces films sont peu connus du grand public c'est un réalisateur très apprécié des festivals et des critiques ciné, d'ailleurs son film Vive l'amour (1994) obtiendra le lion d'Or au festival de Berlin. Il faut dire que ses oeuvres traitant souvent de l'incommunicabilité sont assez diffficiles d'accès car plutôt hermétique avec peu voire pas de dialogues. En fait c'est le genre de réalisateur adoré des magazines comme les Inrockuptibles ou les Cahiers du Cinéma (ces deux ont d'ailleurs attribué la note maximale à l'étrange I Don't Want To Sleep Alone) qui aiment les films complexes et abstraits de réalisateurs inconnus issus de pays exotiques, en gros les films que le commun des mortels n'appréciera que moyennement eux vont adorer et vice versa (j'ai envie même de dire qu'ils eprouvent une certaine attirance pour la masturbation intellectuelle). Après ces petites piques lancées à ces deux magazines que je respecte mais qui ont le don de m'agacer revenons en au réalisateur. Malgré une dizaine de films qui ont pour la plupart connu de chaleureux accueils dans les festivals, son premier véritable succès public sera son précedent film La Saveur de la Pastèque, comédie musicale sur fond d'érotisme, film qui va enfin être distribué dans des proportions acceptables pour ce réalisateur majeur du cinéma taiwannais ( ce n'est pas parce que j'ai été deçu par son dernier film que je n'en apprécie pas pour autant ce réalisateur !)
Ce film marque la huitième collaboration entre le réalisateur et son acteur fétiche Lee Kang-Sheng (photos ci dessus), Tsai Ming Liang explique que cet acteur est "son materiau de départ à partir duquel il peut commencer à travailler". On ressent bien à l'écran la fascination de ce dernier pour son acteur, representé souvent comme une sorte d'éphèbe nonchalant, objet de tous les désirs pour tous ceux qui sont amenés à le rencontrer. Aussi le film, malgré une certaine rupture vu qu'il est tourné en Malaisie, s'inscrit néanmoins dans une certaine continuité puisque l'on retrouve les thèmes recurrents du réalisateur. Ainsi comme dans La Saveur de la Pastèque l'eau est très presente, dans ce premier film il representait la secheresse, l'absence d'eau qui exacerbait les désirs, cette fois dans I Don't Want To Sleep Alone l'eau est utilisée pour décrire la misère du milieu que le film depeint (eaux qui suintent d'appartements délabrés, bassins d'eaux stagnantes au milieu d'immeubles à l'abandon). Aussi on retrouve le thème du désir sexuel, il y a une bonne dose d'érotisme refrenné, de passions contenues dans ce film et comme d'habitude ces attirances tournent autour de Lee Kang-Sheng. On constate la présence de chansons populaires, musique dejà fortement présente dans La Saveur de la Pastèque. Enfin terminons par le plus évident le thème de l'incommunicabilité est repris, en effet les personnages ne se comprennent pas car ils ne parlent pas la même langue, mais au delà ils éprouvent une certaine incapacité à exprimer leurs sentiments, leurs émotions.
A ce stade de la critique le film semble encore interessant, les thèmes abordés sont riches et profonds, le réalisateur est un cinéaste confirmé, pourtant, du moins pour ma part l'alchimie n'a pas eu lieu, le film n'a jamais réussi à m'emporter, à me faire décoller. Il est vrai que je me suis rendu voir ce film dans un contexte particulier, je rentrais du Festival les Eurockéennes, j'etais donc passablement fatigué et mon esprit n'etait surement pas prêt a retrouver la lenteur toute asiatique, derrière le rythme intense des concerts. D'ailleurs la deception ressentie m'a d'abord fait culpabiliser j'ai pensé être passé à côté du film mais après reflexion je pense que le problème ne pouvait venir uniquement de moi et que le film avait cumulé diverses imperfections. J'ai eu la sensation que le réalisateur a cru trop maitrisé son sujet pour s'attarder sur des élements essentiels pour notre compréhension, mais au final le film perd son souffle tant on est egaré voire frustré de ne pas toujours saisir le propos eclipsé par la forme poétique. Le scenario alambiqué et décousu nous destabilise, la surenchère de scènes poétiques est agaçante car au service d'une expression artistique assez gratuite car trop hermétique, abstraite, ne pas comprendre un symbole, un message ca peut passer mais à la longue ça fatigue. Par exemple dans le film on voit de façon recurrente un vieux matelas, cet élement banal renvoie en réalité au contexte politique malaisien, en 1999 le vice premier ministre est accusé de corruption et sodomie et lors de son procès un matelas est apporté comme pièce à conviction. Certes cela a du choquer les malaisiens mais à moins d'être un eminent géopolitologue spécialisé en Asie du sud est on est à mille lieues de saisir cette évocation. C'est le premier reproche que je fais au film : on a trop souvent la sensation de passer à côté du propos de l'auteur qui sous couvert d'une "démarche artistique" plonge le spectateur dans une expectative permanente.
Mon second reproche est fort simple : je n'ai pas compris le film. Pourtant le synopsis est relativement simple, l'action se déroule à Kuala Lumpur (capitale de la Malaisie) Hsiao Kang (Lee Kang-Sheng) un étranger sans abri se fait tabasser dans la rue. Inconscient il est recueilli par des travailleurs bangladeshi, pauvres qui le transportent sur un vieux matelas vers l'immeuble delabré qu'ils habitent. Mais c'est Rawang un des ouvriers qui va prendre soin de lui, le soignant et partageant avec lui ce fameux matelas, Rawang semble d'ailleurs éprouvait plus qu'une simple tendresse maternelle à l'egard de son protégé. Plus tard ce SDF rencontre Chyi une serveuse qui va tomber amoureuse de lui, Hsiao Kang va ainsi se trouver tiraillé entre son sauveur et son admiratrice. L'histoire semble assez limpide, c'est une plongée au coeur de la misère urbaine, mais ce que je dis la provient de l'omniscience des critiques car dans le film c'est bien différent. Tout d'abord aucun nom n'est donné, ensuite on ne peut jurer que Hsiao Kang est etranger car il ne parle jamais, aussi à moins d'être capable de comprendre le Bengali on ne peut savoir que les ouvriers proviennent du Bangladesh car ce n'est jamais évoqué explicitement. Enfin ce synopsis omet divers élements qui vont nous troubler, en effet il n'évoque pas deux personnages. Le premier est un homme dans le coma, il est aussi interprété par Lee Kang-Sheng, c'est alors plus flou : sont ils une seule et même personne ou deux êtres différents, et s'ils sont une même personne le SDF serait il le rêve de l'homme dans le coma, ou bien ce coma est il l'avenir du SDF? Ensuite le synopsis n'évoque pas la patronne de Chyi la serveuse (ici encore en visonnant le film on ne peut facilement deviner que 'est la patronne), cette femme d'âge mûr éprouve elle aussi une forte attirance pour notre sans abri et coïncidence troublante, son fils est aussi dans un coma profond et Chyi lui fait office d'infirmière. J'ai d'ailleurs eu la l'impression que ce fils et l'homme dans le coma interprété par Lee Kang-Sheng sont aussi une même personne, mais ma théorie est contredite par un article qui distingue bien deux personnages (pourtant sur la photo ci dessous à gauche on l'on voit le fils on trouve une ressemblance forte avec Lee Kang-Sheng). Alors, à la lumière de ces élements, l'histoire parait beaucoup plus confuse et embrouillée, donc si on se perd juste en evoquant les grandes lignes vous pouvez aisement imaginer à quel point on est égaré dans le détail. Surtout que le film nous perd dans des circonvolutions contemplatives et poétiques; parfois à la limite de l'abstrait ce qui ne nous aide pas à mieux appréhender le film.
Tsai Ming Liang est connu pour être cinéaste contemplatif, livrant des films tantôt oniriques, tantôt poétiques, mais toujours un peu surréalistes, où le symbolisme, la métaphore prend souvent le dessus sur le sens, sur la clarté de l'intrigue. L'aspect abstrait du film sert à renforcer la description de l'incapacité à communiquer des hommes, cependant si le fond concret, logique est trop mince, la forme poétique risque de nous échapper et c'est ce que j'ai ressenti devant I Don't Want To Sleep Alone. On perçoit en filigrane les thèmes reflexifs du film, ainsi les décors sombres, sublimés par la caméra et l'excellente photo, renvoient à la misère profonde dans laquelle vivent les personnages, le lit et la position couchée des personnages renvoient à l'idée du désir charnel. A un moment une epaisse brume toxique envahit la ville, elle semble exacerber les désirs des personnages mélangeant pulsions de vie et de mort, mais cette brume m'est aussi apparu comme symptomatique du ressentiment du spectateur. La ville est dans la brume, dans le flou mais nous aussi, l'aspect volontairement decousu de l'histoire, de la progression des personnages, dans un but evidement poétique nous égarent nous aussi dans le brouillard, le flou artistique. Deseperement on essaie de se rattacher à du concret on cherche à comprendre le sens des actions des personnages, mais aussi les messages et symboles distillés par le réalisateur et au final j'ai eu l'impression d'être passé à côté des deux : du sens du film et de l'onirisme. Si l'on avait eu une base scénaristique plus concrète, plus solide, des repères, on aurait sûrement pu se laisser emporter par la poésie mais obstinément mon esprit cartésien a cherché à comprendre le sens du film, la compréhension minimale n'etait pas acquise pour se laisser bercer par le rythme lent et contemplatif du film, par la langueur de ces corps qui se cherchent dans cet univers moite pour mieux se perdre. Finalement les thèmes de reflexion n'ont été qu'amorcés et non pleinement explorés, à force d'effleurer la surface des choses, le film est un peu passé à côté de son propos .
Pourtant tout n'est pas à jetter dans ce film loin de là. La mise en scène impeccable montre la grande maitrise d'un réalisateur qui peut se placer au rang des grands réalisateurs contemplatifs, grâce à ces lents travellings, à ces magnifiques plans fixes qui nous font penser à des photos d'artistes. Les décors sont sublimes, d'une beauté quasi macabre, la photographie est excellente le jeu tout en contraste effectué sur la lumière est impressionant. La beauté des plans n'est pas sans rappeller celle de ceux réalisés par Christopher Doyle le célèbre directeur photo, les angles, les couleurs sont visiblement très travaillés comme chez lui. D'ailleurs si l'on observe les 2 photos ci dessous sachant que celle de gauche est issue de I Don't Want To Sleep Alone et que celle de droite provient du film Last Life In The Universe ( ou Christopher Doyle s'est occupé de la photo) on peut constater certaines similitudes comme la prise de vue en plongée et l'eclairage particulier qui fait nettement ressortir les acteurs du décor. Aussi le film a une musique sympathique mélangeant morceaux de musique classique (Mozart) et chansons populaires, hélas la musique est comme les dialogues peu présente dans le film qui leur préfère le silence. Les acteurs livrent une prestation honnête, il faut dire que sachant qu'il n'y a quasiment pas de dialogues, ni d'action et que le tout est souvent filmé dans une semi obscurité cela laisse peu de place à l'interprétation des rôles, toutefois je donne une mention spéciale à Lee Kang-Sheng pour son rôle du personnage dans le coma.
Bref I Don't Want To Sleep Alone était un film prometteur, maitrisé sur la forme, qui aurait pu se hisser au rang des grands, mais, ironie du sort, à trop vouloir décrire l'incommunicabilité des êtres le réalisateur a provoqué l'incompréhension de son spectateur. Il n'a pas su marier réalisme dur et poésie pure et le résultat de cette alchimie délicate est trop brouillone, et laisse en bouche un goût amer d'inachevé. La volonté artistique a ecrasé la démarche réflexive et logique c'est dommage. Dans la critique du journal Le Monde le journaliste compare Tsai Ming Liang à Jia Zhang Ke (réalisateur du très beau Still Life) car tous deux évoquent la misère des oubliés de la croissance asiatique, il explique que le premier, fait de la prose, tandis que le second fait de la poésie. Je trouve cette comparaison tout à fait juste, ainsi si la poésie a un aspect universel, la prose, elle, est beaucoup plus hermétique et abstraite, moins accessible.
Nostalgic Du Cool